Après la sortie de son deuxième EP « Fantôme Avec Chauffeur » vendredi 23 avril 2021, l’énergie Benjamin Epps a frappé le noyau créatif du rap français. Sur les productions new-yorkaises du Chroniqueur Sale, aligné sur chacune des pistes du projet, le rappeur secoue l’industrie. Trois mois après les faits, nous sommes allé.e.s à la rencontre de ce nouveau phénomène.
Après l’entretien, Benjamin Epps s’est prêté à l’exercice du shooting photo. Dans la mythique salle où s’enregistrent régulièrement les Grünt d’Or, notre photographe Ulysse Carbajal a capturé la sérénité de l’artiste. Les clichés sont à découvrir tout au long de l’article.
« Dieu bénisse les enfants, dis à ceux qui pleurent qu’on les entend… », c’est sur ces quelques mots que nous ouvrons la porte du studio d’enregistrement numéro 6 du FGO Barbara, dans le 18e arrondissement de Paris. Assis sur un tabouret, tout près de son DJ, Benjamin Epps rappe et ponctue son morceau d’un atypique « Yeah ! ». En nous apercevant, le rappeur éloigne son micro, visse sa casquette bleue brodée « NY » et suspend sa répétition. Depuis quelques heures, il interprète et crache ses textes dans une petite salle en imaginant le public qui se tiendra bientôt devant lui. « La toute première date de la tournée, ce sera à Fribourg ! Ils sont super chauds les Suisses », s’exclame-t-il, impatient.
Le 14 juillet 2021 prochain, à l’occasion du festival « Les Georges », il retrouvera enfin les sensations du show. Des sensations qu’il connaît bien et qu’il n’a pas oublié, il raconte : « La scène, j’en ai fait beaucoup au Gabon. J’avais fait la nuit de la musique avec 6 000 personnes. Jouer devant du monde, ça ne m’a jamais vraiment emmerdé. Ce qui m’emmerde par contre, c’est toute la préparation en amont : les balances, bien maîtriser ses textes, donner une performance de qualité. C’est là dessus que je me concentre. D’où cette journée de préparation que j’ai prévue aujourd’hui. Je pense que la scène est LE truc où l’on peut progresser de 0 à 100. Tout dépend de ton rythme de travail. »
Crédit : Ulysse Carbajal pour Mosaïque.
Méticuleux, le jeune homme écoute ses propres morceaux dans le train et rappe régulièrement sur ses instrumentales pour dominer son répertoire. Pourtant, pas question d’offrir une prestation trop classique : « Je veux montrer de la prestance. Tu vois Method Man et Redman ? Sur scène, ce sont des bêtes pour de vrai. Tu as aussi des gars comme Nas, Jay‑Z ou 50 Cent qui ont un charisme incroyable. C’est comme ça que je le ressens. » Il nous décrit : « Un concert de Benjamin Epps ça va être sombre, tout sera axé sur la performance. Pas de froufrou. Je veux faire une scénographie assez représentative de ma musique avec quelques images derrière moi et des noms de rues qui défilent… Un truc très hip-hop. »
« Quarante minutes d’interview ne sont pas suffisantes pour raconter les vingt-cinq dernières années de ma vie. Même une documentaire Netflix ne le pourrait pas ! »
Benjamin Epps
D’ailleurs, tout près du studio dans lequel nous échangeons, à l’endroit où nous nous rendrons avec lui quelques minutes plus tard pour prendre une série de photos, l’artiste performait pour la première fois son EP « Fantôme Avec Chauffeur » devant les caméras de Grünt. Un premier moment d’adrénaline formateur avant la tournée à venir : « Ce jour là, j’ai ressenti les émotions que j’avais eu la première fois où je montais sur scène avec un public. J’étais stressé alors que y avait personne. Quelques petits couacs sur la prestation, le texte, mais c’était incroyable. C’est pour ça que je veux continuer de travailler pour sentir l’erreur arriver, les petits aspects techniques qui font la différence pour faire une bonne scène. »
Crédit : Ulysse Carbajal pour Mosaïque.
En retrouvant ses fans, Benjamin Epps souhaite continuer de livrer son récit en lui donnant encore plus de corps. S’il se raconte déjà beaucoup dans ses interviews, le MC exclut fermement avoir déjà tout confié : « En musique c’est toujours différent. Qu’est-ce qui fait la différence entre l’histoire d’un enfant soldat au Congo et 50 Cent ? C’est que l’histoire est dite différemment. 50 il va te dire : « Je rentre chez le négro, je prends un fusil, je tape le gars, je le mets dans la voiture. » L’enfant soldat, face caméra, il va te dire « C’était difficile, etc. » La beauté du rap c’est que ça te permet de prendre une situation dramatique, triste à première vue et d’en faire de la belle poésie. » Il ajoute, avec un brin d’egotrip : « Quarante minutes d’interview ne sont pas suffisantes pour raconter les vingt-cinq dernières années de ma vie. Même une documentaire Netflix ne le pourrait pas ! »
Pendant un entretien avec Mehdi Maizï dans l’émission « Le Code » d’Apple Music, le rappeur expliquait d’ailleurs vouloir réserver les « grands discours aux grandes occasions ». « Dans mon premier album, je donnerai plus de moi. C’est quelque chose de sacré pour moi. Je disais à un pote qu’Alpha Wann a fait « Alph Lauren » 1, 2, 3… Mais les gens ne parlent que de « UMLA » parce qu’il y a mis son cœur et ses tripes ! Une super cover, un super contenu. » Selon lui, ce format perd peu à peu de son sens premier, perdu dans la frénésie de l’industrie musicale. Il regrette : « Il y a un truc de « c’est facile à faire ». Alors que normalement on pense thèmes, concept… »
Crédit : Ulysse Carbajal pour Mosaïque.
Sans s’attarder aux comparaisons, il enchaîne et glisse que son tour viendra bientôt : « Je vais sortir encore un EP cette année et je lâcherai l’album à l’automne 2020. » Un an et demi de travail sur un disque pour lequel Benjamin Epps réserve de grands projets. « J’enregistrerai l’album à New-York. Une semaine pour écrire les titres qui me manque et une autre pour tout enregistrer. Je veux avoir le mood, le grain, New-York quoi ! Il me faut un studio qui a déjà accueilli des légendes pour avoir cet esprit là. Je vais aller y chercher l’inspiration et mes idoles. Je ne suis encore jamais allé dans cette ville, mais je veux réserver le premier voyage pour l’album », dévoile-t-il avec quelques étoiles discrètes dans les yeux. Loin de la pression d’une telle entreprise, l’artiste veut revenir à la source de ses influences pour délivrer un opus qu’il souhaite « intemporel ».
« J’enregistrerai l’album à New-York.
Je vais aller y chercher
l’inspiration et mes idoles. »
Imprégné de hip-hop new-yorkais, il a rapidement été rapproché de rappeurs de la région par le public. Westside Gunn de Griselda Records, Conway the Machine… Les mêmes noms reviennent sans cesse. Loin d’être agacé, il explique vouloir déconstruire ce phénomène : « Les gens disent je rappe comme X, je rappe comme Y. La vérité c’est qu’on est tous influencés. Ce style que tu as là par exemple, de remonter ton pantalon et de faire des ourlets, il y a six ans, personne ne faisait ça. Un groupe de gars a commencé donc tout le monde le fait. C’est comme ça tout le temps et c’est cool. Ici, en France, on veut te mettre dans des cases. L’un de mes cousins m’a envoyé un screen Twitter hier où quelqu’un disait : « Ah c’est cool que Benjamin rappe de moins en moins sur les Griselda type beat. Moi je me disais : « Merde, ces gars-là n’ont pas inventé le rap ! ». Tout au long de notre échange, Benjamin Epps se fend d’illustrations pour donner du poids à ses propos. Ce discours n’y échappe pas non plus : « Michael Jackson quand il commence à danser, c’était un élève de James Brown. Personne n’a jamais dit qu’il faisait comme James Brown ? »
Crédit : Ulysse Carbajal pour Mosaïque.
Dans les sillons de ses maîtres, Benjamin Epps vibre à la mesure du boom-bap, tout en l’interprétant selon sa vision. « Est-ce que je fais du boom-bap pas chiant ? », s’interroge-t-il en reprenant un morceau de notre question. Il songe quelques secondes en se tenant le menton. « Oui… Je pense que c’est parce qu’il y a du package, de l’attitude, une élocution différente. Je ne dis pas wesh à toutes mes fins de phrases… Ça compte ça pour les gens. C’est pas intentionnel, c’est juste que je m’exprime comme ça. Je ne mets pas la casquette de racaille, c’est subtil. »
Souvent proche de la provocation ou du tacle bienveillant, le battle MC se nourrit de la concurrence. Le 2 juillet 2021 dernier, il s’est ainsi confronté à Dinos sur le morceau Walther PP, présent sur la réédition de « Stamina, Memento ». Avec le rappeur de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), tout droit sorti de l’école des Rap Contenders, il a retrouvé l’énergie de la confrontation : « On ne s’était jamais croisés, c’était génial. le morceau a été plié en quatre heures et demi. On a entendu cette prod (réalisée par le producteur Twenty9, NDLR) et on a rappé. Il y avait ce désir de faire mieux que l’autre. C’est ce que je dégage, la compétition. On voit que j’ai les crocs et j’avais une pression particulière, je me suis dit : « Tu parles, il faut assumer maintenant ! ».
« J’ai plein de grands frères et sœurs et ça m’a rendu fort. Je suis persuadé de pouvoir faire mieux que les autres, je n’ai peur de personne. »
Benjamin Epps
Cette confiance, il la doit à ses proches et surtout à son entourage familial : « J’ai plein de grands frères et sœurs et ça m’a rendu fort. Je suis persuadé de pouvoir faire mieux que les autres, je n’ai peur de personne. Dans ma tête, je me dis que je suis intouchable. » Impossible d’évoquer les proches du rappeur sans évoquer ses parents. Présents depuis ses débuts, leur soutien s’est révélé une arme redoutable pour passer des paliers : « Ça me rend libre dans mon processus créatif. Que je dise cul, chien, bite, salope, mon père adore ça, ma mère adore ça. »
Crédit : Ulysse Carbajal pour Mosaïque.
« Tu as des sœurs, des frères ? », nous questionne-t-il, curieux de notre réponse. « Comment tu te sens quand vous vous êtes chamaillés à un repas de famille un 25 décembre ? Le 26, au moment de rentrer, il y a une mauvaise vibe… Alors que quand tu as passé un bon moment, tu as juste envie de rentrer chez toi, de choper une meuf, tu es tranquille. C’est ma posture d’aujourd’hui. »
En relevant sa casquette pour la première fois, il évoque sa mère, parfois tout aussi inspirée que lui par la culture qui le traverse. Il nous raconte : « Elle a toujours kiffé ce game. C’est une grande fan de Snoop Dogg, c’est le seul rappeur qu’elle connaît bien ! Elle trouve le rappeur atypique, ce sont les nouveaux rockers des années 2000 pour elle. » Partager l’amour du hip-hop en famille, une donnée indispensable pour cet inconditionnel amoureux de la musique qui tient à rester authentique : « Je suis bien avec moi-même parce qu’ils sont bien avec ce que je fais. » Dieu bénisse les parents.
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