Quelques heures avant la sortie de son premier album « Anarchiste » le 9 juillet 2021, Mosaïque a rencontré l’artiste du Bâtiment 7, Bolemvn. Alors que les réseaux sociaux se déchaînent contre lui au moment de notre entretien concernant ses propos à l’encontre des rappeur.se.s américain.e.s, c’est un artiste avec un autre visage que nous découvrons. Autant joueur que réfléchi, Bolemvn s’est confié sur l’image qu’il renvoie, sa volonté de « finir seul » ou encore son amour pour la France. Tout au long de votre lecture, explorez le shooting de notre photographe Jacques Mollet qui a capturé la nonchalance assumée du rappeur.
À notre arrivée dans les locaux de son label Capitol en plein coeur du 5e arrondissement, Bolemvn est allongé sur un canapé en cuir, la tête enfoncée dans un coussin jaune. Au mur, plusieurs disques de platine dont le triple platine de l’album « Loud » de Rihanna. Le rappeur d’Évry prévient : « Je suis épuisé. » En pleine promotion de son premier album « Anarchiste », l’artiste enchaîne les interviews. Pour sa dernière de la journée, il espère qu’elle ne durera pas trop longtemps. Il ne cache d’ailleurs pas son envie de retrouver ses ami.e.s dans son quartier du « Bat 7 » qui lui organisent une fête le soir même : « C’est ça les release party chez nous (rires). Ils sont en train de faire les courses là. » En lui annonçant avoir prévu une trentaine de minutes d’échange, il accepte de se prêter à l’exercice, non sans montrer une certaine lassitude : « Là, les gens ne me voient pas mais je suis allongé. J’ai trop travaillé, je suis fatigué. Il y a eu la promo, et avant ça, c’était des nuits au studio. »
Bolemvn se présente tel qu’il est, brut de personnalité sans chercher à jouer un rôle. À l’image du nom de son projet « Anarchiste », il s’affranchit des règles sociales qui lui demanderaient de s’adoucir, de s’adapter à celui ou celle qui lui fait face : « Pour moi, un anarchiste, c’est quelqu’un à qui personne ne dit quoi faire. Pour qui, aucune règle n’existe. Je suis un anarchiste dans la mesure où je n’écoute personne dans la vie et en ce qui concerne ma musique pour la faire évoluer au maximum. » La cover du projet réalisée par le photographe Koria, met en scène la révolution de l’artiste, drapé sous les traits d’un général africain : « J’ai toujours fait référence aux révolutionnaires africains dans ma musique, que ce soit par mon nom ou par ma série de freestyles Sankhara en l’honneur de Thomas Sankhara qui s’est battu pour l’évolution de l’Afrique. Mon projet devait même s’appeler Sankhara au départ. »
Anarchiste affranchi au point de se détacher de ce que pourrait penser le public de ses sorties polémiques. Au moment de notre échange, cela fait déjà plusieurs jours que Twitter s’est enflammé en réaction aux propos de Bolemvn sur les rappeur.se.s américain.e.s. Lors d’une interview pour RapRnB, il explique sans détour : « Pour moi, on est plus forts que les ricains. Leur nouvelle génération de rappeurs est éclatée au sol. Il faut pas me parler de Lil Baby, de Gunna frère, ils sont éclatés au sol. » Lorsque nous évoquons la polémique, Bolemvn se cache sous le coussin qu’il tient en main depuis le début de l’interview et rigole : « Bonne nuit », avant d’affirmer sans hésiter : « C’est normal que tout le monde réagisse mais je maintiens ce que j’ai dit. En France, on est pas solidaires. Dès qu’on critique les Américains, c’est la fin du monde. Alors qu’eux, ils s’en battent les couilles de nous, il faut que nous aussi on en ait rien à foutre. Si tout le monde réagit comme ça on ne va jamais s’en sortir. »
Crédit : Jacques Mollet.
Rapidement, l’artiste développe sa réflexion derrière ses propos spontanés : « En tant que Français, il faut qu’on montre qu’on est là. Il ne faut pas seulement montrer qu’il y a la Tour Eiffel. C’est bien, c’est lourd la Tour Eiffel (rires), mais il faut montrer qu’il y a des gros talents. C’est à nous de faire en sorte d’être aussi influents que les Américains. Ici, ce sont nos propres auditeurs qui nous descendent. » Bolemvn concède tout de même aux artistes d’outre-Atlantique leur « détermination » à avoir fait du rap le genre numéro un aux États-Unis : « Si on veut voir du rap et des artistes urbains dans des grandes cérémonies, c’est ce qu’il faut faire en France. Et c’est à nous de le faire. Si on fait les victimes, on ne passera jamais. Il faut agir. Il faut imposer le rap aux institutions. »
L’anarchiste d’Évry regrette aussi que le public se soit arrêté à cette phrase mais comprend que ses propos fassent réagir : « Le problème, c’est qu’ils ont vu l’interview et ils ont dit que j’étais fou. Personne ne s’est posé trente secondes pour comprendre ce que je disais, tout ça parce que c’est moi aussi. Beaucoup d’artistes ont dit la même chose mais c’est la manière dont je le dis qui ne plaît pas. Je suis trop cru. Mais je ne vais pas m’excuser pour ce que je dis. C’est la vérité. Quand je dis de Sexion d’Assaut qu’on s’en fout de leur retour, c’est parce que c’est pas mes classiques. Je viens du 78 et du 91, ce ne sont pas mes références. Les anciens du 78 et du 91, oui. » L’artiste semble assis sur ses positions, serein face aux qu’en-dira-t-on qui ne sont pas prêts de le faire changer, même lorsqu’on lui demande s’il regrette la manière dont il s’est exprimé : « Pourquoi je le dirai autrement ? C’est comme ça que je suis. Je ne sais pas comment m’adoucir mais je vais essayer de travailler dessus (rires). Si les gens réfléchissaient aussi, ça ferait moins parler. »
Au fur et à mesure de l’échange, Bolemvn est plus animé, convaincu de ce qu’il défend. Plus la discussion avance, plus l’artiste resté à demi allongé sur le canapé se relève, jusqu’à finir complètement assis à la fin de notre entretien. Le regard droit, Bolemvn n’est pas de ceux qui doutent. L’image que les autres ont de lui ne l’intéresse pas : « On m’a déjà jugé mais je m’en fous complètement. Les gens jugent une personne en jogging en mode c’est un bandit et un mec en costard est forcément clean. Alors que c’est l’inverse. Si t’aimes pas, c’est ton problème. Moi, j’aime comment je m’habille. » Derrière cette provocation naturelle se cache un jeune homme affirmé et sûr de lui qui s’éloigne de l’image puéril qui lui colle à la peau : « Les gens disent que je suis fou et peut-être que cette interview leur montrera qu’en fait non. Je sais faire le con et je sais être sérieux aussi. Ça se trouve je fais exprès de faire le con. »
À la question : « Tu penses que les gens ont une image faussée de toi ? », Bolemvn répond sans une once d’hésitation : « Ouais, de ouf. Comme je sors des dingueries, les gens pensent que je ne suis que ça. Alors que parfois, je fais exprès pour voir si ça va marcher et ça marche. J’aime jouer. Il ne faut pas tout prendre au sérieux. La musique, c’est un plaisir avant tout. Je la prends au second degré. Aujourd’hui, dès que je vais au studio, je fais comme si c’était la première fois que j’allais enregistrer un son. Quand j’ai commencé, je connaissais même pas la SACEM, les showcases tout ça. Du coup, pour moi tout est un plaisir. »
Crédit : Jacques Mollet.
L’artiste s’amuse en interview comme quelqu’un qui n’avait pas prévu d’en arriver là et qui profite de chaque seconde, même lors de notre échange. Alors qu’il nous explique que sur le projet « Anarchiste », il voulait « finir sur un son qui raconte une histoire, quelque chose de plus mélancolique », il esquisse soudainement un sourire et lâche : « Après, ça se trouve, le projet est pas fini. Ça se trouve, c’est juste un pont et il n’y a pas encore la suite. Ça se trouve, c’est une première partie, on sait pas. » Bolemvn se joue de ceux et celles qui prendraient ses mots au pied de la lettre et confesse en riant : « C’est la technique. »
C’est aussi un Bolemvn un brin chauvin qui se dévoile : « Je ne quitterai pas la France. J’aime la France. On est bien ici. C’est un beau pays. Je n’ai pas d’autres endroits qui me fassent rêver. » La France et surtout son quartier qui s’apprête à être détruit : « Je sais pas comment je vais faire, il faut que je le quitte. Je sais pas où je vais aller. Je vais juste descendre et me mettre à côté pour rester proche, à Évry Village. Quitter l’endroit où je traîne, c’est difficile. » Pourtant, dans Tuer, le dernier morceau du projet, Bolemvn clame : « Si je la quitte pas, la rue va me tuer ». Il explique : « Quand je dis tuer, c’est pas pour dire qu’on va mourir. C’est en mode, ça va nous tuer parce qu’on aime tellement la rue qu’on va finir là-bas. Si tu te lèves tous les matins pour aller au taff, c’est pour quitter là où tu vis, pour avoir mieux. »
Crédit : Jacques Mollet.
Plus tard, Bolemvn s’imagine finir seul. Il ne croit plus en l’amour depuis sa célébrité : « Nous les artistes, on attire un style de fille. Ce ne sont pas des michtos mais elles sont là pour montrer qu’elles te connaissent. Elles veulent snapper avec toi, s’afficher avec toi. Je ne sais pas comment on les appelle, c’est une autre catégorie. Je vais trouver un blase. » À cette réflexion, nous rebondissons : « Il existe des catégories de filles ? ». Bolemvn hésite puis plaisante : « Ah ouais toi quand tu me regardes, la tête de oim, on dirait tu veux me défoncer (rires) » (la journaliste qui représente Mosaïque lors de l’interview est une femme, NDLR), avant de se reprendre : « J’ai le regard d’un artiste sur les femmes mais pour autant, j’essaye de bien dire les choses quand je parle d’elles. Je fais attention parce que sinon j’aurais eu des problèmes. »
Lorsqu’on lui demande s’il a déjà été amoureux, il répond avant même d’avoir pu finir la question, d’un ton sec : « Non. Je ne connais pas ça. » Il explicite : « En fait, c’est plus profond que ça. Les gens pensent être tombés amoureux mais ils se trompent. Ils ne savent pas ce que c’est l’amour. Moi non plus d’ailleurs. Je ne sais même pas te dire si j’ai été amoureux en vrai. En tout cas, je ne pense pas que je vais tomber amoureux un jour parce que je n’ai pas confiance en l’être humain. » Une confiance qu’il ne prendra jamais le risque de donner selon lui qui se considère « périmé » à 24 ans : « Pour aimer, il faut avoir confiance. Il fallait que ça m’arrive avant ma notoriété. Maintenant, je ne laisserai entrer personne et je ne veux rien construire avec personne. Je veux mourir seul. Je suis bien tout seul. Je ne changerai pas d’avis. » L’idée de mourir dans sa solitude ne semble pas l’effrayer : « Pourquoi ? Dans tous les cas quand je serai dans mon tombeau, je serai tout seul dedans. Donc, ça ne me fait vraiment pas peur. » En attendant de finir seul ou non, l’artiste se concentre sur sa musique et sa carrière : « Je n’ai pas encore parlé de ce que j’ai vécu moi, de ma vie. Il s’est passé des choses dont je n’ai pas parlé. Et puis, je ne connais pas encore le succès. Il faut toujours travailler plus. »
Joueur jusqu’au bout, Bolemvn, les mains jointes sur sa poitrine, fait mine de prendre une pause à la Lil Baby lors du shooting photo. Lorsque notre photographe, Jacques Mollet, lui propose de capturer cette mimique, Bolemvn reste fidèle à celui qu’il a été pendant nos quarante minutes d’échange : « Non, on est en France ici. »