Mosaïque

En ter­res musi­cales anglais­es, cer­tains pré­ten­dants au trône rassem­blent leurs troupes et se pré­par­ent à la con­quête du roy­aume. L’un d’eux s’est établi au sud de Lon­dres : Dave, prince de Streatham. 

Started from the bottom

Le jeune anglo-nigéri­an David Oro­bosa Omoregie est né le 5 Juin 1998 à Brix­ton, au sud du Lon­dres. Ben­jamin d’une fratrie de trois enfants, il est élevé par sa mère après le départ de son père. Il grandit alors tou­jours plus au sud, à Streatham, où il com­mence à jouer de la musique dès son plus jeune âge. Il écrit des chan­sons et joue du piano, sym­bole d’un éveil intel­lectuel et artis­tique pré­coce qui le mèn­era jusqu’aux bancs des uni­ver­sités de Rich­mond upon Thames (Twick­en­ham) et De Mont­fort (Leices­ter) pour étudi­er le droit et la philoso­phie. Un par­cours uni­ver­si­taire inter­rompu volon­taire­ment pour se con­sacr­er pleine­ment à la musique. 

Son pre­mier fait d’arme se pro­duit sur la chaine Bl@ckbox, en 2015. Un freestyle per­cu­tant et une entrée dans le game fra­cas­sante avec quelques sept mil­lions de vues au comp­teur. Quelques mois plus tard, il dévoile le sin­gle JKYL + HYD et com­mencer à affirmer un style lyrique pro­fond et con­tes­tataire. Son pre­mier EP « Six Paths » est dif­fusé sur les ondes bri­tan­niques en 2016. Long d’une trentaine de min­utes, il fait suite au freestyle explosif Thi­a­go Sil­va, en com­pag­nie d’une autre poin­ture du rap lon­donien : AJ Tracey. 

Au même moment, Drake le décou­vre grâce à une com­pi­la­tion de grime bri­tan­nique sur YouTube et reprend son titre Wan­na know. Un trem­plin qui favorise la pro­mo­tion de son nou­veau pro­jet : « Game Over », dévoilé en 2017. L’an­née suiv­ante, son morceau Ques­tion Time, dans lequel il s’insurge con­tre le sys­tème poli­tique anglais et ses représen­tants, rem­porte le Ivor Nov­el­lo Award 2018 du meilleur morceau con­tem­po­rain, devant Don’t cry for me de Stor­mzy. Trois ans plus tard, il ajoute une deux­ième récom­pense du même genre pour le titre Black.

En 2018, Dave va au bout de son ascen­sion et con­firme. Son fea­tur­ing Freaky Fri­day avec l’enfant de Queen’s Park, Fre­do, explose les comp­teurs et se voit cer­ti­fié sin­gle de pla­tine. Une pre­mière pour San­tan Dave. Son pre­mier album « Psy­chodra­ma » reçoit ensuite un accueil à la hau­teur des récentes per­for­mances de l’artiste : top des classe­ments d’outre-Manche, vain­queur du Mer­cury Prize et Britz Awards du meilleur album de l’année.

Tea time

Sym­bole de cette ascen­sion ful­gu­rante : sa per­for­mance lors de l’édi­tion 2019 du fes­ti­val Glas­ton­bury. Out­re sa presta­tion sur la Pyra­mid Stage aux côtés de Stor­mzy, c’est son con­cert solo qui a mar­qué les esprits. Dave offre un show intimiste, se livrant sur ses émo­tions et ses vul­néra­bil­ités. Les morceaux références de sa discogra­phie sont entre­coupés de témoignages et de dis­cours. Il exprime l’importance de ses fans qu’il qual­i­fie de « drogue » et les pro­duc­tions sur lesquelles il pose sa voix de « thérapie ». 

Pour remerci­er son pub­lic, il invite un spec­ta­teur à l’accompagner sur le morceau : Thi­a­go Sil­va. Un jeune homme por­tant le mail­lot du défenseur parisien est choisi pour mon­ter sur scène. Une bouf­fée d’adrénaline plus tard, le nou­v­el acolyte de Dave se lance dans un freestyle lais­sant le rappeur lon­donien com­plète­ment estom­aqué. Une col­lab­o­ra­tion éphémère qui témoigne de la prox­im­ité naturelle qu’instaure le rappeur avec son pub­lic. L’évènement se ter­mine sym­bol­ique­ment avec l’arrivée de son com­père Fre­do pour enton­ner le hit Funky Fri­day.

The crown jewels

Aux manettes de la pro­duc­tion de son album « Psy­chodra­ma » : Fras­er T.Smith, déjà col­lab­o­ra­teur de la chanteuse Adèle et de Stor­mzy. Sur le pro­jet, Dave s’offre une véri­ta­ble psy­ch­analyse au gré des per­cus­sions qui accom­pa­g­nent son débit de punch­lines. Une ver­sa­til­ité styl­is­tique qui vient don­ner du relief aux onze tracks, où grime et slam cohab­itent avec les voix de ses invités : Bur­na Boy, J Hus et Ruelle. Trois artistes aux univers dis­tincts qui don­nent vie à la dimen­sion mélan­col­ique de l’o­pus. Sur cet album, l’enfant de Streatham ouvre enfin les portes de sa con­science et de ses émo­tions. Il prou­ve que la lumière des pro­jecteurs peut, une fois sor­tie de scène, se sub­stituer à la noirceur de ses pensées.

À tra­vers un art­work que l’artiste décrypte lui-même dans une séquence vidéo à l’occasion du Mer­cury Prize 2019, l’é­mo­tion est vive. Une flamme bleue vient brûler le vis­age du rappeur, vêtu de la même veste que lors de sa presta­tion à Glas­ton­bury. L’accord de ces élé­ments relève d’une dou­ble sig­ni­fi­ca­tion : le bleu sym­bol­ise la douceur et la sérénité, tan­dis que la flamme exprime le tour­bil­lon de sen­sa­tions con­traires qui se bous­cu­lent dans son esprit. Tel un chaos serein.

Avec dex­térité, Dave se balade entre les dif­férentes épreuves de sa vie, brossant le por­trait d’une jeunesse mar­quée par l’absence d’une fig­ure pater­nelle, le chemin sin­ueux emprun­té par ses frères et une mère désem­parée face aux dif­fi­cultés quo­ti­di­ennes. Dans les titres Screw­face et Cap­i­tal, David racon­te être sor­ti de la pré­car­ité grâce à la musique, pour faire face à d’autres com­bats. Il se bat ain­si con­tre la peur de pass­er des feux de la rampe à la noirceur des oubli­ettes (Envi­ron­ment) et dénonce le racisme sys­témique dans Black : « Black is bein’ guilty until proven that you’re innocent. »

Depuis ses quartiers au sud de la cap­i­tale, Dave pré­pare ses prochains coups pour s’assoir sur la chaise du pou­voir. Adoubé par les rois des con­trées étrangères, allié des autres vas­saux du roy­aume, le jeune prince attend patiem­ment son tour. Nul doute que son avenir s’écrira au som­met de la royauté. 

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.