Qualifié de « prodige » par l’ensemble de la presse française dans un engouement général depuis une vidéo qui le montre en pleine interprétation d’une composition de Chopin, Mourad voit sa vie basculer en décembre 2018. Jeune adolescent de 14 ans des quartiers Nord de Marseille, il se retrouve propulser sur le devant de la scène. Il signe chez Universal, joue pour Soprano et André Manoukian puis performe au Vélodrome jusqu’au Stade de France. Cette année, Mourad Tsimpou s’apprête à dévoiler son deuxième album, « Petit frère », le 19 novembre 2021. Rencontre avec un passionné de classique et d’opéra, qui s’est mis à rapper et invite Jok’air sur son projet. Notre photographe, Sara Gurewan, en a profité pour capturer la timidité du pianiste dans le 5e arrondissement de Paris.
En rentrant chez lui un soir de l’année 2015, Mourad tape sur Google : « Meuble en bois ». Une succession d’armoires, de commodes et de tables basses défilent sur son écran. Mais ce n’est pas ce que l’adolescent recherche. L’objet dont il ne parvient pas à identifier le nom, il y a touché pour la première fois à l’école. Alors, il rajoute à sa recherche « touches noires, touches blanches ». Il scrolle. Bingo. Voici ce qui quelques heures plus tôt l’a attiré comme un aimant. Il clique. C’est ce qu’on appelle un piano. C’est la première fois que le jeune garçon entend parler de cet instrument : « Je viens des quartiers Nord et l’accès à la culture, surtout classique, n’est pas facile. Je ne connaissais pas l’existence du piano. »
En février 2015, une fusillade éclate dans le quartier de La Castellane à Marseille, tout près de l’établissement scolaire de Mourad. Pour lui, c’est une journée comme une autre : « C’est un jour normal où il y a eu des coups de feu à La Castellane, ça ne m’a pas terrorisé. C’est grave de dire ça mais c’est banal dans mon quartier. » Le lendemain de l’attaque, une intervenante, Marianne Sunner, vient échanger avec les élèves, par le biais de la musique : « Ce jour là, dégun (sic) voulait chanter. Elle a sorti son accordéon, elle a commencé à jouer et je me suis mis à chanter de l’opéra. Quelque chose me disait qu’il fallait que j’y aille. C’est là que j’ai découvert que je pouvais chanter. » Avant ça, l’adolescent n’écoute pas beaucoup de musique et ne s’est jamais essayé au chant. Aux côtés de la musicienne, il découvre l’opéra mais aussi ce qu’il identifie désormais comme étant un piano : « La première fois que je pose mes mains sur un piano, le seul truc que je sais c’est qu’il faut que je joue. »
Crédit : Sara Gurewan pour Mosaïque.
Passionné, le jeune garçon âgé de 14 ans à l’époque, se met à se renseigner sur l’instrument. Il regarde alors quelques vidéos Youtube et tombe sur La fantaisie impromptue de Chopin. Le collégien se prend d’admiration pour le compositeur. Il visualise et enregistre les notes mais pour accéder régulièrement à un piano, il n’a pas le choix. Il se rend dès qu’il peut à l’hôpital de la Timone, où il est suivi pour une maladie métabolique héréditaire, pour jouer sur le piano mis en libre-service dans le bâtiment : « Je ne sais même pas pourquoi je fais ça comme un fou tout seul alors que mes collègues sont au quartier. Qu’est-ce que tu vas faire là-bas jouer au piano ? Pour moi c’était une perte de temps mais c’était un passe temps. »
À tout juste 17 ans, deux albums en trois ans
Un jour de décembre 2018, épaté par sa performance, Rayan Guerra, un patient, lui demande sa permission pour le filmer en jouant ce qu’il sait faire de plus rapide. Mourad se rappelle alors la fameuse composition de Chopin : « Normalement, tu mets cinq ans pour apprendre à savoir la faire et je jouais du piano depuis seulement un an. Je me suis entraîné avec une application et je jouais les notes dans ma tête. J’ai pu la jouer directement. » En quelques heures, la vidéo de sa prestation postée sur Twitter fait des milliers de vues.
À son retour chez lui, il est accueilli par ses frères et soeurs qui n’en reviennent pas. Au réveil, tout prend un autre sens. Dans son salon : France 2, France 3 et BFM TV l’attendent pour des interviews. Sa mère, qui n’a pas encore vue la vidéo, ne comprend pas grand chose à tous ces gens qu’elle a laissé entrer chez elle : « Tous les journalistes sont venus vers moi : « Alors, le jeune prodige de Marseille ? ». Moi, dans ma tête, tout ce que je me dis c’est : « C’est quoi ce bordel ? ». Je ne suis pas allé au collège de la journée et à partir de là, tout s’est enchaîné. »
Tout s’enchaîne jusqu’à finir par jouer au Vélodrome puis au Stade de France trois ans plus tard. Un succès qui épate son entourage comme Mohamed Ali, rappeur et ami de l’artiste : « Quand Mourad a joué au Stade de France, il ne réalisait pas ce qu’il était entrain de faire mais c’était fou. C’est là que je me suis dit qu’on avait affaire à un génie de la musique.»
Crédit : Sara Gurewan pour Mosaïque.
Entre temps, il signe avec Universal en 2019, seulement quelques mois après la vidéo. C’est dans les locaux de son label à Paris que nous le rencontrons deux ans plus tard. Le jour de notre entretien, Mourad porte des lunettes teintées de forme carrée, une chaîne autour du coup et un polo Lacoste. En ce jour ensoleillé de septembre à Paris, l’artiste a une pensée pour la cité Phocéenne : « Il fait beau, je me croirais à Marseille. » Le jeune homme n’aime pas Paris et préférerait être dans son quartier de La Castellane qu’il décrit comme « un quartier avec beaucoup d’entraides, comme tous les quartiers de Marseille ». Sur son prochain album, une chanson, L’amour à La Castellane, est dédiée au lieu : « J’avais envie de déclamer mon amour pour cet endroit. J’y suis très attaché, je ressens de l’amour pour ce quartier et pour tous ces gens qui y vivent. »
Lorsqu’il monte à la capitale, ce ne sont donc que pour des raisons professionnelles. Celui qui a été surnommé le « Zidane du piano » s’apprête à sortir son deuxième album « Petit frère », prévu pour le 19 novembre 2021. Si son premier album « Prémices », sorti en novembre 2019, était uniquement composé de piano, cette fois, le pianiste a décidé de poser sa voix et de rapper : « Il fallait que je m’affirme en tant qu’artiste et montrer que je peux être un artiste complet. Je voulais faire du moderne et sortir de l’image du petit prodige qui fait du classique. »
Les gens se sont intéressés à moi, parce que mon histoire est hors norme. Mais ils n’ont pas encore écouté ma véritable musique, ce que je sais faire.
Mourad pour Mosaïque
« Prodige », c’est le surnom que lui a rapidement attribué toute la presse généraliste au moment de son buzz. Pourtant, lui ne s’y reconnaît pas : « Un prodige, c’est quelqu’un qui sait tout faire alors qu’en musique, tu apprends toute ta vie. Je dirais que je suis un pianiste en développement qui essaye de construire sa carrière. » Et c’est justement avec ce deuxième album qu’il compte faire ses preuves : « Les gens se sont intéressés à moi, parce que mon histoire est hors norme. Mais ils n’ont pas encore écouté ma véritable musique, ce que je sais faire. »
Son ami, Mohamed Ali, le voit évoluer depuis ses débuts : « Je suis plus âgé que lui, alors je le conseille pour qu’il ne soit pas trop impulsif. Quand il fait des sessions ou quand il faut prendre des décisions, il a beaucoup de responsabilités… Et il n’a que 17 ans. Dans le taff, c’est quelqu’un qui a beaucoup d’imagination. Il est surprenant mais il faut le canaliser. Quand t’es jeune, tu n’as pas forcément les mots pour bien dire ce que tu veux. »
Un succès à confirmer
Derrière ses lunettes teintées, Mourad est encore un adolescent de tout juste 17 ans, qui a encore du mal à s’exprimer, satisfait d’avoir correctement utilisé le mot « culinaire » en s’exclamant : « Ouah, j’ai dit un mot incroyable (rires). ». C’est pourquoi, le pianiste préfère pour l’instant se faire aider pour écrire les textes de son album : « J’ai jamais écrit un son en entier. » Il s’arrête, regarde son manager, Amine Immel, et demande : « J’ai le droit de le dire ? » Toujours en quête de permission et d’approbation comme un enfant qu’il est encore, il poursuit avec l’accord de celui qui l’épaule : « J’ai des gens qui m’aident en studio, comme le rappeur Lenox. Parce que moi, ce sont plutôt des images que je vois lorsque je joue du piano. Surtout des paysages. Je vois des branches d’arbres, avec des feuilles qui tombent, et le ciel bleu derrière. Chaque feuille qui tombe est une note de piano dont je retransmets l’émotion. » Sur le morceau Dernier bus, il invite le rappeur Jok’air, en s’effaçant derrière son instrument : « J’ai préféré laisser mon piano parler parce que c’est un morceau introspectif. Mes notes en disent plus long que moi », insiste-t-il.
Mourad, c’est un peu le petit frère de Marseille. Il y a vraiment un soutien de toutes les générations, des anciens comme des plus jeunes.
Amine Immel, manager du pianiste.
Encore jeune dans le milieu, le rappeur n’a pas l’assurance des artistes accompli.e.s. Au moment du shooting photo, le chanteur cache sa gêne par le rire et se dit « déstabilisé ». Si son album s’appelle « Petit frère », c’est précisément pour cela selon Amine Immel, son manager, venu à la rescousse de son protégé qui ne sait pas vraiment expliquer le choix de cet intitulé : « C’est un peu le petit frère de Marseille. Il y a vraiment ce soutien de toutes les générations, des anciens comme des plus jeunes. On a reçu des messages chaleureux de Kery James auxquels on ne s’attendait pas. » Une vision que confirme son ami Mohamed : « Il a une vie atypique pour un lycéen. Mais on essaye de le protéger, c’est comme un petit frère pour moi. »
Si personne n’évoque une référence potentielle à la chanson d’IAM du même nom, Mourad se sent porté par l’énergie de Marseille. Depuis son ascension, il a déménagé de La Castellane, qui lui manque, pour s’installer avec sa famille à La Jolière. Sa mère, femme au foyer et ancienne chanteuse aux Comores, ainsi que son père, chef de sécurité, sont admiratifs de sa réussite : « Ma mère est fière de moi, de voir que je parviens à me frayer un chemin dans la musique. S’il n’y avait pas eu le piano, je pense que j’aurais fini guetteur… ou footballeur (rires) », explique l’artiste.
Crédit : Sara Gurewan pour Mosaïque.
Si le chanteur se fait plus taciturne lorsque l’on vient à parler famille, il retrouve son énergie pour évoquer le pianiste Sofiane Pamart, réputé pour être le virtuose du rap français, et avec lequel il aimerait un jour collaborer. Ce sera peut-être sur son troisième album auquel il pense déjà, mais encore faut-il que Sofiane Pamart ouvre ses messages sur Instagram : « Je lui ai envoyé un message, il me répondra sûrement un jour », en rigole Mourad, au tempérament blagueur malgré sa timidité.
À 17 ans et déjà deux albums au compteur, le garçon des quartiers Nord doit faire face au risque du succès rapide qui parfois retombe aussi vite qu’il n’est apparu. Son ami, Mohamed, se veut rassurant : « Il est bien entouré. Son succès peut le stresser mais il est déterminé. Il ira très loin, jusqu’au bout du monde. » Justement, après tant d’accomplissement, Mourad rêve encore de deux choses : « Jouer avec Alicia Keys et faire le tour du monde avec mon piano. »