Un peu comme Frenetik sur le morceau Mauvais œil : « J’ai souvent l’impression d’avoir le syndrome de la feuille blanche », il est difficile de trouver les mots quand il s’agit d’évoquer l’artiste de 22 ans. Tant parce qu’il impressionne par sa maturité artistique et humaine que par un premier album, « Jeu de Couleurs » dévoilé le 22 janvier 2021, dans lequel le rappeur impose la vision de son art.
D’une douceur agressive et d’une agressive douceur, Frenetik s’emploie sur 14 titres à déployer sa palette de couleurs. Par touches, il peint les différentes notes qui forment le tableau de sa musique. Du bleu, du jaune, du rouge…. Le belge laisse le pinceau entre les mains de son auditeur : « Tu peux préférer le bleu, moi le vert, si on assemble nos deux couleurs, ça en donne une autre », confiait-il à Mehdi Maïzi dans son émission Le Code. Autant peintre que sujet de son œuvre, Frenetik veut rassembler avec une proposition pourtant affirmée.
Si l’oreille pourrait s’épuiser à force de punchlines et d’une écriture dense et rigide, la construction de l’album prend tout son sens. Le projet respire par le choix des prods, qui rendent l’écoute facile sans trahir l’ADN du rappeur, à l’image du titre Lumière, produit par BBL. Le beatmaker du duo La Miellerie raconte : « Pour ce morceau, j’ai d’abord fait la mélodie avant d’en travailler l’univers avec Frenetik. C’est une prod qui fait du bien dans la tracklist. La rythmique est plus douce. Nous avons fait d’autres sons ensemble mais ils ont choisi celui qui s’adapte le mieux à l’ambiance du projet. » Une ambiance colorée par les différentes nuances de l’album, dont le kick se fait la teinte principale.
L’art de la représentation
À l’image de ses compatriotes, peintres flamands du XVᵉ siècle, Frenetik s’inscrit dans un mouvement. Deux écoles qui exportent leur technique. Eux avaient influencé l’Europe en popularisant la technique de la peinture à l’huile, lui participe à travers son « Jeu de couleurs » au renouveau du kick dans le rap francophone.
Une filiation qui s’extrapole jusque dans ce que le rappeur donne à voir. La peinture flamande se voulait être l’art de la représentation. À travers ses textes, qui font désormais sa réputation, le jeune belge dépeint un monde comme les naturalistes du XVᵉ siècle le faisaient : dans ce qu’il est réellement, sous toutes ses couleurs.
Crédit : Aurore Fouchez.
Les visuels qu’il propose affichent cette ambition. Paul-Henry Thiard, qui se cache derrière le clip Blanche Neige, s’est inspiré du réalisateur russe Azar Strato : « Il fait des trucs très glauques dans l’image : il filme la pauvreté et la violence de son pays. C’est toujours très froid, dans une ambiance sombre. »
Ce naturalisme se mêle à la fiction pour donner un clip cinématographique. Le réalisateur ajoute : « Je me suis inspiré de Fight Club pour la double personnalité : un gentil et un méchant dans un seul personnage. J’ai pensé à ça quand il rappe : « car la bête est sortie de sa cage ». À mesure qu’il progresse dans le deal, son monstre devient de plus en plus grand. »
Une cinématographie visuelle et auditive. L’album est marqué par sa solennité. L’amplitude des morceaux donne corps à l’artiste dont Mouvement historique, outro du projet, en est la parfaite illustration, comme l’explique Guapo du Soleil, producteur du titre : « Nous avons eu une conversation un peu deep sur la vie avant de commencer la session. Notre discussion m’a fait penser à cette prod et aux émotions que j’avais quand je l’ai faite. Pour la réaliser, j’ai utilisé un Virtual studio technology (banque de sons) avec des ambiances philharmoniques que l’on utilise normalement pour créer des ambiances orchestrales. C’était une période où je regardais pas mal de documentaires comme Ushuaïa ou des documentaires animaliers qui utilisent souvent des sons amples. »
« Frenetik a sa vision »
Une ambiance sentencieuse cristallisée par les notes de piano de Sofiane Pamart sur Noir sur Blanc et que Frenetik parvient à distiller dans l’album pour ne pas s’y enfermer. Sa musique est ainsi teintée de lumière. Dans « Jeu de couleurs », la souffrance se mêle à l’espoir qui repose sur la spiritualité et le travail.
Crédit : Rémi Besse.
Un acharnement que ceux qui l’ont côtoyé ont pu constater. Malgré son jeune âge, Frenetik s’investit dans chaque étape de la construction de son projet. Le beatmaker Guapo du Soleil se souvient de son implication lors de la session d’enregistrement de Mouvement Historique : « C’est une prod spéciale en trois parties. Au départ, il n’y en avait que deux mais il m’a fait ajouter l’outro du morceau une fois en studio. Il voulait quelque chose d’original. Nous avons donc fait la prod ensemble avec Florentin, l’ingénieur du son. Frenetik m’aiguillait et me guidait dans ses choix. Je suis parti de la composition principale, j’ai changé les percussions, j’ai mis des effets dessus et j’ai rajouté une autre mélodie pour que ça ait un aspect expérimental. »
Le producteur BBL fait le même constat : « C’est lui qui a suggéré l’idée de la rythmique mi-trap, mi-brésilienne pour le morceau Lumière. Il voulait quelque chose de proche de l’afro sans que ce soit trop évident. C’est un artiste vraiment impliqué dans le choix de ses prods. En studio, il est très concentré, il a souvent des idées. Il arrive avec des inspirations et des choses qu’il veut essayer. »
Crédit : Capture écran du clip Blanche Neige.
Un engagement dont a été témoin Paul-Henry Thiard sur les trois journées de tournage de Blanche Neige : « Il était vraiment très investi. Entre deux prises, il restait pour voir s’il pouvait aider. Il y en a certaines que l’on a refaite trente fois (rires). Celle où on le voit dans le rétro, c’était la dernière prise du premier jour de tournage. Il était deux heures du matin. Il fallait qu’on arrête de tourner mais il est resté. Il a attendu qu’on ait la bonne. Ça pourrait paraître normal mais il est appliqué sur tout le processus de son album. »
Si son ascension fulgurante n’étonne pas, sa maturité surprend. BBL connaît l’artiste depuis 2017 : « J’oublie à chaque fois qu’il est si jeune. Pour moi, il est déjà vieux dans sa tête (rires). » Paul-Henry Thiard, lui-même âgé de 20 ans, perçoit également une ouverture d’esprit : « Frenetik a sa vision. Il sait où il veut aller et ce qu’il veut mais il est ouvert aux propositions. Il m’a fait confiance dès le premier jour alors que je ne le connaissais pas beaucoup. »
Crédit : Alexandre Ducarel.
Avant de s’exprimer, Frenetik marque souvent une pause. Le temps de mettre en ordre sa pensée. Comme dans « Jeu de Couleurs », aucune phrase n’est laissée au hasard. Le projet est finalement à l’image du rappeur : réfléchi et cohérent. Pour qui, la musique n’est pas une blague : « Ma musique, c’est le reflet de ma vie. Je ne peux pas la bâcler. Chaque son que j’écris, c’est une partie de mon existence que j’enferme éternellement. » Frenetik encapsule ainsi un premier album abouti, dans lequel il associe nos sens pour faire refléter les nuances colorées de son univers.