Mosaïque

- ÉPISODE 1 -

 

Un jour de plus. Une nou­velle date à ray­er du cal­en­dri­er. Il claque la porte de son bureau. Demain, la même journée l’attend. Il ne le sait pas encore mais sa vie est sur le point de bas­culer. Alors qu’il allume une cig­a­rette, une pluie fine se met à tomber. Les gouttes dégouli­nent le long de son nez et de ses cheveux bouclés. 

Lay­low, le cœur vide, déam­bule dans les rues de Toulouse. Le vend qui souf­fle le froid du mois de févri­er ne le fait pas fris­son­ner. Ce qui l’entoure ne lui par­le plus. L’absurdité de son quo­ti­di­en qui défile n’a plus de goût. Il se lève et se couche avec la même tor­peur. Chaque jour qui passe s’alourdit un peu plus. Les nou­velles journées ne le sont plus et se ressem­blent toutes. À la manière de quelqu’un qui se force à cro­quer dans un gâteau écoeu­rant, il con­tin­ue de vivre. Comme pris­on­nier d’une boucle tem­porelle, il aimerait tend ressen­tir à nouveau.

 

Dessin : Werther Bre­choteau (insta­gram : mask_n_swordcomics).

 

De retour chez lui, il retrou­ve son apparte­ment exigu où des piles de papiers et de vieux CD-Rom jonchent le sol, Mécanique­ment, il s’assoit à son bureau et allume son PC Win­dows 98. Après quelques min­utes de charge­ment, la machine s’affole. Des lignes de code défi­lent à toute vitesse sur l’écran. Lay­low pense d’abord à un bug et tente de le redé­mar­rer. Rien n’y fait, des chiffres de couleurs vertes clig­no­tent dans tous les sens. Alors que l’ordinateur sem­ble sur le point d’exploser, tout s’arrête.

Une voix métallique s’élève de ses enceintes grésil­lantes :« Bien­v­enue dans le pro­gramme Trin­i­ty. Veuillez com­pos­er votre code per­son­nel à trois chiffres afin d’ac­céder à votre inter­face. » Sans réfléchir, Lay­low tape le numéro de son apparte­ment sur le clavier : 303. La voix reprend : « Authen­tifi­ca­tion en cours. Accès autorisé. Ini­tial­i­sa­tion du pro­gramme Trin­i­ty. » Il perd le con­trôle. Pour la pre­mière fois depuis des années, la scé­nario de sa journée se bous­cule. Les murs de son apparte­ment se met­tent à trem­bler. La réal­ité se déforme autour de lui et sa vision se floute. Comme aspiré par le vide, un trou se perce dans l’espace temps et Lay­low change de dimension. 

Pro­jeté vio­lem­ment sur le sol, il ouvre les yeux s’aperçoit qu’autour de lui tout a changé. Encore son­né par le choc, il jette un rapi­de coup d’œil. Dans une pièce com­plète­ment vide, il sem­ble seul. Une chose est sûre, il a quit­té son apparte­ment. « Est-ce réel ? », se ques­tionne-t-il. Pour­tant tout à l’air vrai. Lorsqu’il se relève, il décou­vre une grande baie vit­rée don­nant sur une ville plongée dans la nuit. Au milieu des immeubles endormis, trône un build­ing illu­miné. À son som­met, de grands néons verts flu­o­res­cents dessi­nent le nom de « Trinity ».

Machi­nale­ment, Lay­low plonge ses mains dans ses poches. Avec sur­prise, il décou­vre un petit car­net abîmé. Sur la cou­ver­ture, une inscrip­tion indique : « Trin­i­ty, logi­ciel de sim­u­la­tion d’é­mo­tions ». Par­courant rapi­de­ment les pages, il com­prend que le pro­gramme qui a hacké son ordi­na­teur l’a inté­gré à son système.

Il est ren­tré dans « Trin­i­ty ». En pleine incom­préhen­sion, une vio­lente douleur vient appuy­er sur son coeur. Pres­sant sa main con­tre sa poitrine, il remar­que un objet de métal col­lé à sa peau. Dans la panique, il retire à toute vitesse son t‑shirt et décou­vre une molette numérotée incrustée entre ses deux pec­toraux. Il hurle.

 

Dessin : Werther Bre­choteau (insta­gram: mask_n_swordcomics).

 

Dés­espéré, il tente de tourn­er la mys­térieuse molette d’un cran, dans le sens des aigu­illes d’une mon­tre. Le mécan­isme piv­ote. La douleur se fait alors de plus en plus forte. Son pouls s’ac­célère. Lay­low souf­fre mais se sent vivant. Se pré­cip­i­tant en dehors de l’appartement, il dévale les escaliers en colimaçon. 

Une fois dans la rue, il gon­fle ses poumons. Ses neu­rones se recon­nectent et ses émo­tions se réin­tè­grent. Incli­nant sa tête vers le ciel, il hurle : « Aug­mente la pres­sion. »  La morosité l’abandonne. La nos­tal­gie, l’amour, la peur, la fierté… Il ressent. Pris de ver­tige, il s’assied sur le trot­toir et se prend la tête dans les mains.« Est-c’que j’su­is dans l’vrai ? Est-c’que j’pète un câble ? Est-c’que ces gens m’ai­ment ? Est-c’qu’ils s’foutent de moi ? Pourquoi j’vois tou­jours le monde en blanc et noir ? Pourquoi j’en suis là ? Tou­jours en bas. »

La voix dig­i­tale du pro­gramme résonne cette fois dans sa tête : « Vous sem­blez mélan­col­ique ce soir. Que diriez-vous d’un pro­gramme d’en­traîne­ment ? » Com­plète­ment assom­mé, il hoche la tête dans le vide. « Ter­ri­toire : extérieur. Con­di­tions cli­ma­tiques : excel­lentes. Pro­gramme de pilotage à haute vitesse : enclenché. »

Une Lam­borgh­i­ni Gal­lar­do poussée à pleine vitesse s’arrête brusque­ment devant lui. Au volant, un homme noir aux yeux rouges, vêtu d’une Cana­da Goose blanche, lui fait signe de prend place sur le siège pas­sager. Une fois instal­lés dans l’habitacle, le con­duc­teur lui tend la main et se présente : « S.Pri Noir ». D’un coup sec sur l’accélérateur, le mys­térieux con­duc­teur démarre en trombe et tra­verse les rues de la ville à toute allure.

Lorsque le véhicule s’arrête, il recon­naît l’immeuble au néon vert. Il pénètre, quelques min­utes plus tard, dans un apparte­ment immense où une trentaine de per­son­nes sec­ouent la tête sur la prod intense de Black Skin­head de Kanye West. Tou­jours sous pres­sion, son coeur bat de plus en plus vite. Un verre de whisky à la main, il s’abandonne à l’ambiance de la soirée. Si son instinct se trou­ble avec les vapeurs ambiantes d’alcool, il ne perd pas du regard une jeune femme brune, cheveux au car­ré, une Marl­boro fumante à la main. Son élé­gance ray­onne mais son vis­age demeure fer­mé. Pas un sourire ne vien­dra trou­bler ses traits. Hyp­no­tisé par son énergie, il n’ose pas s’approcher d’elle.

 

Dessin : Werther Bre­choteau (insta­gram: mask_n_swordcomics).

 

Après quelques heures de vibra­tions sur du son d’outre-Atlantique, il cache dans sa veste une bouteille de Jack Daniel posée sur la table et s’éclipse. Lay­low est rechargé à 100 %. Le moteur de la berline jaune vrom­bit encore plus fort sur le chemin du retour. Avant de se quit­ter, S.Pri Noir lui tend un téléphone. 

De retour dans l’appartement où il avait été pro­jeté quelques heures plus tôt, il s’allonge sur un vieux canapé en cuir pous­siéreux. Il s’abandonne finale­ment au som­meil. Réel ou virtuel ? La ques­tion sonne tou­jours creux.

 

L’épisode 2. À découvrir sur Mosaïque.

 

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