Pour favoriser la création, les artistes se réunissent parfois en résidence autour d’une œuvre pour la développer et la peaufiner. C’est dans ces conditions que le groupe bruxellois L’Or du Commun a donné naissance à leur deuxième album : « Avant la nuit », disponible ce vendredi 14 mai 2021. Pour travailler la matière musicale et concentrer leurs textes dans quatorze titres cohérents, les trois rappeurs se sont entourés des producteurs et réalisateurs PH Trigano et Phasm. Interrogés chacun de leur côté, les deux musiciens, aussi colocataires, ont fouillé dans leurs souvenirs pour nous raconter plusieurs semaines de travail et de composition. Pour eux, le mot d’ordre est clair : innover et revenir à l’essence même de ce qui fait la musique pour sortir un disque unique.
« On était complètement coupé du monde. Pas de réseau, des vaches, la totale. Notre seule sortie du jour, c’était pour aller faire les courses », raconte le compositeur PH Trigano. Perdu dans les hauteurs des Ardennes, un studio discret laisse échapper des nappes de synthé de l’une de ses fenêtres. À l’intérieur : des musicien.ne.s, des instruments, des producteurs, des machines, des artistes et de l’énergie. C’est pour mieux créer qu’entre novembre 2019 et juin 2020, Primero, Loxley et Swing, le trio de L’Or du Commun, se réunissent en résidence pour élaborer une nouvelle œuvre. Ils se retranchent ainsi entre les murs du studio GAM pour dessiner les traits d’un deuxième album attendu : « Avant la nuit ».
Avec eux, les musiciens PH Trigano et Phasm mènent en tandem la réalisation et la production de l’opus. « On était dans une baraque à l’ancienne. L’acoustique a été faite dans les années 1970. Ça rend l’écoute vraiment chouette. Il y aussi un piano droit qu’on a pas mal utilisé et la salle de prise est cool. C’est à moitié roots mais techniquement c’est parfait. Le studio n’est pas clinquant mais les prods qu’on peut y faire sonnent bien parce que tu entends tout », décrit PH Trigano. Un cocon musical dont il a préféré taire l’adresse exacte pour garder l’endroit secret, réservé aux quelques connaisseur.se.s.
Dans cette scène, aux allures de huit clos, l’équipe a décidé de concentrer ses forces pour achever le disque. « L’Or du Commun a choisi de s’ouvrir à de nouveaux beatmakers après avoir beaucoup bossé avec Vax1. Ils voulaient trouver de nouvelles couleurs et ne pas s’enfermer », explique Phasm. PH Trigano nuance : « S’ouvrir oui, mais ça pose aussi des problèmes. Tu te retrouves avec des prods de plein de gars différents. À la fin tu dois tout relier. » Pour faire le lien, le groupe fait appel aux deux producteurs, capables de comprendre les besoins de chaque morceau et de proposer des solutions.
Crédit : DR.
Empreints d’inspirations américaines, les deux hommes, également colocataires, se complètent. Tandis que le chef d’orchestre du projet d’Ichon « Pour de vrai » maîtrise la mélodie, l’autre se distingue dans l’art de la percussion. Phasm précise : « J’étais surtout l’ingénieur son, j’enregistrais les voix et je prémixais les tracks. PH était plutôt sur les compositions et les arrangements. Les membres de L’Or du Commun sont très exigeants et savent exactement ce qu’ils veulent. On a été le tampon décisionnel pour pouvoir avancer et choisir ce qui allait fonctionner le mieux. »
« Terminer un album, c’est comme finir de construire une maison. Il faut peaufiner les fondations, élever les murs, peindre, c’est ça le délire », image PH Trigano. Et pour obtenir une architecture cohérente et uniforme, les deux beatmakers centralisent les travaux en proposant un univers sur mesure pour porter la mélancolie bien connue des trois rappeurs, mais aussi en apportant une atmosphère nouvelle. Un cocktail qui fait le lien entre l’ADN du groupe dans des morceaux comme C’est Dingue ou Négatif et un vœu de renouveau. Le musicien barbu poursuit : « On a amené des touches RnB dans les morceaux Sable ou À l’aube par exemple. On a aussi rajouté un côté organique avec l’utilisation du piano droit qu’on avait sur place et qui est très liant dans cet album. On en retrouve dans Nuit d’hôtel, Inertie, Pollen… Ça s’adapte à leur identité rap qui n’est ni du kick permanent, ni de l’ultra moderne à la Laylow. »
Le groupe L’Or du Commun. Crédit : Romain Garcin.
Sur les rails de cette direction artistique, les deux producteurs n’hésitent pas à revisiter complètement des maquettes déjà enregistrées. C’est le cas du morceau Inertie, la septième piste de la tracklist. « À la base, il y avait des couplets de Primero et de Loxley sur une prod trap de Dolfa, se souvient Phasm. On savait que c’était pas ça qui allait mettre en valeur le texte. On en a fait un morceau musical avec un piano et une batterie progressive, alors que c’était du pur rap. Et c’est ce travail qu’on a fait sur tous les tracks, à la manière d’un album de Kendrick Lamar ou du dernier Damso : “QALF”. On était tous effrayé de proposer quelque chose qui ressemblerait à une œuvre qui a déjà été faite. »
Guidés par un souci de l’instrumentalisation, les deux compositeurs mettent de côté les logiciels de production pour revenir à la raideur des notes imprimées sur le papier et posées sur un pupitre métallique. Sur les morceaux Pas de regrets, Ciel rouge et Inertie, ils choisissent ainsi d’inviter un quatuor de musicien.ne.s avec une contrebasse, un alto, un violon et une flûte. « C’était magique, confie PH Trigano avec enthousiasme. Ce sont des instruments que l’on entend peu dans le rap. On a tout composé et ils ont joué nos partitions. C’était une idée de Phasm et un vrai plaisir en tant que producteur. »
« C’était magique. Ce sont des instruments que l’on entend peu dans le rap. On a tout composé et ils ont joué nos partitions. »
De la même manière, ils préfèrent opter pour l’enregistrement de véritables hit-hats (ou Charlets, instrument de percussion composé d’une paire de cymbales, attachée à une batterie, NDLR) sur le titre Pollen pour retrouver des sonorités plus authentiques. Sur ce même morceau, L’Or du Commun s’offre d’ailleurs la présence de Roméo Elvis, révélé au grand public grâce à ses collaborations avec le groupe. Autour du piano droit du studio GAM, toute l’équipe participe à la composition du track : « On cherchait les accords ensemble, c’était chanmé. Tout le monde kiffait. C’est le manager de l’ODC qui a fait la topline du refrain. On avait pris deux verres de vin et il a voulu poser sa voix sur de l’auto-tune pour se marrer. On lui a mis la prod de Pollen et il a fait un putain de refrain. J’aime les histoires comme ça, c’est ça la musique, c’est humain ! », raconte PH Trigano.
Le groupe L’Or du Commun. Crédit : Romain Garcin.
Sur le deuxième featuring de l’album, Banane, qui mêle les voix de Caballero, Zwangere Guy et Roméo Elvis pour un all star Bruxelles, le compositeur dit avoir été impressionné par la performance de l’auteur de « Chocolat » : « Avec Phasm, on a fait la prod en trente minutes. Il écoutait et n’a pas arrêté d’écrire. Au bout d’un moment il a fait “je peux aller rec ?”, et il a posé sa partie en deux ou trois prises. Roméo a tué ça. Sur le coup, on se disait qu’il fallait qu’on lâche une bastos. Il y avait un peu de pression, mais positive. » Lorsqu’on lui demande si le pari est réussi, il répond sans détour : « Le morceau est très bon. C’est une prod très cainri avec des influences Kanye West : des couplets sombres, une prod qui switch pour apporter un rayon de soleil de gospel et des voix samplées. »
Une fois la résidence terminée, les quatorze maquettes prennent la direction du studio de Jules Fradet pour le mixage. Mission accomplie pour les deux Belges, la tête pleine de musique et de souvenirs. PH Trigano ajoute, penseur : « Tu ressors de ça, t’es au top. C’est comme de la méditation. Tu as bien mangé, bien dormi, tu regardes des films le soir, parfois les étoiles, tu fais des chichas… Des moments qui te rajoutent des points de vie plutôt que de t’en ôter. »
La réalisation de la cover
La pochette de « Avant la nuit » a été réalisée par le photographe Romain Garcin. Il raconte point par point les étapes de son travail.
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