Mosaïque

À 25 ans, Jeune Arab dévoile son troisième EP : « Shane ». Un pro­jet som­bre et éclec­tique de six titres dans lequel le rappeur stéphanois con­tin­ue de se dévoil­er peu à peu à son pub­lic. Entre­tien avec une fig­ure dis­crète d’une nou­velle vague musi­cale dans le rap français. 

Pourquoi as-tu choisi d’intituler ce pro­jet « Shane » ?

C’est le nom d’un per­son­nage de la série « The Walk­ing Dead » qui m’a inspiré. C’est l’anti-héros de la série. Tout le monde met à l’honneur les héros et j’ai voulu décon­stru­ire cette idée. Dans la série, Shane est un pour­ri mais il a tout le temps les bonnes idées. Le dernier titre de l’EP y fait égale­ment référence.

L’anti-héros, c’est une fig­ure que tu as voulu dévelop­per dans ton EP ? 

Tout à fait. C’est une par­tie de moi. La par­tie la plus som­bre est incar­née par Shane. J’ai l’impression que c’est aus­si la péri­ode qui est comme ça. Un épisode som­bre, noir, où nos valeurs sont bous­culées. Plus tu fais du sale, plus tu seras adulé. 

L’im­age du miroir revient sou­vent dans tes visuels. Qu’est-ce que ça représente pour toi ? 

Le miroir, c’est un élé­ment qui per­met l’in­tro­spec­tion. Je l’avais déjà exploité dans le clip de Sahara ou de La pluie. J’aime jouer avec les reflets. L’être mul­ti­ple. Cela rap­pelle aus­si que l’im­age que tu ren­voies aux autres n’est pas tou­jours celle que tu incar­nes réellement. 

Le titre du morceau Soleil d’argent illus­tre d’ailleurs un para­doxe. Pourquoi ce titre ? 

J’allais au tra­vail en bus et l’arrêt où je suis descen­du s’appelait Soleil d’or. J’ai trou­vé l’ex­pres­sion très belle, cela m’a inspiré et j’ai voulu jouer sur la con­tra­dic­tion du titre qui rap­proche une couleur froide à la chaleur du soleil. Il fait aus­si référence à la dual­ité du bien et du mal dont je par­le dans l’EP.

Com­ment as-tu pré­paré ce projet ? 

Je l’ai réal­isé pen­dant le pre­mier con­fine­ment. Avec mon beat­mak­er Juja, nous avons fait vingt à vingt-cinq sons. Nous nous sommes ren­con­trés dans une salle de con­cert à Toulouse. Nous étions com­plète­ment kha­bat (rires). Une semaine après, il m’a envoyé un pack de prods et depuis nous tra­vail­lons ensem­ble. Pour cet EP, j’ai voulu garder une couleur cohérente avec ces six titres. J’ai essayé de créer une ambiance automnale. 

Pourquoi garder un for­mat court ? 

Par rap­port à l’exposition que j’ai, je ne me voy­ais pas envoy­er plus de morceaux sur un pro­jet. Je ne trou­ve pas ça intéres­sant. Mais je suis pressé de pou­voir me met­tre sur un for­mat plus long quand j’au­rai avancé dans ma carrière. 

Sur le pro­jet, tu évo­ques Nir­vana, Serge Gains­bourg ou encore NTM. De quoi t’inspires-tu ?

En rap français, je dirais PNL et SCH. Quand je les écoute, j’essaye de com­pren­dre com­ment ils ont tra­vail­lé leurs ambiances. Ils ont dévelop­pé quelque chose qui n’existait pas avant eux. Sans oubli­er Serge Gains­bourg pour la licence poé­tique. J’ai aus­si écouté énor­mé­ment de rock. Je m’en inspire quand j’essaye de faire par­tir ma voix. En ce moment, j’écoute aus­si « BLO II » de 13 Block et « 3 » de Triplego. 

Sur cet EP, tu pouss­es aus­si beau­coup plus ta voix.

Tout à fait. Je me suis sen­ti plus à l’aise pour chanter et touch­er à l’au­to-tune. J’ai aus­si ten­té de nou­velle choses musi­cale­ment. Juja m’a pro­posé des prods avec de nou­velles sonorités que j’ai envie de con­tin­uer d’ex­plor­er. Notam­ment sur Nineties Child, qui rap­pelle une ambiance club années 80. 

As-tu peur de devoir renon­cer à ton côté instinc­tif en te professionnalisant ? 

Je pense vrai­ment que la musique doit rester instinc­tive. On me demande déjà de réfléchir de plus en plus. C’est une réal­ité que je préfère éviter. Mais les attentes qui gran­dis­sent autour de moi provo­quent cette sit­u­a­tion logique­ment. C’est à moi d’en­tretenir mon inspi­ra­tion : en lisant des livres, en écoutant du son…

Qu’est-ce que tu lis ?

Dernière­ment, j’ai beau­coup aimé « Le Dou­ble » de Dos­toïevs­ki. Il s’inscrit d’ailleurs dans l’univers du pro­jet. Il racon­te l’histoire d’un héros qui ren­con­tre son dou­ble. On ne sait jamais s’il est fou ou lucide. J’ai trou­vé cela très fort. 

Pourquoi as-tu choisi Jeune Arab comme nom de scène ? 

À l’époque où j’ai trou­vé le nom, il y avait une grosse influ­ence améri­caine. Et bien sûr, il y a un aspect com­mu­nau­taire et provo­ca­teur. Je sais qu’en France, ça va déranger. Ça m’a déjà fer­mé quelques portes. Quand je suis passé sur le Mouv’, ça avait surpris.

Je peux com­pren­dre mais c’est aus­si pour ça que je l’ai choisi. D’ailleurs, je préfère ne pas dévoil­er mes orig­ines. Je trou­ve que c’est un gros prob­lème de notre com­mu­nauté. Tunisiens, Maro­cains, Algériens… Nous sommes trop nom­breux à nous faire la guerre entre nous. Je suis con­tre ça et j’aime avoir un nom rassembleur.

Envis­ages-tu de faire de la scène ?

Avant l’ar­rivée de l’épidémie, nous étions en train de tra­vailler à fond là-dessus. Je devais faire la pre­mière par­tie de DA Uzi à Toulouse, mais j’avais refusé parce que je n’étais pas encore prêt. Je n’avais pas encore de backeur et je n’avais pas envie de me pré­cip­iter. Je le serai pour l’année prochaine !

As-tu d’autres pro­jet en route ?

Avec tous les sons que j’ai stocké pen­dant le con­fine­ment, je vais sor­tir un autre pro­jet dans pas longtemps. En mars, je l’e­spère. Je pense que ce sera un six ou huit titres. Le prochain sera beau­coup plus lumineux. 

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.