Mosaïque

Par­fois pétil­lante et spon­tanée, par­fois réfléchie et pru­dente, Clara Char­lotte fait ses pre­miers pas dans le grand bain. Avec son pre­mier EP « Venus », paru le 4 juin 2021, elle dévoile les pre­mières teintes de son univers musi­cal. Entre ses inspi­ra­tions soul, trap, et ses fea­tur­ings avec Squid­ji, Geeeko et Pro­to­type, la chanteuse orig­i­naire d’Or­léans dresse une propo­si­tion de car­ac­tère et s’imag­ine déjà de grands projets.

Assise à une ter­rasse parisi­enne, elle s’est con­fiée à Mosaïque sans avoir peur de ren­tr­er dans son intim­ité ou dans ses réflex­ions per­son­nelles sur sa musique et sa nou­velle vie d’artiste. Tout au long de votre lec­ture, décou­vrez le shoot­ing d’Inès Man­souri qui a pho­tographié la jeune femme dans une rue parisi­enne. Sans filtre.

Quand Clara Char­lotte nous rejoint sur la ter­rasse du restau­rant Aux saveurs d’I­tal­ie dans le 17e arrondisse­ment de Paris, accom­pa­g­née de son man­ag­er, elle ray­onne. Ces dernières semaines ont été déci­sives pour la jeune artiste qui a dévoilé son pre­mier jet artis­tique. Si cer­taines pre­mières propo­si­tions restent dis­crètes, « Venus », son EP de six titres, n’est pas de ceux-là. Remar­qué à sa sor­tie, le pro­jet a éveil­lé la curiosité des plus grand.e.s. Avec un sourire béat, elle soulève avant de com­mencer l’entretien : « Je n’attendais pas vrai­ment de retours. Mais finale­ment, j’ai eu des mes­sages de gens à qui je n’aurais jamais pen­sé que ça plairait. » Elle énumère. « Amel Bent, Meh­di Maïzi… C’est sur­prenant pour une petite per­son­ne comme moi d’être prise dans ce filet sans s’en ren­dre compte. Ça fait peur aus­si. J’ai envie de la garder cette peur parce que sans elle, on ne fait plus preuve de courage. »

La jeune orléanaise prend rapi­de­ment les rênes de la dis­cus­sion. Ravie de pou­voir s’exprimer sur son art, elle n’hésite pas à s’épancher lors de ses répons­es et à rebondir par elle-même. « Ce nou­veau pro­jet, c’est un bébé sur lequel je tra­vaille depuis que j’ai 18 ans et qui a bien gran­di. C’est frus­trant de devoir mon­tr­er celle que j’étais il y a trois ans alors que j’ai 21 ans aujourd’hui. » Pour­tant, même si le temps s’en est allé, l’authenticité de sa musique est tou­jours la même : « J’évolue et je me renou­velle sans cesse dans mon art mais ça reste le même tissu. »

Un tis­su sur lequel elle a cousu de nom­breuses influ­ences bien dis­tinctes. Le six­ième et dernier morceau du pro­jet en témoigne : « Elle, c’est un son que j’ai écris il y a deux ou trois ans. Il y a un côté très instru­men­tal avec une gui­tare brute. C’est le côté de Clara Char­lotte soul qui écoutait plus jeune du Aretha Franklin. » Pour se con­stituer une ADN sur-mesure, la chanteuse a digéré ses influ­ences : « Quand je suis arrivée à Paris, les gens ont com­mencé à me dire : “On dirait que t’écris des textes rap­pés mais que tu les chantes.” J’ai com­mencé à chanter du RnB soul sur des prods trap et à écrire façon rap des textes que je met­tais sur du RnB. Ça mar­chait dans les deux sens, alors j’ai fusion­né les deux. »

Empreinte d’éclectisme, Clara Char­lotte teste et tente de s’ouvrir à d’autres hori­zons pour se renou­vel­er. Par­fois sans suc­cès, mais sans regrets : « Si je teste une nou­velle couleur et que ça ne me fait rien dans le ven­tre, c’est que ça ne me par­le pas. J’ai testé la coun­try RnB (rires) et ça ne l’a pas fait du tout. C’était pas moi. » Et pour opér­er des virages artis­tiques con­trôlés, elle s’est entourée de pro­duc­teurs d’expériences comme le con­fir­mé Junior Alaprod ou 99, beat­mak­er de référence sur la scène rap émer­gente, auteur de trois instru­men­tales sur « Venus ». Elle racon­te : « Quand 99 m’a fait écouté des prods pop avec de la gui­tare, un peu à la Angèle, The Week­end ou Jor­ja Smith, c’est la pre­mière fois que je me suis sen­tie capa­ble d’aller faire ce délire là. Depuis, je con­tin­ue de tra­vailler avec lui et on fait tou­jours mieux qu’avant. »

De l’autre côté de la vit­re du stu­dio, loin des tables de mix­age et des micros, Clara Char­lotte se décou­vre moins con­cen­trée, plus songeuse mais pas moins lucide. Pour elle, se livr­er dans un texte comme sur son titre Cas­siopée est naturel : « Quand je l’ai enreg­istré, j’ai pleuré. En écoutant le son et les paroles, je me suis rap­pelée que j’avais beau­coup souf­fert et avoir mal à ce moment là m’a fait du bien. » Pour­tant, trou­ver un équili­bre per­son­nel au milieu de cette démarche artis­tique n’est pas aisé : « La com­plex­ité pour nous, les artistes, c’est qu’on doit écrire sur notre vie. Quand les gens vont taffer, ils sor­tent de leur vie. Le boulanger, quand il part taffer, il n’est plus avec sa femme, ses enfants… Alors que nous, on doit sans cesse se ressass­er des sou­venirs, des flashs, des dis­putes, des moments qui font du mal ou du bien. Et on sort rarement de ce car­can. On a pas le droit à cette part d’intimité cachée que tout le monde a. On dévoile tout au public. »

Elle reprend, déter­minée : « Je dois com­pos­er avec le fait d’être une jeune femme noire de 21 ans avec des prob­lèmes, com­par­ti­menter ma vie, en dire assez sans tout dévoil­er au pub­lic et essay­er de rester sta­ble. » En dis­cu­tant, nous com­prenons que pour Clara Char­lotte « com­par­ti­menter » rime avec « se pro­téger ». Com­ment garder un masque pour que le pub­lic ne sai­sisse pas toutes ses faib­less­es, tout en restant assez trans­par­ente pour faire vibr­er ses audi­teurs ? C’est tout le para­doxe qui sec­oue la chanteuse. Elle enfonce le clou : « Ce masque, nous l’avons tous. L’humain est inca­pable d’être bon entière­ment. Il y a for­cé­ment un moment dans une vie où ton côté bon devient mau­vais pour l’autre. »

En prenant une gorgée de Per­ri­er, elle réflé­chit et reprend : « Vous con­nais­sez l’histoire du scor­pi­on et de la grenouille ? Nous hochons la tête de droite à gauche. En voulant tra­vers­er une riv­ière, une grenouille se fait arrêter par un scor­pi­on. Le scor­pi­on lui dit : « Écoute, prend moi sur ton dos, promis je te pique pas. » Elle le prévient : « Mais si, tu vas me piquer ! » Il lui répond : « Si tu me fais tra­vers­er, je te jure que non. » Elle hésite puis s’exécute pour lui venir en aide. Soudain, une douleur foudroy­ante lui tape le dos. Le scor­pi­on l’a piqué. Elle lui dit : « Mais pourquoi tu m’as piqué ? On va mourir tous les deux. » Il lui répond : « Bah je suis un scor­pi­on. C’est dans ma nature. Même si je t’ai promis que j’allais être bon avec toi, je ne pou­vais pas ne pas te piquer », con­clut-elle fière­ment. Morale de l’histoire : « C’est pour ça qu’il faut com­par­ti­menter et garder un jardin secret. C’est ce que j’essaye d’expliquer dans ma musique. »

Cette his­toire, elle la doit à son grand-père, lui aus­si très intéressé par la musique : « Papi écoute du Drake, il écoute du rap et regarde Sky­rock ! » Comme lui, son entourage famil­ial a fait preuve d’un sou­tien néces­saire : « Mes par­ents ont été les pre­miers à croire en moi, à me don­ner une gui­tare et m’entendre chanter. » Mais avant de pou­voir s’affirmer comme chanteuse, Clara Char­lotte con­fie avoir eu des dif­fi­cultés à trou­ver une place dans son envi­ron­nement d’adolescente : « Je n’étais pas la plus jolie fille, pas la plus drôle. J’avais pas de petits copains à foi­son, ni beau­coup de copines. Je fai­sais juste tout ce que je savais faire. J’étais telle­ment mal­adroite que je ne touchais à rien. J’étais juste bonne à être mignonne, à faire des câlins et sourire. C’est cette place que je pen­sais avoir. Et c’était pas moi. J’étais la « sœur », « la fille », « la petite ». J’avais jamais l’impression que c’était moi qu’on présen­tait. J’avais l’impression d’être vide. Mes par­ents ne pen­saient pas ça de moi mais je le sen­tais comme ça. »

Depuis, la jeune femme a quit­té Orléans, sa ville d’origine, pour rejoin­dre Paris et con­firmer sa volon­té de vivre de sa pas­sion. Un démé­nage­ment qu’elle a jugé vital : « Ça a été très dur venant de province parce que je n’avais pas eu beau­coup de sou­tien de là d’où je viens. Je n’avais pas beau­coup d’amis. Quand je suis arrivé à Paris, je n’avais aucun con­tact mais j’ai pu avancer. Orléans s’est réveil­lé quand ça a com­mencé à pren­dre à Paris. J’ai quand même beau­coup de recon­nais­sance pour quelques médias de cette ville qui m’ont soutenue et m’ont propul­sée. »

Même si elle juge avoir la matu­rité d’une femme de 35 ans, Clara Char­lotte s’autorise aus­si à rêver pour ne pas per­dre son inno­cence et garder des objec­tifs. « Elle rêve de quoi, Clara Char­lotte ? », la ques­tionne-t-on. « Du Stade de France min­i­mum ! répond-t-elle du tac au tac. C‘est telle­ment gros que ça sonne bête mais je suis là pour boss­er. Je me donne dix ans pour aller le plus loin pos­si­ble. Mes par­ents ont un cer­tain âge, ils ne sont pas éter­nels et je veux qu’ils voient ça. Il n’y a pas un jour où je ne leur par­le pas du Stade de France. Lim­ite main­tenant c’est eux qui m’en parlent. »

Si elle ne rem­plit pas encore les grandes salles parisi­ennes, l’artiste se réjouit une nou­velle fois de l’un de ses pre­miers accom­plisse­ments qu’elle nous avait fière­ment évo­qué en arrivant. « Amel Bent », dit-elle presque gênée. « Dès que j’ai eu la cer­ti­fi­ca­tion sur Insta­gram, c’est la pre­mière per­son­ne à qui j’ai envoyé un mes­sage. Je voulais lui mon­tr­er ce qu’elle était pour moi. Chez moi, il y a le tick­et de son Olympia de 2006 ! En dix min­utes, elle m’avait répon­du en me dis­ant qu’elle m’avait écoutée et qu’elle avait kif­fé ma musique. Je me suis mise à pleur­er, c’était trop beau. »

Après une heure d’échanges ani­més, la jeune orléanaise se mon­tre déter­minée, con­fi­ante et frag­ile de par sa pro­fondeur avant de se recen­tr­er vers l’essentiel et de se tourn­er vers son man­ag­er. « On irait pas manger ? J’ai trop la dalle », lui lâche-t-elle avec toute la spon­tanéité qui la car­ac­térise, devant le rire de l’attablée.

Retrou­vez Clara Char­lotte dans la MOSA’Hit : le meilleur du rap fran­coph­o­ne playlisté par la rédac­tion de Mosaïque. Abon­nez-vous pour ne rien rater des nou­velles sor­ties. Disponible sur Spo­ti­fyDeez­er et YouTube.

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