Mosaïque
BEN plg
Après un premier album sorti en 2020, « Dans nos yeux », salué par la critique, BEN plg avait la pression du deuxième projet avec lequel un artiste est toujours attendu. Il a finalement choisi de raconter des histoires de vies sur « Parcours Accidenté », son deuxième album. Le rappeur du Nord continue ainsi de dépeindre sa région, tout en faisant l’éloge de « la vie normale », celle où on prend le bus en croisant des destins tous différents. Pour Mosaïque, BEN plg livre le sien et précise ses ambitions pour ce nouveau virage de sa carrière. 

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Ça fait quelques jours que ton deuxième album, « Parcours Accidenté », est sorti, comment te sens-tu ? 

Ça fait super plaisir. Il y a un côté accouche­ment d’un pro­jet que toi tu con­nais depuis longtemps donc je suis très con­tent que ça sorte et que les gens puis­sent enfin l’écouter. Les retours que j’ai c’est que les gens sont touchés. C’est cool parce qu’ils ressen­tent vache­ment l’émotion que je mets dans ma musique, que j’éprouve quand je la crée. C’est assez agréable.

En écoutant cet album, comme le précédent, c’est difficile de ne pas être touché. C’est important pour toi d’être transparent à ce point dans tes sons ? 

Ce n’est pas for­cé­ment une volon­té, c’est quelque chose qui m’habite. C’est comme ça que je fais de la musique. Je suis quelqu’un de nor­mal et ma musique est un genre d’éloge à la vie nor­male. Là je suis dehors à Lille, le ciel est gris, mais on arrive à trou­ver de la beauté dans n’importe quoi. Je veux trans­met­tre la vraie vie. Mon par­cours n’est pas nor­mal mais c’est un par­cours comme j’en croise des dizaines tous les jours. Pay­er un loy­er et rem­plir un fri­go avec 400 balles par mois c’est pas un exploit. C’est pas pour rien qu’il y a plein de monde sur la pochette de « Par­cours Acci­den­té », il ne s’agit pas que de mon des­tin. La mère qui élève seule ses trois enfants et qui fait deux boulots en même temps a plus de mérite que moi. 

Pourquoi raconter des parcours accidentés tout en restant optimiste lyricalement ?

Avec l’album je veux racon­ter que mal­gré ces acci­dents, on avance. Je pense que la notion d’espoir est hyper impor­tante dans ma musique. Comme je dis dans un son : « Nous ici on sourit sous la pluie. » Bien sûr que je racon­te le quo­ti­di­en, la vie nor­male, mais ça ne veut pas dire que c’est dénué d’espoir et d’optimisme, au con­traire. Je suis quelqu’un d’hyper jovial et opti­miste et c’est ce qui me per­met de faire cette musique. Si ça se ressent dans l’album, tant mieux. Cet opti­misme est avant tout ancré dans ma tête et me per­met d’avancer tous les jours. 

Dans tes sons, tu fais constamment référence au Nord dans lequel tu as grandi et surtout à la vie quotidienne et aux difficultés qui l’accompagnent. Tu dis notamment que tu veux porter la voix de ceux et celles qui n’en ont pas. Que veux-tu raconter ?

Quand tu fais tes cours­es à Lidl, que tu te balades dans les rayons, tu vois telle­ment de choses qui se passent sous tes yeux. Je trou­ve ça hyper impor­tant de racon­ter ces his­toires. Je ne veux pas par­ler pour eux, je ne suis per­son­ne pour m’exprimer à leur place. Mais que ça soit quand j’ai eu l’occasion de don­ner des cours de rap en prison, de tra­vailler avec des per­son­nes en sit­u­a­tion de hand­i­cap men­tal, ou juste en par­lant avec les gens que je ren­con­tre… Je vois des his­toires qui sont rarement racon­tées dans la musique. Pour moi, la musique c’est rem­plir son sac pour le vider ensuite. Je le rem­plis en vivant et je le vide en écrivant. D’ailleurs, je ne veux pas for­cé­ment racon­ter que le Nord parce que je sup­pose que dans plein de régions c’est pareil. Moi je par­le juste du quotidien. 

Il y a une pléthore d’artistes du Nord qui émerge, que ce soit Bekar, ZKR, Vicky R, Michel, Sto… Tous ces artistes de la ville com­men­cent à exis­ter de manière nationale.

BEN plg pour Mosaïque
Le Nord n’est pas connu pour être une terre de rap, comment as-tu rencontré la musique ? 

C’est pas vrai­ment une terre sans rap, c’est juste que l’exposition est beau­coup moins forte pour les artistes. Pen­dant longtemps je me suis demandé quelle était ma place dans cet art que j’aimais tant, d’abord en tant qu’auditeur. Au fur et à mesure, à force d’essayer de rap­per, j’ai fini pas voir que je pou­vais être acteur dans ce milieu et un artiste. Il n’y a pas eu un déclic pré­cis. C’est une suc­ces­sion d’étapes. Très récem­ment, j’ai com­pris qu’il n’y avait pas de chemin pré­conçu, que cha­cun avait sa façon d’y arriv­er. J’ai un par­cours atyp­ique, je ne suis pas en début de car­rière à 18 ans. Il y a des rappeurs qui arrivent à avoir des car­rières très tôt et pour qui les choses peu­vent paraître plus naturelles. Moi j’avais tou­jours cette pres­sion de rem­plir le fri­go, d’avoir tout sim­ple­ment  un « vrai méti­er » pour pou­voir vivre. 

Est-ce que tu te sens comme un rappeur de province ou est-ce que c’est un terme que tu trouves péjoratif ? 

Non, moi je m’en fous (rires). Je suis juste un rappeur, je me sens comme un artiste et c’est déjà trop cool. On a la chance de vivre à l’époque d’internet et ça per­met à la musique de voy­ager. Le résul­tat c’est qu’à cette heure-ci je suis en train d’envoyer mes CD dans toute la France, que ça soit à Paris, en province, dans les petits vil­lages comme dans les grandes villes, sans faire de dif­férence. For­cé­ment, dans la caté­gorie rappeur de province, Orel­san a ouvert une grande porte. Surtout à une époque où c’était dif­fi­cile d’exister en dehors de Paris et de Mar­seille. Mais per­son­nelle­ment, la musique me touche en général, je peux autant kif­fer et être touché par le dernier CD de Khali ou les sons de DA Uzi et PNL que par un album de Soolk­ing ou de Djad­ja et Dinaz. 

Quel regard portes-tu sur le potentiel musical de ta région ?

On est en train de faire quelque chose qui n’était jamais arrivé. Il y a une pléthore d’artistes qui émerge, que ce soit Bekar, ZKR, Vicky R, Michel, Sto… Tous ces artistes de la ville com­men­cent à exis­ter de manière nationale. La scène com­mence à se dévelop­per, on par­le de nous dans les médias et les gens com­men­cent à capter l’état d’esprit. On pour­rait rap­procher ça à la scène belge en vrai parce qu’il y a un côté très famil­ial. Et en même temps on a un champ lex­i­cal com­mun, on décrit des choses sim­i­laires. C’est hyper agréable d’assister à ça et ça fait vrai­ment plaisir de voir la scène locale briller. 

Ton premier album était presque intégralement produit par Murer, un artiste lillois. Sur « Parcours Accidenté », un autre beatmaker du nord, Lucci, est venu s’ajouter au projet. Pourquoi ? 

Il n’y a pas une volon­té de vouloir faire pro­duire par des Lil­lois. Je ne suis pas en train d’ouvrir un marché de pro­duits locaux (rires). C’est juste que j’ai un rap­port très impor­tant avec la pro­duc­tion et la com­po­si­tion. Je fais les instrus avec les beat­mak­ers et j’écris sur place tous mes morceaux. On ne fonc­tionne jamais à dis­tance. Étant à Lille, je kif­fais déjà le tra­vail de Luc­ci. On s’est ren­con­trés et on a fait une ses­sion durant laque­lle on a matché de manière très puis­sante, comme ça a pu le faire avec Mur­er sur l’album précé­dent. Et chose encore meilleure, c’est qu’ils ont pu match­er à deux. Les com­pos­i­teurs, je les con­sid­ère vrai­ment comme des amis. Ma musique est telle­ment per­son­nelle que je n’arrive pas à m’en détacher. 

Pour moi, un moment de stu­dio c’est un moment où je m’ouvre le ven­tre, où on va essay­er d’aller le plus loin pos­si­ble, d’être très ambitieux. J’ai une grosse exi­gence et donc ça crée for­cé­ment des liens. C’est ce que ça a don­né avec Luc­ci, mais il y a aus­si d’autres gars qui ont taffé sur l’album. Jeof­frey Dandy est sur deux morceaux, il a aus­si son impor­tance sur la couleur du pro­jet. Il n’y a pas de volon­té de tra­vailler locale­ment mais ça me fait grave plaisir que Luc­ci soit de Lille parce qu’on a aus­si ce passé com­mun dans la région. On est touché par les mêmes choses. 

Et comment se sont faits les feats avec Bekar et Djalito ?

Lors de notre ren­con­tre, Bekar venait de sor­tir son album « Briques Rouges ». Je venais de sor­tir « Dans nos Yeux » et plein de médias par­laient de nous con­join­te­ment. On a par­lé sur Insta­gram, puis on a bu un verre étant don­né qu’on habite dans la même ville. La pre­mière fois qu’on s’est vus, on a qua­si­ment pas par­lé de musique, c’était juste humain. C’est une belle ren­con­tre. En tant que rappeur, t’as rarement l’occasion de ren­con­tr­er des gens qui vivent exacte­ment la même chose que toi, ou même des choses sem­blables. Donc ça fait du bien quand c’est le cas. Dans les autres boulots de la vie, t’as tes col­lègues avec qui tu peux par­ler. Mais en tant qu’artiste, par­fois, t’es un peu esseulé… C’est cool d’échanger avec des sem­blables. Je suis grave con­tent de l’évo­lu­tion de Bekar et de voir que ça marche pour lui. 

Djal­i­to c’est mar­rant parce que je le con­nais depuis très longtemps. Quand j’ai sor­ti « Dans nos Yeux », il m’a envoyé un mes­sage sur Insta­gram en me dis­ant : « Mais gros tu te rap­pelles ? ». J’ai mis du temps à le recon­naître parce qu’à l’époque il ne se fai­sait pas appel­er par ce nom là et il n’avait pas ses locks (rires). On avait oublié qu’on se con­nais­sait parce qu’on se con­naît de la vie d’avant. C’est d’ailleurs pour ça que sur notre son Les préférés de la can­ti­nière je dit : « Avec Djal­i­to depuis l’innocence, depuis les mal­heurs. » On s’est vus en stu­dio à Metz, à la base juste pour dis­cuter et puis on a fini par faire un morceau. C’est une trop belle con­nex­ion. Je sors de deux shows à Paris et à Lille, il était là pour les deux j’étais trop con­tent. On avance ensem­ble et ça fait plaisir. 

Le deuxième album est particulièrement important dans la carrière d’un artiste. Comment as-tu appréhendé le tien ? 

Pour moi, c’est un peu dif­férent parce que je suis en développe­ment. C’est pas comme si j’avais une fan base faramineuse et que j’avais un enjeu économique de malade à con­firmer. Je suis plutôt à un moment où j’essaye d’élargir mon pub­lic. Même si je ne le vis pas du tout comme si j’avais une entre­prise à faire grandir absol­u­ment avec un bilan compt­able à rem­plir. D’un point de vue artis­tique, c’est sûr qu’il y avait eu un mini suc­cès d’estime sur « Dans nos yeux » et qu’à un moment j’ai pu avoir ce fameux syn­drome de l’imposteur à me deman­der si j’avais pas eu un coup de chance. 

J’ai eu des moments de stress. On a fait une tournée de pré-écoute de l’album avant sa sor­tie. Et je me suis retrou­vé à faire des con­certs avec toute la salle qui con­naît le pre­mier album par cœur et qui le kiffe. Je me suis demandé si je m’é­tais ren­du compte de l’impact et si le deux­ième allait plaire autant. C’est sûr que j’aurais pu le faire en pilote automa­tique en essayant de faire « Dans nos yeux 2 ». Ça aurait été chi­ant. On a tou­jours ce truc de vouloir aller plus loin. En ter­mes de sonorité, de pro­pos et de matu­rité. Moi en tout cas je suis per­suadé d’avoir fait un bon album. J’ai la chance d’être bien entouré. On sait où on veut aller et c’est pareil pour le troisième qui est déjà bien entamé. 

Je viens d’une époque où t’écoutais les CD en regar­dant la pochette. Ça créait des images, c’était le film de la musique.

BEN plg pour Mosaïque
Tu soignes ton esthétique à travers tes covers et tes clips, c’est une partie du travail artistique qui t’intéresse particulièrement ? 

Oui de ouf ! Sinon ça serait éclaté au sol (rires). Je suis hyper investi dans tout ce que je fais. Je ne laisse rien au hasard. Dans BEN plg, le plg sig­ni­fie : « pour la gloire ». C’est pour la beauté du geste, pour le sym­bole. C’est impor­tant de bien faire les choses parce que c’est ce qu’on laisse der­rière. La cov­er, tous les gens qui écoutent l’album vont l’avoir sur leur télé­phone, à quel moment je vais faire ça à l’arrache ? C’est trop impor­tant. En plus, je viens de cette époque où t’écoutais les CD en regar­dant la pochette, en lisant le livret. Chez moi ça créait des images, c’était le film de la musique. Un peu l’inverse d’une bande son. 

Et pour les clips c’est pareil. Je ne veux pas met­tre en image juste parce qu’aujourd’hui c’est quelque chose de néces­saire. Comme je le dis dans un morceau : « On fab­rique des bolides avec des bouts de vis. » Ça veut dire que même si on est pas sur des bud­gets faramineux, en vrai on peut faire des trucs de ouf. Quand tu ajoutes de l’huile de coude tu peux faire des trucs de malade et c’est ce qu’on essaye de faire. Un clip comme celui de Par­cours acci­den­té devrait nor­male­ment coûter 40.000 euros, mais on arrive à s’en sor­tir en met­tant la main à la pâte. S’il faut que je prenne ma voiture pour aller faire des repérages pen­dant trois jours je le fais. Ça fatigue mais on kiffe.

Sur ta pochette, tu es dans un bus. Pourquoi ? 

Le bus c’est un lieu mys­tique en vrai, c’est pour ça que je voulais être dedans. En plus là c’est un bus de Lille et ceux qui sont de la région ils captent. Le bus c’est un endroit qu’on con­naît trop bien, depuis tout petit. Mais surtout le bus c’est un lieu où tu crois­es plein de gens, plein de pro­fils dif­férents et les par­cours qui vont avec. T’es entouré de tranch­es de vie hyper impres­sion­nantes et y a une den­sité émo­tion­nelle de fou. Le matin, tu vas crois­er des gars de bonne humeur qui ont reçu de bonnes nou­velles comme des gens qui sont en train de se ser­rer la cein­ture jusqu’à ne plus pou­voir respirer… 

Pourquoi est-ce que tu préfères les chansons tristes ?

C’est plutôt une image. La mélan­col­ie c’est quelque chose qui m’a tou­jours touché. Même dans les chan­sons qui font la fête, j’aime bien qu’il y ait une touche de mélan­col­ie. Mais dans son his­toire le rap français est empreint de ouf de mélan­col­ie. Même aujourd’hui, des gars comme SCH ou Jul font des trucs super mélan­col­iques. Pareil pour Morad en Espagne ou El Grande Toto au Maroc. Leur musique fait la fête et ray­onne de fou tout en étant mélan­col­ique. Per­son­nelle­ment, ça me touche plus qu’un mec qui chante sa réus­site. Après moi même je fais de l’egotrip, mais à ma sauce. Quand je dis : « Ma daronne rem­plit vingt fri­gos avec le prix d’un clip », c’est de l’egotrip, mais ver­sion BEN plg. 

Pour finir, il y a un truc qui était très présent dans ton premier album et qui a presque disparu dans celui-ci, c’est les références aux pâtes. Est-ce qu’on peut en conclure que désormais tu manges du saumon à tous les repas ?

Non pas du tout (rires). Par con­tre atten­tion j’ai tou­jours volé du saumon, c’était un peu ma spé­cial­ité. Je ne dis pas aux gens de le faire. Le truc c’est que l’al­bum précé­dent com­mençait par une référence aux pâtes donc ça a mar­qué. Là j’ai élar­gi les références à tout le fri­go, mais sinon je mange tou­jours autant de pâtes. Par con­tre je suis une espèce de salopard gourmet, je me refuse doré­na­vant les coquil­lettes Éco+. Main­tenant dieu mer­ci je peux met­tre quar­ante cen­times de plus sur mon paquet et me faire des petites lin­guines gruyère huile d’olive.

C’est quoi la suite pour BEN plg ? 

L’avenir le dira. Moi-même je ne l’ai pas entière­ment en tête. Ce qui est sûr, c’est que j’ai pas envie d’attendre un an avant de tir­er. Je vais déjà laiss­er vivre un peu « Par­cours Acci­den­té », on a encore des idées à réalis­er autour de ce pro­jet. Mais il faut d’ores et déjà savoir qu’il y aura un autre truc signé BEN plg dès 2022, et à mon avis, avant l’été. 


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