Mosaïque

L’an­née 2020 a été riche en sor­tie pour le rap français, avec des ren­dez-vous du ven­dre­di soir tou­jours plus chargé. La rédac­tion de Mosaïque a décor­tiqué tous les albums, mix­tapes et EP parus pen­dant les douze derniers mois et vous livre sa sélec­tion. Nota Bene : ceci n’est pas un classement.

Les albums

« Trinity » — Laylow

Dans des suites binaires de 1 et de 0, Lay­low se dématéri­alise pour s’immerger dans l’univers de « Trin­i­ty ». Pris dans le tour­bil­lon d’un logi­ciel de stim­u­la­tion émo­tion­nelle, l’artiste fuit la dureté de sa réal­ité et s’enivre d’une euphorie arti­fi­cielle. Avant de remon­ter à la sur­face. Avec cet opus con­cept minu­tieuse­ment tra­vail­lé, le toulou­sain pro­pose une épopée audi­tive digne du film d’Andy et Lar­ry Wachows­ki (« Matrix », 1999). Emmené par des pistes inter­ludes qui guident l’écoute, sa musi­cal­ité déno­tent par une util­i­sa­tion exigeante, tan­tôt avant-gardiste, de l’auto-tune. Il artic­ule alors une ambiance vert-obscure qui tra­verse la haine, l’excitation, la peine et la mélancolie.

La richesse en guise de faire-val­oir, Dioscures comme archi­tecte. Le com­pos­i­teur laisse son empreinte sur douze morceaux et manip­ule avec bril­lo les atmo­sphères dan­tesques et dra­ma­tiques qui par­courent la track­list. Son asso­ci­a­tion avec le pianiste Sofi­ane Pamart donne égale­ment lieu à des ambiances abouties, poussées à leur parox­ysme. En témoigne la mélan­col­ie poignante de NAKRÉ où Lay­low se noie dans un cha­grin atrophié de vocaux robotiques.

À découvrir aussi sur Mosaïque : l’album « Trinity » revisité sous forme de conte.

Sans porter l’ambition du texte et du lyri­cisme, il livre un pro­duit com­plet qui vibre tout autant avec l’âme de Lomepal, Alpha Wann, Jok’air, S.Pri Noir… Tous invités avec justesse. « Trin­i­ty » mar­que la fin du suc­cès d’estime d’un mod­erniste. Un accom­plisse­ment inespéré, auréolé d’un disque d’or au mois de novem­bre. Lay­low signe ain­si la vic­toire d’un rap dig­i­tal encore niché, aux allures d’une nou­velle vague artis­tique. Bla­son couleur Dig­i­tal Mundo.

- Thibaud Hue

« Adios Bahamas » — Népal

Pre­mier et dernier album d’un artiste insai­siss­able, « Adios Bahamas » mar­que le début de l’année 2020 par sa fraîcheur. Ce tes­ta­ment musi­cal se démar­que de la plume som­bre et acerbe à laque­lle nous avait habitué jusqu’alors Népal. Comme s’il avait enfin sor­ti la tête de l’eau après avoir sondé les abysses, le rappeur de la 75e ses­sion égraine dans un album aux sonorités claires et mélodieuses, ses principes de vies : appren­dre à con­naître ses enne­mis, ne pas céder à la néga­tiv­ité, faire de sa dif­férence une force… 

À découvrir aussi sur Mosaïque : le décryptage complet de l’album dans un dossier en deux parties.

Avec cet album, salué par la cri­tique, Népal opère une mue intel­lectuelle et musi­cale tout en restant proche de ses valeurs. Une évo­lu­tion qui se retrou­ve notam­ment dans le morceau Sun­dance, ode à l’anticonformisme et à l’art indépen­dant, pro­duit par Diabi.

- Robin Spiquel

« QALF » — Damso

En pré­pa­ra­tion depuis près de cinq ans, « QALF » sem­ble sor­tir des tripes du rappeur brux­el­lois, au sens pro­pre comme au fig­uré. Cham­boulé par la mal­adie de sa mère, Damso offre une intro­spec­tion qua­si-com­plète. De l’absence de son fils jusqu’aux sou­venirs d’un passé de galère, l’album s’épanche sur la con­tra­dic­tion d’une vie d’opulence et de ses sen­ti­ments trou­bles, vis-à-vis de ses rela­tions per­dues. L’album fait référence à ses orig­ines, tant par ses sonorités (MEVTR), ses lyrics (POUR L’ARGENT) que par ses col­lab­o­ra­tions (FAIS ÇA BIEN). L’amour est traité dans son côté le plus som­bre : sa com­plex­ité et la peur vis­cérale qu’il apporte par instant.

À découvrir aussi sur Mosaïque : le photographe de la cover de « QALF » raconte sa réalisation.

Au terme d’un album riche et var­ié, l’ultime track INTRO soulève des inter­ro­ga­tions chez les damso­logues pro­fes­sion­nels. Damso sait mieux que quiconque que la fin d’une aven­ture n’est finale­ment rien d’autre que le début d’un nou­veau périple. Tous les espoirs sont désor­mais per­mis pour mar­quer encore davan­tage le retour du Dems à la Vie.

- Maxime Guillaume

« Stamina, » — Dinos

« Sta­mi­na, », un sec­ond souf­fle, du tra­vail, et surtout une vir­gule. Alors que le Punch­li­novic n’est même plus tac­i­turne, Dinos revient avec un album plus spon­tané. Moins mélodieux dans son approche, l’artiste n’a rien per­du de ses flows et pro­pose des morceaux tou­jours aus­si dens­es. Il mon­tre alors une nou­velle fois l’épaisseur dont il a le secret et sa capac­ité à provo­quer de l’émotion en toute simplicité.

Pour la pre­mière fois, il invite cinq artistes. Qua­tre d’entre-eux n’apparaissaient pas sur la track­list, réser­vant la sur­prise à la pre­mière écoute de son pub­lic. Le fea­tur­ing avec Nek­feu apporte un relief immé­di­at et fait écho à leur pre­mière col­lab­o­ra­tion en 2013 (Bouchées triples). Mal­gré les bonnes per­for­mances de Leto, Zefor ou encore Zixko, leurs presta­tions ne ramè­nent pas de valeur ajoutée à la direc­tion artistique.

Si l’instrumentalisation mon­tre moins de richesse que sur l’album précé­dent, elle con­serve toute sa cohérence avec une équipe de beat­mak­ers qui lui est cou­tu­mière (Ken & Ryu, Chapo, twins­mat­ic). La boucle de syn­thé vin­tage qui rythme sa presta­tion avec Lay­low et la par­tie de piano de Sofi­ane Pamart sur 93 mesures sont toute­fois par­ti­c­ulière­ment remarquables.

« Sta­mi­na, » signe une nou­velle dynamique de la part d’un Dinos moins cli­vant et ouvert à un pub­lic plus large. En témoigne les titres Je Wan­da ou Le Nord se sou­vient qui cassent avec sa musi­cal­ité habituelle. Un virage impor­tant mais maîtrisé.

- Amaël Coquel et Thibaud Hue

« LMF » — Freeze Corleone

« La Men­ace Fan­tôme » a déjà fait couler beau­coup d’encre. Con­sid­éré par beau­coup comme l’album de l’année, Freeze Cor­leone a frap­pé un grand coup. Porté par le sin­gle à suc­cès Desi­ign­er, le pro­jet était par­ti­c­ulière­ment attendu. 

Avec plusieurs mois de recul, il est clair que « LMF » ne perd pas de sa saveur. Un album pur rap dans la lignée de ce que pro­pose l’artiste. D’Osirus Jack, à Despo Rut­ti, en pas­sant par Le Roi Heenok ou Alpha 5.20, les nom­breux fea­tur­ings de l’album cor­rè­lent avec l’univers som­bre et énig­ma­tique de Chen­Zen. Une rib­am­belle de rois sans couronne, réu­nis pour en élever un autre vers la lumière. 

À découvrir aussi sur Mosaïque : Freeze Corleone, en finir avec le succès d’estime ?

Très bien reçu par la cri­tique et par les fans, l’opus n’en reste pas moins lim­ité sur cer­tains points. Il est par­fois dif­fi­cile de se rep­longer dans le pro­jet, tant l’ambiance pro­posée par les pro­duc­tions de Flem s’étend sur un nom­bre impor­tant de tracks. La musi­cal­ité intense peut par­fois sem­bler oppres­sante et rebute après des semaines intens­es d’écoute. Lyri­cale­ment, de nom­breuses punch­lines se répè­tent, mar­quant les lim­ites de l’univers com­plo­tiste du rappeur. 

Freeze Cor­leone sem­ble avoir trou­vé sa recette, mais va devoir la renou­vel­er pour per­dur­er dans le temps. Mal­gré ces réserves, « La Men­ace Fan­tôme » demeure l’un des albums les mieux réal­isés de l’année. Freeze Cor­leone pro­pose une direc­tion artis­tique bien dess­inée et sin­gulière. Il affirme alors son nou­veau statut d’homme fort du rap français.

- Jules Careau

« Gore » — Lous & The Yakuza

Après plusieurs mois de mon­tée en puis­sance, Lous & The Yakuza sort son pre­mier pro­jet. Com­posé de dix titres, « GORE » est un album musi­cale­ment très var­ié dans la forme, mais con­serve un fond très cohérent. La jeune belge abor­de avec sourire la cru­auté humaine et analyse un monde dans lequel la soli­tude devient son refuge.

Poly­va­lente, l’artiste n’a pas hésité à user de toute sa palette artis­tique. Sur des instru­men­tales lentes ou ryth­mées, joyeuses ou obscures, Lous s’adapte avec intelligence.

À découvrir aussi sur Mosaïque : l’analyse du phénomène Lous & The Yakuza, seule dans un monde « Gore ».

Rapi­de­ment éti­quetée comme rappeuse par la sphère médi­a­tique après la sor­tie de ses titres Tout est gore ou encore Dilemne, Lous & The Yakuza pro­pose un con­tre-pied avec un album chan­té et mélodieux, où seules quelques phas­es rap­pées appa­rais­sent avec parci­monie. Bien pro­duit, notam­ment grâce à la présence de David Mems, égale­ment com­pos­i­teur pour Damso, l’o­pus offre une pre­mière fenêtre promet­teuse sur l’u­nivers de l’artiste. Som­bre dans le fond, col­oré dans la forme. 

- Yas­sine Ben Amor

« Pour de vrai » — Ichon

EntI­chon-nous

Ichon est né il y a trente ans mais vient de com­mencer à vivre. Dévoilé le 11 sep­tem­bre 2020, jour de son tren­tième anniver­saire, l’artiste a voulu étein­dre ses bou­gies en délivrant un album per­son­nel sur lequel souf­fle un vent de lib­erté. Au cours des 15 morceaux de « Pour de vrai », Ichon voy­age sans bous­sole à la ren­con­tre d’une boucle de sax­o­phone, de clavier ou de notes de piano. 

Le pro­jet s’écoute comme on écouterait une sym­phonie : les yeux fer­més en se lais­sant guider par l’orchestre dont la voix du rappeur est le mae­stro. Un chef d’orchestre qui ralen­tit les tem­pos pour par­ler d’amour et d’espoir. Une poésie aus­si légère qu’authentique, cristallisée dans le morceau Litanie. Moment de sus­pen­sion solen­nel où l’artiste ne fait réson­ner que son tim­bre, tel un cantique. 

Artiste affranchi qui n’hésite pas à se mon­tr­er nu dans son clip-métrage d’Elle pleure en hiv­er, Ichon nous fait danser, rire et pleur­er. Par­fois, tout à la fois. Un album com­plet et équili­bré qui recèle cer­taine­ment d’une des plus grandes diver­sités musi­cale de l’année.

Eclip­sé par l’éclaboussante réus­site de Freeze Cor­leone, « Pour de vrai » s’est ven­du en pre­mière semaine à 582 exem­plaires et rap­pelle une fois de plus que les chiffres de ventes ne déter­mi­nent pas la qual­ité d’un pro­jet. Il démon­tre aus­si que l’authenticité artis­tique est une prise de risque autant qu’un besoin vis­céral de rester soi-même. Pour de vrai.

- Lise Lacombe

« Atlas » — twinsmatic

« On l’a fait sans auto-tune sur une prod de twins­mat­ic », cette phase mythique de Damso dans Macare­na est un exem­ple, par­mi d’autres, de l’empreinte lais­sée par les twins­mat­ic sur le rap français ces dernières années. 

Après le départ de Nadeem, mem­bre du duo beat­mak­er, c’est à Julian de porter le poids du monde sur ses épaules, tout comme Atlas, le titan grec qui sert égale­ment de titre éponyme du pro­jet. Un tour de force réus­si grâce à un échan­til­lon diver­si­fié de pro­duc­tions et des col­lab­o­ra­tions cohérentes. 

Sur des com­po­si­tions trap qu’on lui con­naît bien, il invite SCH, Dinos ou encore Koba LaD qui font ray­on­ner l’o­pus. Pour autant, il ouvre aus­si son spec­tre à des artistes moins exposés comme Box et Marj qui chante à la fois en anglais et en français. Il parvient aus­si à entr­er dans l’univers par­ti­c­uli­er d’Ash Kidd, con­nu pour ses mélodies et épaulé par la gui­tare de Waxx.

Pour un album mar­qué par les tran­si­tions har­monieuses entre ses tracks, c’est le pro­jet en tant que tel qui effectue la meilleure des tran­si­tions. twins­mat­ic se renou­velle ain­si en tant qu’artiste solo et s’af­firme comme un pro­duc­teur à part entière.

- Lukas Taylor

« Les derniers salopards » — Maes

Comp­tant près de 260 000 albums ven­dus en 2020, Maes a su per­dur­er dans le temps, tout en pro­gres­sant. Dans le sil­lage d’une intro puis­sante qui absorbe l’auditeur dès les pre­mières notes, l’artiste nous laisse percevoir ses pen­sées les plus intimes et se mon­tre vul­nérable. D’autre part, trois fortes col­lab­o­ra­tions (Boo­ba, Nin­ho et Jul) per­me­t­tent à l’album de pren­dre plus de poids. Le morceau Dybala en fea­tur­ing avec Jul, cer­ti­fié disque de dia­mant, répond aux attentes avec un sin­gle réal­isé avec justesse. 

Néan­moins, la répéti­tion de ses flows et de ses mélodies lui est sou­vent reprochée. Maes va cer­taine­ment devoir sor­tir de sa zone de con­fort pour con­tin­uer d’at­tis­er la curiosité. Mal­gré tout, le rappeur a prou­vé durant toute cette année, et à plusieurs repris­es, que son tal­ent de mélodiste régit une bonne par­tie de la scène rap actuelle. Il fait indé­ni­able­ment par­tie de la cour des grands.

- Imane Lyafori 

Les mixtapes

« don dada mixtape vol 1 » — Alpha Wann & Co

Avec une assur­ance non­cha­lante, Alpha Wann a souhaité ponctuer l’année 2020 sans ambi­tion appar­ente. Let­tres minus­cules, pro­duc­tions min­i­mal­istes, déc­la­ra­tions dis­crètes… Pour le gourou de l’écurie Don Dada, le mot d’ordre est clair : faire dans le détail et la sobriété.

Sur des com­pos­tions à la musi­cal­ité presque new-yorkaise, le rappeur trou­ve un juste point de bas­cule entre des cou­plets intens­es que son pub­lic lui con­naît bien (la lune attire la mer) et de nou­velles pos­tures, plus mesurées, et non moins tech­niques (philly flingo, apdl).

À découvrir aussi sur Mosaïque : l’avis de la rédaction sur la « don dada mixtape vol 1 ».

Avec dix-sept titres et onze invités, Alpha Wann redonne sens au for­mat de la mix­tape et laisse la place aux tal­ents des plus instal­lés (Kalash Crim­inel, Kaaris) ain­si qu’à d’autres rook­ies en quête de con­fir­ma­tion. S’il se fait un trait d’union effi­cace entre ses dif­férents fea­tur­ings, le pro­jet, de part son essence, souf­fre aus­si de per­for­mances iné­gales. C’est le cas des presta­tions de K.S.A (super swish­style 2) et Ratu$ (velux), pour qui la marche était sans doute trop haute pour pou­voir user de trois min­utes en solo aux côtés de Philly Flingo.

L’occasion est aus­si par­faite­ment trou­vée pour recrois­er le fer avec son com­pagnon de for­tune Nek­feu, et pro­pos­er un match retour à Comptes les hommes (« Les étoiles vagabon­des », 2019). Chose faite et pari réus­si pour les deux hommes qui tro­quent le passe-passe pour un refrain chan­té et des cou­plets dis­tincts très bien exé­cutés. « don dada mix­tape vol 1 », la qual­ité en guise de promotion.

- Thibaud Hue

« Jour avant caviar » — Meryl

Portée par la hype de Wol­lan ou Béni, Meryl prof­ite du début d’année pour envoy­er son pre­mier jet : « Jour avant caviar » et se lance défini­tive­ment dans une car­rière musi­cale déjà bien dess­inée. Topline pen­sante pour des têtes d’affiches comme Shay, Niska ou SCH, la jeune femme se con­sacre à elle-même sur un pro­duit col­oré qui ne manque pas d’identité.

À la croisée de ses orig­ines mar­tini­quais­es, la rappeuse ne manque pas de mélanger les styles. Pour rebondir sur des pro­duc­tions trap (TCQDOF) et des ambiances zouk aux drums ensoleil­lés (Coucou), Meryl empreinte à la langue française, mais aus­si par­fois à l’anglais et au créole.

La chaleur de la mix­tape réside aus­si dans l’unique col­lab­o­ra­tion de la mix­tape : La brume. La voix cristalline du rappeur et pro­duc­teur Le Motif se con­fond avec celle de Meryl sur le refrain et le deux­ième cou­plet du morceau qui ray­onne d’une pro­duc­tion de Junior Alaprod. Proche des deux artistes, le com­pos­i­teur, qui signe la moitié des prods du pro­jet, fait alors réson­ner par deux fois son gim­mick et ren­force l’impression d’un trio.

Avec car­ac­tère, la rappeuse débar­que et mon­tre une palette de flows et de tech­nic­ité promet­teuse. Dans l’attente d’une con­fir­ma­tion qui vien­dra, peut-être, en 2021.

- Thibaud Hue

« À moitié loup » — sean

Entre le mélan­col­ique heureux et le nos­tal­gique radieux, sean est tou­jours à moitié. Cou­vert de four­rure, il présente sa pre­mière mix­tape : « À moitié loup ». Après avoir dévoilé les six pre­miers morceaux le 10 avril 2020, l’artiste a com­plété sa track­list de douze titres deux semaines plus tard.

Un opus dou­ble face, à l’image de l’atmosphère de la mix­tape, qui bal­ance entre la douceur de Chan­son d’amour et l’exotisme de San­ta Muerte. Il casse ain­si les pre­miers traits de son per­son­nage, esquis­sé sur « Mer­cu­tio » (2019) et pro­pose une méta­mor­phose à contre-pied.

À découvrir aussi sur Mosaïque : l’interview de sean.

Loup enragé et tor­turé, il laisse entrevoir une lune intense pleine de nos­tal­gie, d’inquiétude et d’émoi. Sur son con­cept, il expli­quait à Mosaïque : « Avec le côté loup, j’évoque le vice et les ten­ta­tions. C’est le côté ani­mal qui rat­trape, qui est instinc­tif et qui se rap­pelle à nous dans cer­taines sit­u­a­tions. Je veux par­ler de la dual­ité que nous avons tous en nous. Celle du bien et du mal. »

Par­fois lisse, par­fois rugueux, il con­firme aus­si sa poly­va­lence tech­nique. Avec le juste traite­ment de sa voix métallique et des lignes de chant plus ouvertes, mais pas moins maîtrisées, il boni­fie ses per­for­mances déjà remarquées.

Comme une cathar­sis de ses démons intérieurs, sean entrevoie une suite déjà dif­férente. En témoigne son dernier EP : « MP3+WAV », dévoilé en novembre.

- Thibaud Hue

« XXIII : Bilan de vie » — Gianni

Sur ce pro­jet, Gian­ni fait un bilan intro­spec­tif som­bre et fatal­iste. À tra­vers les 12 titres, le rappeur s’acharne à se dépein­dre comme un pro­duit de son envi­ron­nement. Con­damné à ven­dre de la drogue, le cœur blessé et la mort dans la peau, Gian­ni rejette l’amour. Le seul remède à ses souf­frances demeure : l’argent.

Un con­stat dés­abusé porté par de belles tour­nures où le rappeur parvient à trans­former ses souf­frances en poèmes. L’ambiance planante cloud rap du pro­jet se prête par­faite­ment aux pro­pos. On notera d’ailleurs la présence sur qua­tre morceaux du beat­mak­er Boumid­jal, pro­duc­teur pour Nin­ho, Damso ou encore Niska.

Sur « XXIII : Bilan de vie », Gian­ni donne l’image d’un jeune homme ani­mé par l’envie de s’en sor­tir, s’accrochant aux notes de musique qui finis­sent en l’air mais retombent dans le déter­min­isme de son quo­ti­di­en. Une las­si­tude qu’il partage avec le rappeur améri­cain Don Toliv­er sur le morceau De La Hoya, pour la pre­mière col­lab­o­ra­tion du rappeur pro­tégé de Travis Scott avec un rappeur français. 

Le thème du deal et de ce qui l’entoure par­court tout le pro­jet, de manière peut-être exces­sive puisqu’aucun des douze titres n’est épargné. Gian­ni se dépeint comme une mau­vaise graine dev­enue fleur du mal. C’est en tout cas une jeune pousse pleine de tal­ent qui devrait s’épanouir dans le jardin du rap français.

- Lise Lacombe

« Jeune CEO » — Le Juiice

À l’image du titre de la mix­tape, Le Jui­ice n’a pas de temps à per­dre. C’est avec une arro­gance non dis­simulée qu’elle débite son flow sur les 10 titres de son pro­jet. Elle démon­tre en puis­sance qu’elle est bien la reine de la trap. Sur des instrus qua­si­ment toutes signées Dra­co, la rappeuse déploie son égotrip en découpant la prod. Une recette bien ficelée et équili­brée par les fea­tur­ings de la mixtape.

L’artiste a su tir­er prof­it des qual­ités de cha­cun de ses invités. Les col­lab­o­ra­tions sont réussies et bien amenées. Sta­vo lui offre un banger effi­cace avec Buvance tan­dis que Meryl joint son flow antil­lais sur une zum­ba red­outable (O NONO). Enfin, Jok’air apporte la note sucrée qui man­quait au pro­jet avec Rich sex. Au fur et à mesure de l’écoute de « Jeune CEO », on souhait­erait que Le Jui­ice puisse vari­er son flow. C’est heureuse­ment, presque tar­di­ve­ment, que l’artiste sort de sa zone de con­fort sur les trois derniers titres. 

Comme s’il fal­lait d’abord appren­dre à la con­naître pour bris­er la glace, la rappeuse attend la fin pour se livr­er et laiss­er tomber le masque egotrip de la femme puis­sante et insen­si­ble. Le pro­jet s’adoucit et s’émancipe du kick pour des refrains auto-tunés. Le thème de l’amour trou­ve égale­ment sa place sur des sonorités soul et R’n’B. Le Jui­ice nous fait ain­si miroi­ter son poten­tiel et sa capac­ité à s’affranchir de la trap pour aller vers de nou­veaux hori­zons, plus doux, qui lui vont tout aus­si bien.

- Lise Lacombe

Les EP

« Boscolo Exedra » — Luidji

Avec « Bos­co­lo Exe­dra », Luid­ji nous offre à la fois une suite à son pre­mier album « Tristesse Busi­ness : Sai­son 1 », ain­si qu’un apéri­tif pour une deux­ième sai­son éventuelle.

Sur ce pro­jet, Luid­ji change de décor mais pas de recette. En invi­tant son idylle du moment sur la Côte d’Azur, il prou­ve encore une fois son attache à l’eau, thème omniprésent sur son pre­mier album. Une attache ren­for­cée par le titre du troisième morceau de l’EP : Sirène. Le temps d’une sai­son esti­vale, le rappeur coupe court à sa frénésie sen­ti­men­tale de peur de se rep­longer dans ses mau­vais­es habi­tudes. Con­scient de n’être pas encore guéri de ses maux.

À découvrir aussi sur Mosaïque : le décryptage de la place de l’eau dans son premier album : « Tristesse Business, Saison 1 ».

Luid­ji s’ou­vre aus­si davan­tage musi­cale­ment. En témoigne, les appari­tions dis­crètes d’Astrønne et de Nemir sur le pro­jet et la con­fi­ance don­née à Ryan Kof­fi pour la pro­duc­tion du projet.

Si « Bosco­la Exe­dra » est une pre­mière réponse à ses tour­mentes, Luid­ji néces­site un soin plus pro­fond. Sur l’outro de l’EP, il dis­cute avec la même femme présente sur l’intro de Veuve Cliquot, une vieille amie de son père, qui lui pro­pose de suiv­re une thérapie afin de se débar­rass­er de ces prob­lèmes rela­tion­nels. « Tristesse Busi­ness : Sai­son 2 » son­nera-t-il l’heure de la guérison ? 

— Lukas Taylor

« Lotus » — SONBEST

Du cloud à la trap, du kick aux refrains chan­tés, la matu­rité du rappeur orig­i­naire de Col­mar dénote. Sym­bole d’un rap qui repousse les lim­ites de ce qui le car­ac­térise, « Lotus » de SONBEST pro­pose une esthé­tique fine et intro­spec­tive. À Mosaïque, le rappeur explic­i­tait : « Le lotus, c’est la fleur de l’espoir. Elle pousse dans les marécages et ça ne l’empêche pas d’être une belle fleur, mal­gré son environnement. »

À découvrir aussi sur Mosaïque : l’interview de SONBEST.

Un deux­ième EP promet­teur, accom­pa­g­né de visuels con­cep­tu­al­isés (Ago­nie, XO), et d’une pro­duc­tion sur mesure enrichie de sound design.

- Thibaud Hue 

« Alt F4 » — Swing

Deux ans après son pre­mier pro­jet solo « Marabout », Swing est de retour avec un style épuré et un phrasé plus chan­tant. Un EP com­pact, sept titres seule­ment, porté par des instru­men­tales planantes et per­cu­tantes signées PH Trig­ano, Cray­on, Duñe, Twenty9 ou encore Krisy. Côté voix, le Brux­el­lois a fait le choix de la com­plé­men­tar­ité en allant chercher la douceur d’Angèle sur S’en aller et le tim­bre cassé de Némir sur Indélé­bile.

Un pro­jet con­cis, dans lequel Swing évoque pêle-mêle le racisme, la mélan­col­ie et ses sac­ri­fices avec la légèreté dont il a le secret. Cohérent, jusque dans son imagerie. Six clips réal­isés par le même duo Maky Mar­garidis & Louis Lekien du col­lec­tif Bleu Nuit, dont qua­tre en plan séquence fixe. Un pro­jet maîtrisé de bout en bout. 

- Robin Spiquel 

« Ëpisode 0 » — Sopico

En mai 2020, Sopi­co dévoile son cinquième pro­jet : « Ëpisode 0 », deux ans après son pre­mier album « YË ». Une col­lec­tion de morceaux aux couleurs var­iées et sin­gulières, mar­que de fab­rique du rappeur parisien.

L’EP s’ouvre sur Atter­rir, une porte d’entrée vers un univers planant, com­posé de notes légères, trans­portant l’auditeur hors du temps. Pour don­ner nais­sance au pro­jet, l’artiste a voy­agé, s’imprégnant des cul­tures pour ouvrir le champ musi­cal des possibles. 

À découvrir aussi sur Mosaïque : Sopico, vers l’acoustique et au-delà. 

Tous reliés entre eux, les septs morceaux peu­vent être lus comme un seul et unique titre, un seul et unique voy­age : « Si les gens me dis­ent, Ëpisode 0, c’est mon morceau préféré, je serai trop con­tent », con­fi­ait-il à Clique.

L’artiste reste fidèle à une for­mule qu’il maîtrise par­faite­ment : des textes délivrés sur un ton doux et mélodieux qui peut s’apparenter à une berceuse. « Ëpisode 0 » est une bouf­fée d’oxygène dans un quo­ti­di­en anxiogène.

- Imane Lyafori 

2020 c’était aussi…

« Cercle Vertueux » — Deen Burbigo

Trois ans et demi après un « Grand Cru » qui a bien mûri jusqu’à être cer­ti­fié disque d’or, Deen Bur­bi­go revient le 6 novem­bre 2020 avec « Cer­cle Vertueux ». Sur le pro­jet, l’ex-membre de L’Entourage n’a fait que peu, si ce n’est aucun com­pro­mis artis­tique, en faisant ce qu’il fait le mieux : rap­per. Il parvient à servir 15 titres dans lesquels sa plume aigu­isée et sa recherche per­ma­nente de rimes se font ressen­tir sans tomber dans la redon­dance grâce à des vari­a­tions d’instrumentales et de flows. Si les fea­tur­ings avec Némir ou Alpha Wann appor­tent une touche de diver­sité, des clips tra­vail­lés et orig­in­aux vien­nent sub­limer un pro­jet déjà très solide.

- Yas­sine Ben Amor 

« Nø future » — WIT.

Entre le pes­simisme et le fatal­isme, le rappeur entrevoie des lueurs som­bres : celles du futur. Dans cette « sale époque » (Fal­con) sans solu­tion qui se pro­file, Wit. ressent « la mis­ère du monde ». De l’intensité, de la noirceur, des cou­plets étouf­fants comme sur Ailleurs ou des refrains chan­ton­nés et tein­tés d’auto-tune comme sur Proz. Tout en maîtrise, « Nø future » est une promesse tenue et promet­teuse. Loin d’une con­sécra­tion, l’artiste a d’ailleurs pré­cisé que ce pro­jet n’était qu’une étape pour avancer. Désor­mais, place au futur.

- Thibaud Hue 

« Silver Tej » — Tejdeen

2020, c’est l’année de l’éclosion d’un artiste encore dis­cret mais qui attire les regards en couliss­es. Rappeur et beat­mak­er, Tejdeen débar­que et prou­ve son assise musi­cale. À tra­vers des rythmes lanci­nants et une auto-tune grésil­lante mesurée, il développe une ambiance classieuse qui mêle mélan­col­ie, ten­ta­tions amoureuses et égotrip.

À découvrir aussi sur Mosaïque : le décryptage du premier EP de Tejdeen.

Har­monieux, c’est en tout cas ce que laisse penser le pre­mier jet du rappeur lyon­nais et ses visuels, signés Augure. Même con­stat pour son deux­ième pro­jet, « Gold­en Tej », sor­ti au mois de novembre.

- Thibaud Hue

« Ma vie n’est pas un film II » — Infinit

Le kickeur de l’écurie Don Dada Records sort le grand jeu avec un opus tail­lé de phrasés dens­es et orné de mul­ti­syl­labiques affinées. En con­stante pro­gres­sion, il répond aux attentes et renoue avec une école clas­sique et un rap brut. Sans fior­i­t­ure. Références et rimes rebondis­sent sur des prods de Jay­Jay, accou­tumé au style min­i­mal­iste d’Alpha Wann, d’ailleurs présent sur deux morceaux. Deen Bur­bi­go et Gros Mo vien­nent égale­ment se fon­dre au pro­jet avec justesse. Bilan : Infinit’ pro­gresse, épure et achève de convaincre.

- Thibaud Hue 

« La vie augmente Vol .3 » — Isha

Un durag sur la tête, Isha réus­si le pari de Décor­er les murs avec des titres plus mélodieux que dans les deux vol­umes précé­dents de sa trilo­gie. À l’aide d’une plume tou­jours aus­si pré­cise qu’in­spirée, le rappeur offre le poé­tique Les Magi­ciens. Il retrace l’his­toire colo­niale du Con­go à la manière d’un con­te. Il y évoque les souf­frances d’un peu­ple pris au piège de la « magie » des colons sur une prod aux sonorités joyeuses, per­tur­bée par la mon­stru­osité du réc­it. Men­tion spé­ciale pour le fea­tur­ing avec Dinos où les deux « paroliers fauchés » se retrou­vent pour rejeter la pos­ture de l’Idole. « Tout le monde dit qu’j’vais cer-per », rappe Isha dans l’outro. Une prophétie qui pour­rait se réalis­er avec la sor­tie de son nou­v­el album en 2021. 

- Amaël Coquel 

« Première partie » — Le Motif

À la suite de sa série Un son par jour, Le Motif sort « Pre­mière Par­tie », un EP com­posé de 8 titres. S’il est une révéla­tion en tant qu’interprète, Le Motif est loin d’être un novice dans le rap game. L’artiste belge est à l’origine de gros suc­cès, en tant que beat­mak­er, tels que Mobali (Siboy, Damso, Benash) ou encore Liq­uide (Shay, Niska). C’est sans doute ce qui explique la qual­ité de ce pro­jet : une essence dans la musi­cal­ité et un tra­vail minu­tieux. Chaque morceau dégage sa pro­pre énergie et trou­ve un écho chez l’auditeur.

- Imane Lyafori 

« Rage » — 7 Jaws & Seezy

Fruit d’une col­lab­o­ra­tion entre le rappeur alsa­cien 7 Jaws et le pro­duc­teur Seezy, la mix­tape « Rage » est parue le 21 Févri­er 2020. Pro­jet col­lab­o­ratif de 10 morceaux, 7 Jaws innove avec ce nou­veau pro­jet. Il pro­pose en effet une mix­tape musi­cale­ment très var­iée, d’ambiances turn-up (Tur­bo S et Block), aux morceaux plus intimes (Accro, C’est Promis) en pas­sant par de belles démon­stra­tions tech­niques (Par Ici). Très effi­cace en refrain, le pro­jet est acces­si­ble, avec une auto-tune bien léchée et une plume touchante. Réus­site com­mer­ciale, cette mix­tape présage du très bon pour la suite. 7 Jaws a d’ailleurs annon­cé un pre­mier album pour 2021.

- Jules Careau 

« EP901 » — Nixfé

Rappeur encore peu con­nu, Nixfé a le poten­tiel pour faire par­ler de lui. Avec son pre­mier pro­jet « EP910 », sor­ti le 18 sep­tem­bre 2020, Lon­ny a  dévoilé sa (dou­ble) per­son­nal­ité et son iden­tité artis­tique. L’EP dénote par sa cohérence minu­tieuse jusqu’au nom­bre de ses titres : six pour le mois de juin, son mois de nais­sance, mais aus­si en référence au dia­ble pour un artiste qui se sent « aus­si pur que vicieux ».

À découvrir aussi sur Mosaïque : l’interview de Nixfé.

Nixfé mise sur un pro­jet abouti avec lequel il déploie une palette large et racon­te une his­toire qu’il nous avait partagé lors de sa pre­mière interview. 

- Lise Lacombe 

« HORION » — Rounhaa

Alors que tous les artistes émer­gents ont préféré opter cette année pour des pro­jets courts, Roun­haa débar­que en novem­bre avec une track­list de 16 morceaux. Un for­mat long et osé. Le pro­jet n’est ni tout à fait un album, ni tout à fait une mix­tape. À l’image de la con­stel­la­tion Ori­on qui regroupe des étoiles pour se dessin­er sur la voûte céleste, Roun­haa pro­pose un ensem­ble des couleurs qui con­stituent sa palette artistique. 

Roun­haa parvient à nous trans­porter dans son univers grâce à son grain de voix joli­ment rocailleux. Au cours de son voy­age soli­taire, l’artiste a trou­vé sur sa route le rappeur Khali, autre affiche de la scène rap émer­gente. Si « Hori­on » aurait mérité d’être épuré de quelques morceaux, l’artiste fait le pari du passionné.

- Lise Lacombe 

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