Quelques semaines après avoir téléphoné à Joanna pour évoquer le clip de Sur Ton Corps, diffusé sur Pornhub avec le duo star Leolulu, nous avons retrouvé la chanteuse sur Zoom, en plein mois de mars. Cette fois, sa perruque orange est de sortie et elle entame tout juste la promotion de son premier album studio : « Sérotonine », prévu pour le 7 mai 2021. À travers quatorze morceaux, l’artiste originaire de Rennes a monté un concept de toutes pièces : une histoire d’amour racontée de A à Z. En relevant le défi du storytelling, elle met en exergue des schémas relationnels qu’elle souhaite expliquer, comprendre et parfois déconstruire.
Joanna est souriante derrière son écran d’ordinateur. En répondant à nos questions, elle pense, se reprend quand elle observe une contradiction, mais semble apaisée par son discours et par son album aux vertus presque thérapeutiques.
Sérotonine : nom féminin.
1. Neurotransmetteur qui permet la transmission entre deux neurones. Elle est aussi appelée « hormone du bonheur ». Un taux bas de sérotonine est associé à un syndrome dépressif.
2. Premier album de Joanna, sortie fixée le vendredi 7 mai 2021.
Enfermée dans les cercles vicieux de ses relations passées, Joanna cherche à entrevoir la lumière pour ne pas sombrer. Le diagnostic est sans appel : la jeune femme est malade d’amour. Pour commencer sa thérapie, elle cherche à élucider les mécanismes qui mènent à son trouble. Comme une scientifique, elle écrit et couche sur du papier ses maux pour les décortiquer et les disséquer. « Ce premier album m’a permis de faire un résumé de ma dernière relation et m’a équilibrée. J’avais besoin de définir tout ce qui se passait dans mon for intérieur et j’ai tout examiné », nous raconte Joanna, en cherchant parfois ses mots.
En retraçant ses expériences pour mieux expliquer ses réactions, Joanna reconstitue, presque à son insu, une histoire d’amour étape par étape en racontant la fin d’une relation et le début d’une autre. Un storytelling naturel qu’elle a choisi de mettre en avant avec une tracklist explicite. La rencontre, la séduction, la peur, la jalousie, la frustration… Elle confesse : « Je ne suis pas partie du concept. Dans chaque morceau, je parlais d’un moment précis de l’histoire sans m’en rendre compte. J’en ai pris conscience petit à petit et j’ai assemblé toutes les pièces du puzzle. »
Une histoire sous forme de cycle qui semble se répéter sans cesse et sans surprise, dans lequel le début inclut la fin et où l’amour rime rapidement avec désamour. « Le schéma que je peins est celui de beaucoup de personnes qui commencent à flipper, à se poser trop de questions et à ne plus se faire confiance au moment où ils commencent à avoir des sentiments », précise la Rennaise.
« Destruction », « Malédiction », « Trahi »… Tout le long du disque, Joanna chantonne le fatalisme de l’amour. Alors même qu’aucun orage ne vient assombrir le paysage idyllique des débuts de la relation, celle qui a choisi de ne pas y croire chante déjà son désespoir dans Petit Coeur : « Tout petit cœur est envahi, tout petit cœur se sent trahi, ton petit cœur sera détruit. » La chanteuse dépeint l’effroi du sentiment d’abandon à l’autre qui mène souvent à la fuite : « Tout ce qu’on sait faire c’est se surprotéger, être méfiant et jaloux. On a peur de ce qu’on a même pas encore ressenti, que ça tourne mal. »
Crédit : Emma Panchot.
Une bascule dans la méfiance incarnée par l’image de la sérotonine qui donne aussi son nom au morceau racontant l’étape de la jalousie. Lorsque l’on demande à l’artiste de nous expliquer ce choix, elle répond instinctivement : « Manque de sérotonine = manque de confiance = jalousie. C’est un peu ça le schéma. » Consciente d’avoir été un peu trop spontanée, elle esquisse un sourire devant sa webcam.
« J’étais sûre que Laylow allait accepter parce qu’artistiquement il ne pouvait qu’être touché par la musique et par le thème. On a vite compris tous les deux que c’était évident. »
Joanna à propos de son featuring avec Laylow
La jeune artiste, aux cheveux parfois orangés, se place ainsi en sociologue de l’amour et illustre les rouages de l’échec amoureux, né de nos frustrations sociales. À l’image du morceau Nymphe solitaire dans lequel elle déconstruit le regard porté sur le désir féminin : « Dans notre société, si une femme aime trop le sexe, elle est soit nymphomane, soit mal baisée… C’est hyper tabou et c’est une histoire que beaucoup de femmes vivent. La façon dont on regarde le plaisir féminin doit être reconsidéré. »
Parler d’amour pour Joanna, c’est aussi requestionner des schémas malicieusement imprimés dans nos esprits par la perversité de leur banalité : « Une nymphomane, ce n’est rien d’autre qu’une femme qui, comme les hommes, aime le sexe. C’est un terme qu’il faut banaliser et qui ne doit pas renvoyer à quelque chose de péjoratif. » Elle concrétise alors cette volonté avec le titre Sur ton corps et son clip qui redonnent au plaisir féminin une place centrale dans la relation sexuelle.
Ces déconstructions sociales participent à guérir sa maladie d’amour et aussi à comprendre ce qui mène à la frustration. Un sujet pilier de l’album que la chanteuse a choisi d’évoquer aux côtés de Laylow, rappeur fiévreux de mélancolie, sur Démons. Torturé.e.s par la relation amoureuse, ces deux cœurs qui cherchent à éviter la rupture et le déchirement se sont réuni.e.s pour laisser libre cours à leurs blessures. « J’étais sûre qu’il allait accepter parce qu’artistiquement il ne pouvait qu’être touché par la musique et par le thème. On a vite compris tous les deux que c’était évident », se souvient-elle.
Seul featuring du morceau, il propulse Joanna en novembre dernier au devant d’une nouvelle scène. Si elle comprend désormais que l’on puisse la rapprocher du rap, elle refuse d’être catégorisée comme une actrice du mouvement à part entière. De la même manière, elle insiste sur les différentes grilles de lecture que peuvent comporter son album, pour ne pas être rangée dans une case. « Tout le monde peut se retrouver dans mes morceaux. Je me suis inspirée de moi, mais aussi de ce qui m’entoure : mes relations amicales, ce que me racontent mes copines, comment ma mère vit sa relation avec mon père… »
Crédit : Emma Panchot.
Ainsi, c’est dans cet élan qu’elle consacre le titre étape de la nostalgie à sa mère : Maman. Un soir dans son home studio, elle allume son micro et enregistre un texte. Les toutes premières prises sont finalement gardées et donnent naissance au morceau. « J’ai trouvé ça fort », raconte-t-elle. « C’est un titre important. Il arrive juste avant que je prenne la décision d’arrêter la relation, avant Désamour et Alerte Rouge. C’est comme si j’avais consulté ma mère et qu’elle m’avait dit de suivre mon instinct. »
L’amour conduit-il forcément ceux et celles qui y ont recourt à des impasses de souffrances ? « Non », répond la chanteuse… avant d’hésiter. « J’ai vécu mes relations comme ça, mais aujourd’hui j’ai envie de me dire que ce n’est pas l’amour qui détruit. On reproduit des schémas mais sans les comprendre. On est des handicapés de cet aspect de nos vies. » Pensive, elle conclut : « J’ai toujours ces mécanismes de protection négatifs, mais je résonne mieux. L’album ne m’a pas guérie, mais au moins je sais ce qui pêche et je fais plus confiance à l’autre comme à moi. »
« Sérotonine », disponible sur toutes les plateformes de streaming le vendredi 7 mai 2021.