Mosaïque

Siméon Viot et BBL sont deux beat­mak­ers belges. En 2019, ils unis­sent leur force pour créer un duo, La Miel­lerie, et mul­ti­plient les place­ments d’in­stru­men­tales. Alors que leurs pro­duc­tions réson­nent dans les pres­tigieux albums de Niska, Roméo Elvis ou encore Caballero & Jean­Jass, ils déci­dent de se lancer dans la créa­tion de leur pre­mier album : « Pre­mière récolte », paru ven­dre­di 23 juil­let 2021.

Pen­dant plus d’un an, ces deux musi­ciens vont inviter vingt-deux artistes à pos­er leur voix sur un pro­jet de douze morceaux. Le cast­ing mêle des têtes d’af­fich­es comme Isha, Primero ou encore Caballero, à des rappeurs encore en développe­ment comme Geeeko, Gut­ti ou New ATL. À l’oc­ca­sion de cette sor­tie événe­ment, Siméon Viot et BBL de La Miel­lerie ont accep­té d’emmener Mosaïque dans les couliss­es de la créa­tion de ce pre­mier album de producteurs.

Pourquoi avoir décidé de vous lancer sur ce pre­mier album ?

BBL : Cette idée est née il y a un an et demi. On avait déjà voulu faire ça cha­cun de notre côté, mais séparé­ment ça aurait été plus com­pliqué. On avait moins de moyens.

Siméon : On voulait créer de la musique sur laque­lle on avait la main. On est nom­breux à vouloir faire ça mais ce n’est pas évi­dent à met­tre en place.

Que vous manquait-il ?

Siméon : On avait besoin de mieux con­naitre l’industrie et la pro­duc­tion d’un album, de A à Z. 

BBL : Il y aus­si le fait que pen­dant plusieurs années, on s’est fait des con­tacts, on a crée des rela­tions et de la con­fi­ance avec des artistes. Avoir à dis­po­si­tion un stu­dio d’enregistrement est aus­si impor­tant, faire sans c’est super dur ! On a plus de skills et on est plus com­plet aujourd’hui. On sait enreg­istr­er, mix­er, faire une réal…

Pro­duire son pro­pre album est-il un cap néces­saire, en tant que beat­mak­er, pour pass­er un cap ? 

Siméon : Au niveau de notre nom, je ne pense pas que ça soit fon­da­men­tal. Lorsque Metro Boomin le fait (avec sa pre­mière mix­tape « 19 & Boomin », en 2013, NDLR), ça ne lui donne pas plus de notoriété. Pour La Miel­lerie, c’est surtout intéres­sant en tant qu’expérience. Plutôt que de pro­duire track par track, on invite des artistes à venir vers nous.

BBL : On a déjà passé beau­coup de caps et on a pro­duit pas mal de titres. Je pense même que plac­er pour Niska par exem­ple nous donne plus d’exposition que notre pro­pre pro­jet. Mais c’est une bonne carte de vis­ite à présenter.

Qu’avez-vous appris tout au long de la con­struc­tion de « Pre­mière récolte » ?

BBL : Gér­er les bud­gets, tenir les délais… 

Siméon : C’est vrai­ment une autre démarche. On est respon­s­ables et on doit tout suiv­re de jour en jour. Est-ce qu’on a la cov­er ? Est-ce qu’on sera bon pour la date de sortie ?

BBL : On a vrai­ment dû plan­i­fi­er. On a pris des semaines entières pour ne faire que du mix. On a pas eu peur de se dire de ralen­tir les place­ments, quitte à man­quer quelques oppor­tu­nités pour rester focus.

Siméon : Ce que j’ai appris aus­si, c’est qu’on a ten­dance à don­ner beau­coup d’informations musi­cales. Mais quand tu mix­es, tout ressort plus fort et plus clair. Les défauts ressor­tent plus facilement. 

Quelle a été la pre­mière pierre du projet ? 

BBL : C’était une ses­sion avec Caballero et Geeeko. C’était cool et ça s’est super bien passé. Ils ont grave bien joué le jeu. C’était un signe de l’univers qui nous dis­ait : « Allez c’est main­tenant, vous pou­vez vous lancer ! »

Siméon : Louis (BBL, NDLR) tra­vaille sou­vent avec eux et c’était une col­lab­o­ra­tion nou­velle qui n’avait jamais eu lieu. Le con­tact a été très bon.

Cer­tains rappeurs col­lab­o­raient ensem­ble pour la pre­mière fois. Pourquoi avoir provo­qué ces fea­tur­ings inédits ?

Siméon : C’était un objec­tif. On aurait pu directe­ment faire col­la­bor­er Caballero et Jean­Jass, mais ce n’était pas l’idée. On a véri­fié à chaque fois que les artistes ne s’étaient pas encore croisés. On voulait quelque chose d’intéressant. Ça a aus­si per­mis de con­fron­ter des artistes con­fir­més à des novices. C’est le cas d’Isha et Nixon.

Sur le track avec Le Motif, qui est aus­si beat­mak­er, vous êtes trois tech­ni­ciens réu­nis autour d’un morceau. Com­ment ça se passe en studio ?

Siméon : Le Motif a pris une prod qu’on avait déjà com­posée avec Louis à dis­tance. Il nous a juste ren­voyé les accords plaqués avec une mélodie. J’ai ajouté des drums, on a bougé quelques trucs et c’était bon.

BBL : Il est venu au stu­dio valid­er la com­po­si­tion et il a posé pen­dant deux heures sans inter­rup­tion. Une vraie énergie.

Siméon : C’est un tech­ni­cien mais il s’est vrai­ment placé en tant qu’artiste. Et le thème qu’il a abor­dé a fait que c’est le seul morceau qui est resté solo. Il y a eu des ten­ta­tives, mais ça n’a pas fonc­tion­né. Il a fait un son unique.

Avez-vous été plus exi­gent que d’or­di­naire avec les artistes présents sur la track­list ?

Siméon : Effec­tive­ment, on peut se per­me­t­tre d’être plus à cheval sur notre vision. D’habitude, si un artiste ne veut pas d’un vio­lon sur une prod, on le retire par respect. Là, sur notre album, on peut les rajouter après coup si on le souhaite.

BBL : On en demande plus aux artistes : « Tu peux venir enreg­istr­er ? Valid­er le mix ? Tourn­er le clip ? » Finale­ment, je trou­ve qu’on a pas eu à le faire de trop. Les artistes ont aimé notre direc­tion artis­tique. Il y a tou­jours eu une bonne ambiance. Cer­tains se sont ren­con­trés en stu­dio pour la pre­mière fois et ont gardé contact.

Dans quelle mesure vous autorisez-vous à ren­tr­er dans le texte des artistes ? 

Siméon : On les a lais­sé vrai­ment libres. C’est moins notre domaine. 

BBL : On se con­cer­tait quand même. Avec Isha et Nixon, il y avait ce truc dans la pièce où on s’est dit : « Il faut faire un banger, passe-passe, kické. » Si l’un des deux était par­ti sur son enfance en mode mélan­col­ique, on lui aurait dit que c’était pas le mood. On s’intéresse surtout aux vibes et aux toplines. C’est cool de laiss­er l’artiste avec ses inspi­ra­tions et de seule­ment le diriger sur la manière de délivr­er son texte.

Avez-vous invité des artistes qui n’ont pas répon­du présent ? 

Siméon : Je voulais vrai­ment Hamza et Damso. Ce-dernier n’a pas dit non mais juste que ça ris­querait d’être compliqué.

BBL : On a pas de rela­tion avec eux donc c’est plus dur. Hamza qui con­naît bien Ikaz Boi par exem­ple ne rate pas ses com­piles à lui. Mais finale­ment, on a eu beau­coup de Belges et beau­coup de gens en devenir.

Quelle est la phase de la créa­tion qui a sus­cité le plus de débat ?

Siméon : La réal­i­sa­tion et le mix ont été très longs et ont amené beau­coup d’échanges. Sur notre groupe What­sApp, on se ren­voy­ait des trucs tout le temps. Avec Sly, notre pro­duc­teur, on s’appelait régulière­ment pour régler un instru­ment qui son­nait trop aiguë par exem­ple. On ne con­nais­sait pas cette par­tie de la création.

BBL : La poli­tique de l’équipe c’est que tout le monde peut amen­er une idée. Cha­cun de notre côté, on pou­vait pro­pos­er et con­fron­ter ce qu’on avait. Il n’y a pas d’ego.

Siméon : C’est la musique qui gagne, on le sent quand c’est meilleur.

À quoi ressem­ble votre couleur ?

Siméon : On cher­chait quelque chose de ryth­mé, très hip-hop, même si on a fait une drill. On peut tra­vailler avec des artistes afro et tout, mais on voulait un son hip-hop, rapi­de et cadencé. On a mis beau­coup de flûtes aus­si, on s’en est ren­du compte après.

BBL : C’est rarement bête et méchant et on essaye tou­jours d’amener de l’originalité et de la mélodie. On a choisi de ne pas faire un album de pro­duc­teur où les instrus sont vrai­ment spé­ciales avec plein de tex­tures. On voulait surtout faire du bon son.

Siméon : On recherche l’alchimie entre les artistes. Ce que je reproche par­fois aux gens qui sont dans la musique c’est de faire de la bran­lette intel­lectuelle. L’oreille n’apprécie pas tou­jours. On ne voulait pas se cass­er la tête, sans pour autant faire quelque chose de sim­pliste. C’est un pro­jet ouvert, une bonne com­pile, pas un album niche qui ne par­le qu’aux beat­mak­ers.

Louis : C’est un peu comme DJ Khaled. Il n’a pas les prods les plus sophis­tiquées, mais il a le bon artiste au bon moment qui sort le bon cou­plet. C’était notre démarche.

Pourquoi ne pas laiss­er de prod nue comme on trou­ve par­fois dans les albums de producteurs ?

Siméon : On avait eu cette idée, mais ça ne rejoignait pas notre volon­té de faire de la musique pour les gens au sens large et pas seule­ment pour les musiciens.

BBL : On a même pen­sé à faire des fea­tur­ings de beat­mak­ers, mais ça ne s’est pas fait.

Avez-vous pris des albums de pro­duc­teurs comme modèle ?

Siméon : Tim­ba­land, Metro Boomin… On a été jeter un coup d’œil sur plusieurs pro­jets pour voir si on avait fait une track­list assez longue par exem­ple. On a scruté leur for­mat pour avoir des idées. Mais on ne s’est pas inspiré de leur musique.

Lorsque l’on est un créa­teur de matière son comme vous, est-ce pos­si­ble d’être sat­is­fait de sa création ?

Siméon : Pour être hon­nête, je suis fan des morceaux mais on a été au mas­ter­ing il y a encore trois jours et j’ai demandé à chang­er une fréquence sur un instru­ment. J’écoutais le morceau Gim­mick avec Isha et Nixon en soirée hier et je me dis­ais : « Ah tiens le hit-hat… ». Tu ne quittes jamais l’exigence, même quand c’est sor­ti. C’est ce qui définit la façon dont tu vas tailler la pierre sur laque­lle tu boss­es. Même quand c’est fini, c’est pas fini. 

BBL : C’est notre héritage et notre répu­ta­tion à terme. 

Quand est-ce qu’on sent que le pro­jet est défini­tive­ment terminé ?

Ensem­ble : C’est la deadline !

Siméon : Per­son­nelle­ment, quand j’avais ten­té de faire une com­pile seul, c’était ce qui m’avait man­qué. Quand tu ne fix­es pas de lim­ite, c’est flou. Le temps passe et tu finis par lâcher.

BBL : Si on avait eu deux mois en plus, on aurait sûre­ment fait deux mois de mix­age (rires). Mais on a aus­si cette envie de lâch­er le pro­jet et pass­er à autre chose. On le donne bien, mais on le donne quand même. 

Siméon : On est fiers de ce qu’on a fait et la per­fec­tion n’existe pas. On est très con­tents d’être arrivés à ce niveau-là de la créa­tion. C’est ensuite au pub­lic de juger. L’album s’appelle « Pre­mière récolte » donc c’est ouvert à une suite…

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