Mosaïque

En jan­vi­er 2021, joysad dévoilait son pre­mier EP « Palin­drome » dont la cov­er mon­trait l’artiste sous plusieurs facettes, comme pos­sédé par des iden­tités mul­ti­ples. Ce débou­ble­ment de la per­son­nal­ité s’ex­pri­mait déjà dans le nom de scène du rappeur. Il revient pour la ren­trée avec son pre­mier album « Espace Temps », sor­ti le 10 sep­tem­bre 2021, qui s’ac­com­pa­gne d’un court-métrage autour d’un per­son­nage tor­turé par des voix dans sa tête. Mosaïque est allé à la ren­con­tre des dif­férentes faces de l’artiste lors d’un entre­tien au sein de son label. Dans une salle aux moulures dorées et au par­quet parisien qui craque, l’artiste s’est livré à nous après s’être prêté au jeu de la pose avec notre pho­tographe Jacques Mol­let dont le shoot est à retrou­ver tout au long de votre lecture.

Lorsque nous ren­con­trons joysad, le rappeur se présente instinc­tive­ment par son vrai prénom : Nathan. Pen­dant près d’une heure en face de nos deux jour­nal­istes et de l’œil de notre pho­tographe, le Périgour­din se mon­tre spon­tané et naturel. La veille, le rappeur per­for­mait sur la scène du ciné­ma du Club de l’étoile à Paris. Un show­case dédié au pub­lic venu décou­vrir en avant-pre­mière son court-métrage qui accom­pa­gne la sor­tie de son pre­mier album « Espace Temps », disponible depuis le 10 sep­tem­bre 2021. 

Dans ce film, joysad incar­ne son pre­mier rôle devant la caméra dans lequel il joue un per­son­nage tor­turé par les voix qui l’entend dans sa tête. Un rôle déli­cat pour lui qui refuse d’attribuer une mal­adie au pro­tag­o­niste : « Il faut être pré­cis quand on par­le de mal­adie men­tale. Le milieu du hand­i­cap, c’est quelque chose à respecter et à bien décrire. J’avais très peur de stig­ma­tis­er des gens. On m’a demandé dix fois quelle était la mal­adie du per­son­nage prin­ci­pal. Tout ce qu’il y a à savoir, c’est qu’il entend des voix dans sa tête. Je ne suis pas médecin pour lui diag­nos­ti­quer un type de mal­adie. » C’est sa mère, direc­trice d’une mai­son d’accueil spé­cial­isée en poly­hand­i­cap, qui lui con­seille de rester vig­i­lant : « Du coup, je fais très atten­tion à ces choses là. Tu peux enten­dre des voix dans ta tête sans être schiz­o­phrène. Je ne voulais man­quer de respect à per­son­ne. Même aujourd’hui, il ne faut plus dire per­son­ne hand­i­capée mais per­son­ne en sit­u­a­tion de hand­i­cap. » 

Le milieu médi­co-social, Nathan le con­naît bien. Avant de se lancer dans la musique, il tra­vaille pen­dant un an en alter­nance dans un foy­er de vie pour per­son­ne adulte en sit­u­a­tion de hand­i­cap en tant qu’éducateur. Il se sou­vient : « Je me suis même fait frap­per une fois. Un jour, j’étais entrain de jar­diner avec une petite rési­dente, elle me regarde, elle se met à crier donc je me retourne pétri­fié de peur et elle me met un coup de pelle dans le dos. » Une expéri­ence dont il s’est nour­ri pour écrire et inter­préter son rôle dans son court-métrage « Trou noir » : « Lorsque je tra­vail­lais dans ce milieu, j’en ai vu beau­coup des schiz­o­phrènes. Ça m’a aidé notam­ment pour jouer les épisodes de crise dans le film. Les moments de folie sont les plus durs à jouer. J’ai mis au moins un bon jour de tour­nage avant de me met­tre dans le bain. » 

Pour mon pre­mier court-métrage, je voulais une ambiance glauque et de la violence. 

- joysad à Mosaïque

Pen­dant 11 jours, joysad et son équipe se ren­dent en Macé­doine du nord pour tourn­er toutes les séquences. Le jour de notre entre­tien, l’artiste porte un tee-shirt flo­qué « Exit Void », le nom de la boîte qui a réal­isé « Trou noir » : « Bird­jan et Emral de chez Exit Void sont aus­si bar­rés que moi. Ils ont l’habitude de faire des trucs glauques et c’est l’ambiance que je voulais pour mon court-métrage. » Le rappeur décou­vre les deux réal­isa­teurs à tra­vers un court-métrage de deux min­utes inti­t­ulé « Tout le monde regarde ». 

Tout d’un coup, joysad s’anime pour racon­ter avec vivac­ité la décou­verte de ce visuel : « Au début de ce petit film, tu com­prends pas trop. Tu vois un cou­ple qui s’embrouille sous un espèce de pont. T’as une fille qui arrive et qui demande du feu à un gars qui fume à côté. Et le mec du cou­ple qui se dis­pute se met à taper sa femme. Il la met au sol et la frappe. La fille qui venait d’ar­riv­er décide d’aller les sépar­er et elle se fait taper aus­si. Et pen­dant qu’elles se font fra­cass­er, t’as l’autre mec qui fume sa clope et qui regarde. Il fait rien. J’avais trou­vé ça hyper impac­tant dans la vio­lence. » De la vio­lence, c’est juste­ment ce que Nathan a voulu pour son court-métrage dont le décor est froid, presque pous­siéreux. Avec dix ans de théâtre der­rière lui, jouer n’a pas été une dif­fi­culté : « Je suis arrivé, j’ai allumé deux joints et je me suis mis dans le rôle (rires). Comme c’est moi qui ait crée ce per­son­nage, j’ai réus­si rapi­de­ment à entr­er dans sa peau. Et puis, il me ressem­ble aus­si parce qu’il ne dort jamais. »

“Je croyais que la mort me suivait”

L’artiste met aus­si en scène son rap­port com­plexe avec le temps, d’où le nom de son pre­mier album « Espace Temps ». Il explique non sans une cer­taine fierté : « On a appelé le court-métrage « Trou Noir » parce qu’en toute logique, dans l’univers, le seul endroit où l’espace temps est dis­ten­du, c’est dans un trou noir » avant de plaisan­ter : « Ouais je sais, je suis chaud ouais » (rires). 

À la mort de mon frère, j’avais ressen­ti une sen­sa­tion de trou noir. Je psy­chotais. Je croy­ais que la mort me suiv­ait, que j’avais un compte à rebours.

- joysad à Mosaïque

Le temps sem­ble obnu­bil­er le rappeur pour qui les insom­nies sont fréquentes : « Tous les sons de cet album évo­quent le temps et notam­ment le temps qui passe. C’est ce qui se passe dans un trou noir. Le temps se dis­tend. Plus tu te perds dans le noir, plus c’est impos­si­ble de trou­ver des repères. » Une sen­sa­tion qui lui rap­pelle une cer­taine péri­ode de sa vie : « C’est ce qui se pas­sait à mes 16 ans, à la mort de mon frère. J’avais ressen­ti ça. Je psy­chotais à cette époque. Je croy­ais que la mort me suiv­ait, que j’avais un compte à rebours. » 

Mal­gré une cer­taine timid­ité cachée sous sa chevelure aux reflets dorés, joysad se livre sim­ple­ment, sans efforts  : « Dans ma famille, on a un rap­port com­pliqué avec la mort. Si tu veux, on est énor­mé­ment et on est tous proches. Ma grand mère a fait 11 enfants et tous ont fait 5 goss­es. C’est une espèce de séquoia (rires). Tous les deux mois dans ma famille, il y a quelqu’un qui meurt. Donc on en a tous très peur. » C’est notam­ment la mort de son frère à l’âge de 16 ans qui mar­que une coupure dans l’espace temps du jeune Nathan : « Je ne pen­sais pas que la mort de mon frère allait autant me niquer. J’étais le plus jeune de ma famille et j’ai com­mencé à aller mieux quand j’ai réal­isé trois ans après que j’étais devenu plus âgé que lui. Pen­dant longtemps, j’avais 19 ans mais j’étais blo­qué à mes 16 ans. Rien avait bougé pour moi. C’est pour ça que j’aime l’idée du trou noir. Toi tu ne ver­ras pas la per­son­ne s’éloigner mais elle, elle s’éloigne. » 

Âgé de 20 ans, le temps passe désor­mais très vite, notam­ment grâce à la musique qui l’a « aidé à grandir », lui don­nant la force de croire en lui : « Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir mon âge. Avant, j’avais peur de tout ce que je pou­vais faire, de toutes les déci­sions que j’allais pren­dre. » Pour autant, Nathan ne se sent pas plus mature que ses ami.e.s de la même généra­tion : « Je ne sais pas ce que ça veut dire être mature. Je me sens surtout plus occupé que les gens de mon âge. Je suis aus­si plus épanoui. Je côtoie plein de gens qui ne font pas ce qui veu­lent. Je ne suis pas plus mature mais en pleine vie. Je me sens chanceux. » 

La faille temporelle 

Chanceux aus­si d’avoir émergé grâce au compte Insta­gram 1minute2rap sur lequel il gagne trois fois les con­cours de freestyle : « J’en dis­cu­tais récem­ment avec mon ami Livaï qui a per­cé grâce à la même page. On se demandait com­bi­en rêveraient d’avoir notre place alors qu’on est pas si haut. On en con­nait qui ont le tal­ent, qui ont tout mais il manque un truc mais on ne sait pas trop quoi. » Là aus­si, Nathan relie son suc­cès au temps. Avoir été là au bon endroit au bon moment : « J’étais là pen­dant que le compte était en pleine effer­ves­cence. Tous les médias regar­daient à ce moment là. C’est pen­dant cette péri­ode que j’ai fait mon­ter les enchères avec les labels qui voulaient me sign­er. On saupoudrait le bifteck (rires). Avant ma troisième vic­toire, je valais moins cher. Et tout ça, c’est grâce au sens des affaires de Ric­cie (son man­ag­er, NDLR). » joysad finit par sign­er chez Because qui s’aligne à chaque fois avec les plus gross­es maisons de dis­ques durant les sept mois de négo­ci­a­tions, une preuve de con­fi­ance selon le rappeur. 

Avec « Ren­tre dans le cer­cle », je voulais fer­mer la gueule de ceux qui t’empêchent de rap­per ce que tu veux. Mon­tr­er que j’ai le droit de racon­ter les his­toires de quarti­er de chez moi. C’était une manière de m’assumer. 

- joysad à Mosaïque

L’époque des freestyles dans sa cham­bre ne sem­ble pas lui man­quer : « C’était la hess de ouf. J’étais en alter­nance, j’allais à l’école, la semaine d’après je lavais des culs en foy­er de vie et je devais inter­caler ça entre deux freestyles (rires). »  Bien loin de ce rythme de vie, joysad partage aujourd’hui le stu­dio avec Sofi­ane. C’est le parisien qui prend con­tact directe­ment avec le man­ag­er du jeune espoir pour le ren­con­tr­er : « Quand je l’ai eu au télé­phone, il m’a dit : « Toi,  ta gueule elle est orig­i­nale. J’aime bien ta gueule, t’as un truc. T’as une bonne tête. Je suis chaud je t’emmène partout. Il m’a dit j’ai des bails de série pour toi. On m’a dit que tu fai­sais du théâtre, j’ai du théâtre aus­si. Il y a « Ren­tre dans le cer­cle », t’aimes bien t’aimes bien, tu valides ? », se sou­vient joysad en imi­tant Sofi­ane qu’il finit par inviter sur le morceau Tous les coups sont per­mis.

Le titre est enreg­istré en deux heures lors d’un pas­sage éclair à Paris du représen­tant du 93. Nathan se rap­pelle avoir été impres­sion­né par le train de vie de l’artiste : « C’était trop fasci­nant. Il m’a dit : « Ouais ma moula, je suis sur Paris pen­dant deux heures là. J’ai un ren­dez-vous de trente min­utes, après j’arrive et on boucle le son. » Il a pré­cisé : « J’arrive, je prends les trans­ports » Et en fait il reve­nait d’Abidjan. Il allait pren­dre l’avion. Il est arrivé deux heures après. Je sais pas avec quoi il a volé mais c’était rapi­de. Il s’est posé une heure, il a bu 36 cafés et il est repar­ti en me dis­ant : « Bon j’y vais, j’ai un avion pour Milan ». Être en stu­dio avec lui, c’était incroy­able mais stres­sant de taff, il fait 600 choses en même temps, c’est un vrai homme d’affaires. »

La con­nex­ion en stu­dio passe et Fian­so invite le jeune périgour­din à s’exprimer dans son émis­sion « Ren­tre dans le cer­cle ». L’occasion pour Nathan de faire pass­er un mes­sage : « Avec cette émis­sion, je voulais fer­mer la gueule de ceux qui t’empêchent de rap­per ce que tu veux. Quand je racon­tais des his­toires de quarti­er de chez moi, on me dis­ait que j’avais pas à par­ler de ça parce que j’étais pas con­cerné. Le « Ren­tre dans le cer­cle », c’était une manière de m’assumer. » 

joysad sem­ble savoir où il va sans per­dre de sa spon­tanéité juvénile, notam­ment lorsqu’il par­le d’amour en nous fix­ant de ses grands yeux bleus tein­tés de vert : « Je ne suis plus amoureux parce que je me suis fait tej par ma meuf. Je suis archi naze en amour. Il doit y avoir cer­taines choses évi­dentes dans les rela­tions que j’arrive pas à voir. Et puis, j’en ai peur parce que ça me fait mal de faire mal aux gens. Donc je vais rester céli­bataire. Quand je suis pas en cou­ple, mon porte­feuille grossit (rires). » Après avoir ter­miné sa dernière phrase, il se met à la rap­per comme s’il allait démar­rer un freestyle. Un mod­èle dont il veut désor­mais s’éloign­er pour s’ou­vrir au chant et à la mélodie, pour s’ou­vrir à un autre espace temps. 

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