Mosaïque

Il est l’un des archi­tectes des derniers dis­ques d’Ichon (« Pour de vrai »), de L’Or du Com­mun (« Avant la nuit ») et de Loveni (« In Love). Ses syn­thé­tiseurs rétro et mélan­col­ique ne vous aurons égale­ment sûre­ment pas échap­pés chez Lala &Ce ou encore Slim­ka. Com­pos­i­teur, il est aus­si inter­prète, par­fois réal­isa­teur sur ses clips. PH Trig­ano est de ceux.celles qui trem­pent dans cha­cune des étapes du proces­sus de créa­tion d’une œuvre. Après un pre­mier EP de six titres, dévoilé en juin 2019 et inti­t­ulé « Poésie humaine », le musi­cien français con­tin­ue de trac­er sa route en solo.

Mem­bre du groupe Natas Loves You et du col­lec­tif rap Bon Gamin (avec entre autres Ichon et Loveni), Pierre Hadrien Trig­ano a sor­ti « Grand Roman­tisme », le ven­dre­di 10 sep­tem­bre 2021. Un deux­ième disque intro­spec­tif dans lequel il remue ses cica­tri­ces amoureuses et ques­tionne le sens des rela­tions. Il enveloppe son réc­it d’une musique tout aus­si per­son­nelle dans laque­lle il ne peut s’empêcher de mul­ti­pli­er les hom­mages sub­tiles aux artistes qui l’ont marqué.

Chanteur tout du long, il mélange par­fois son tim­bre à celui de Mélis­sa Bon, une chanteuse genevoise désor­mais parisi­enne, de Swing, mem­bre du groupe de l’Or du Com­mun ou d’Ichon, encore lui. Au télé­phone depuis la Bel­gique, quelques jours avant la sor­tie du pro­jet, PH Triag­no est déten­du. Il livre sans langue de bois de nou­veaux élé­ments de lec­ture pour digér­er ses onze titres.

Mosaïque : Quelle est la genèse de « Grand Romantisme » ?

PH Trig­ano : J’ai con­nu une dure rup­ture en août 2018. C’était pen­dant les vacances et j’étais ren­tré à Paris. J’avais plein de choses à dire, j’étais meur­tri. J’étais avec cette femme depuis deux ans et demi, c’était une longue rela­tion, je pen­sais qu’on allait se mari­er et je suis tombé de très haut. À cette péri­ode de l’année, la ville est morte et il ne se passe rien, alors j’ai écrit. C’est à ce moment que j’ai grat­té les morceaux France 98, Rêvé de toi, Jamais… Tout est vrai, je ne pour­rais pas écrire des trucs que je n’ai pas vécu. Au début, c’était surtout des let­tres où j’extériorisais mon mal-être, des bouteilles à la mer que je n’envoyais pas. Je pre­nais le négatif pour en faire du posi­tif, ça m’a aidé à met­tre des choses dans l’ordre.

M : Que doit-on lire der­rière la pro­gres­sion du tracklisting ?

PH : Pen­dant plus d’un an, j’étais vrai­ment au fond du trou. L’année d’après, j’ai mis des panse­ments sur mes plaies et je suis pro­gres­sive­ment passé à autre chose. J’ai écrit le dernier morceau Chance en mars 2020. On peut sen­tir la courbe du deuil au fur et à mesure de l’écoute. La colère, le déni, l’acceptation, avant d’aller peu à peu vers la lumière. J’ai vécu ce chem­ine­ment et cette mix­tape en est une photographie.

M : Der­rière les morceaux où tu par­les con­crète­ment de tes expéri­ences, il y aus­si ceux où l’on te sent plus distant.

PH : J’ai écrit Amour dig­i­tal quand j’ai com­mencé à revoir des gens, à analyser mon expéri­ence et à pren­dre de la hau­teur sur la façon dont les rela­tions évolu­ent dans notre société. J’ai voulu pren­dre du recul et faire un peu de philoso­phie. J’ai com­posé comme on peint une pein­ture. D’abord le sujet, une pre­mière couche, puis les détails. Petit à petit, ça a fait une même toile avec pleins d’éléments. J’aime cette notion, tout se retrou­vait sous une même direc­tion artistique.

On est dans une société indi­vid­u­al­iste dans laque­lle on dit qu’on est mieux seul et qu’être roman­tique est devenu un crime. C’est pour ça que j’ai repris la for­mule « grand ban­ditisme », pour l’amener vers « Grand Romantisme ».

- PH Trigano 

M : Qu’as-tu appris de ton tra­vail introspectif ?

PH : J’ai retenu qu’il faut faire atten­tion. Les rela­tions amoureuses sont comme un tour de pok­er où tu gères ta mise. Avec l’âge, tu fais atten­tion… Désor­mais, je vais tou­jours chercher à me pro­téger. Par con­tre, je crois que l’humain a pro­fondé­ment besoin de l’autre. C’est ce que j’ai voulu syn­thé­tis­er. On est dans une société indi­vid­u­al­iste dans laque­lle on dit qu’on est mieux seul et qu’être roman­tique est devenu un crime. C’est pour ça que j’ai repris la for­mule « grand ban­ditisme », pour l’amener vers « Grand Romantisme ».

M : Tu t’es mis dans quelles con­di­tions pour dévelop­per un opus aus­si personnel ?

PH : J’ai tou­jours tra­vail­lé la mix­tape chez moi, dans mon univers. Je suis entouré de CD de Serge Gains­bourg et d’une planche de skate. Le plus dur c’est de se définir, alors je préfère créer en étant le plus moi-même. 

M : De quoi est faite ta dif­férence artistique ?

PH : Je ne sais pas si je suis unique dans ma propo­si­tion. Mais je suis un mélange. J’ai écouté plein de choses dans ma vie. Ça se traduit for­cé­ment sur ce que je pro­duis. Dans le titre Rêvé de toi, il y a une ligne sec­ondaire de bells (des cloches, NDLR) qui rap­pelle le morceau Straw­ber­ry Let­ter #23 des Broth­ers John­son et per­son­ne ne l’a gril­lé. Même chose sur Amour dig­i­tal où je chante : « Mon cœur ne bat désor­mais qu’un coup sur qua­tre » pour faire un clin d’œil à Serge Gains­bourg qui dis­ait : « Le coeur de Bloody Jack ne bat qu’un coup sur qua­tre » (Bloody Jack). Il y aus­si beau­coup de Kanye West avec des voix pitchées (effet qui vise à ren­dre la voix plus aigüe ou plus grave, NDLR).

Beau­coup de gens vont en stu­dio et me demande : « Je veux un truc comme ça. » Moi je suis très bon pour faire de la con­tre-façon (rires), mais je ne veux pas de ça sur mon pro­jet. C’est presque impos­si­ble à ne pas faire mais quand Puff Dad­dy sam­ple les années 80, il met sa touche et ça devient un hit inat­ten­du. On sent si tu as apporté quelque chose. Sur le titre Touche française, je m’inspire claire­ment des Daft Punk, de Gains­bourg… C’est cet espèce de mélange qui fait un truc nouveau.

M : Quel décor as-tu imag­iné en com­posant ? Cer­taines lignes de syn­thé­tiseur son­nent très rétro, presque années 70.

PH : Je ne suis pas sûr de l’avoir fait. J’ai surtout des notes et des mots en tête. Je voulais juste être très ancré dans le réel, comme dans Amour dig­i­tal où je décris un peu la scène. Il fre­donne : « Le télé­phone vibre sur la table basse, peut-on s’aimer sans jamais s’embrasser une fois ? » Tu vois Flash­ing lights ? C’est sûre­ment mon morceau préféré de Kanye West. Il est archi réel ! Tu écoutes, tu y es, tu vois… Il reprend : « She don’t believe in shoot­ing stars, but she believe in shoes and cars… » Et je suis un grand fan de vapor­wave (style musi­cal  car­ac­térisé par son usage d’échan­til­lons sonores issus des musiques des années 1970, 1980, 1990 et début 2000 : lounge, smooth jazz ou musique d’as­censeur, NDLR), j’ai été inspiré par les Bea­t­les et Michael Jack­son. Je kiffe quand il y a un grain un peu pastel.

Je sais que mes tracks ne sont pas par­faites et c’est ça qui est cool. Chez les Daft Punk, c’est peut être leur vœu d’être telle­ment par­fait qui fait leur imper­fec­tion. Ton style, il est dans tes erreurs. »

- PH Trigano

M : En tant que tech­ni­cien du son, est-ce que c’est dif­fi­cile de se détach­er de son exi­gence envers soi-même pour réus­sir à cof­fr­er des morceaux et ne plus y toucher ?

PH : Franche­ment, je sais que mes tracks ne sont pas par­faites et c’est ça qui est cool. « Grand roman­tisme » mon­tre ce que je ressens à un instant don­né avec toutes ses imper­fec­tions. Regarde, les pre­miers morceaux de Phar­rell Williams sont mal mixés et c’est une pho­to assumée d’un moment qui a du charme. Chez les Daft Punk, c’est peut être leur vœu d’être telle­ment par­fait qui fait leur imper­fec­tion. Avec « Ran­dom Acess Mem­o­ries », tu aimerais que ça dégouline mais ça ne débor­de jamais. Un autre exem­ple, Nyjah Hus­ton (un skater améri­cain, cham­pi­on de la dis­ci­pline, NDLR), quand il skate c’est par­fait et je préfère car­ré­ment regarder des skaters qui ont plus d’aspérités et qui font des faux pas. Ton style, il est dans tes erreurs. Alors oui, quand je me réé­coute, je me dis qu’il y a plein de trucs que je n’aurais pas fait mais c’est pas grave. C’est cool, c’est une photo.

M : Tu es aujourd’hui plus con­nu pour tes tal­ents de com­pos­i­teur que d’interprète. Tu entre­tiens quel rap­port avec cet aspect de la créa­tion musicale ?

PH : J’ai tou­jours chan­té. J’ai même chan­té avant d’être pro­duc­teur. J’avais pris des cours de chant quand j’avais mon groupe Natas Loves You. Je suis de l’école de ceux qui font de tout et qui touche à tout. Comme Kanye, Phar­rell Williams, Serge Gains­bourg… Des gens qui font des trucs avec leurs mains et leur bouche pour s’exprimer. C’est comme ça que j’ai appris et c’est très naturel pour moi. Je n’ai pas eu de bar­rières à cass­er pour me lancer ce défi de la mix­tape. Je peux encore beau­coup pro­gress­er, amélior­er mes oreilles, arrêter de fumer des clopes pour chanter mieux… Mais ce n’est pas ce chemin que j’ai choisi.

M : Pourquoi avoir choisi d’inviter d’autres voix sur des morceaux aus­si per­son­nels et introspectifs ?

PH : J’ai eu cette vision pour la pro­duc­tion. Je suis resté seul pro­duc­teur parce que je voulais com­pos­er seul, aller au bout de moi-même par esprit de com­péti­tion, comme un chal­lenge. Mais pas pour les fea­tur­ings. Je voulais d’autres lumières qui con­nais­saient mon his­toire et qui sont proches de moi. Mélis­sa Bon, par exem­ple, a vécu des expéri­ences sim­i­laires. C’est quelqu’un de très sen­si­ble, il y avait une vraie vibe, un instinct. Ichon, lui, avait sa vision pro­pre sur le morceau mais j’ai trou­vé ça cool qu’il apporte son prisme. Il m’a don­né de la fraîcheur. Il est comme un bon joueur de foot qui ren­tre en deux­ième mi-temps. Avec Swing, on s’est posé, je lui ai fait à manger et il a écrit qua­tre ou cinq heures. L’alchimie m’a plu et c’était très proche de ce que j’imaginais sur le track.

M : Tu as choisi de délivr­er un pro­jet où tu ne par­les que d’amour. As-tu songé à la caté­gori­sa­tion dont tu pour­rais faire l’objet comme chanteur de RnB français ?

PH : Le pub­lic peut penser ce qu’il veut mais ma démarche n’est pas celle-ci. Je ne pense pas dégager un truc évi­dent. Je crois que je pro­pose quand même un bon petit plat à déguster avec de quoi manger. Mes textes ne sont pas si mielleux, les prods sont assez polar­isées… Par­ler d’amour c’est mon point de départ, mais pour arriv­er vers quelque chose de plus pro­fond. En plus, on ne va pas se men­tir, l’amour c’est un sujet qui nous obsède tous. On y pense tout le temps. Est-ce que j’ai appelé ma grand-mère ? Est-ce que mon frère va bien ? Il est tout le temps ques­tion de ça.

Après, on ne met claire­ment pas ma gueule sur ma zic’, j’en suis con­scient (rires). Quand tu vois les pre­miers freestyles de SCH, tu vois qu’il n’est pas ter­miné. Il a grave évolué ensuite. C’est un peu pareil pour moi. J’en suis à ma deux­ième évo­lu­tion, je sais pas trop pourquoi, mais je sais que je vais encore chang­er. Je vais m’ouvrir à d’autres énergies.

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