À bientôt 30 ans, Naïri Zadourian a la carrière dont n’osent même pas rêver tous les jeunes diplômé.e.s de l’examen du barreau. Un an seulement après l’obtention de son diplôme, cette avocate croule sous les dossiers. Elle a ouvert son propre cabinet et a dû engager un collaborateur. En cause : une forte exposition médiatique liée au dossier du rappeur DA Uzi dont elle s’est saisie en mai 2021. En parallèle, Naïri Zadourian ne cache pas un tempérament emprunt d’humour et de franc-parler qu’elle affiche sans complexe sur Twitter où elle cumule des milliers d’abonné.e.s. Avocate atypique dans le milieu de la justice, elle s’est confiée à Mosaïque. Portrait.
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«T’as des beaux yeux mashallah. On y voit le paradis, ça veut dire qu’on va se revoir », lance un passant à Naïri Zadourian alors que nous sommes assis.e.s à un café de Bobigny, à deux pas du palais de justice. Ce jour là, le soleil a décidé d’éclairer les grands yeux bleu azur de l’avocate. Son audience est à 13 h 30 mais Naïri est sur place depuis 10 h 30. Afin d’anticiper le moindre accroc. Le jour de notre rencontre, elle se présente avec une chaleur naturelle et deux cafés à la main. Au passant qui la complimente et se présente comme le « messi », elle répond de ce ton spontané qui fait sa réputation : « Merci pour les buts ! ».
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Cette grande brune à la voix grave ne rate jamais une occasion de faire rire ceux et celles qui l’écoutent. Comme sa meilleure amie Adélaïde : « Je la connais depuis sept ans. Elle a toujours eu ce coté humoristique, un peu piquant. C’est ce qui a fait qu’on s’entendait bien. Mais elle est très sérieuse professionnellement. C’est aussi sa manière de décompresser. »
Un trait de personnalité qui lui vaut d’être suivie par des milliers de personnes sur Twitter. Et le compteur s’est envolé lorsqu’elle s’est saisie du dossier du rappeur DA Uzi. En quelques tweets, elle double son nombre d’abonné.e.s, passant de 17 000 à 34 000 followers.
DA Uzi : l’affaire d’une vie
Un soir banal dans la vie d’une avocate qui débute, Naïri Zadourian reçoit en mai 2020 le dossier qu’un ami lui transmet. DA Uzi a été arrêté pour détention de stupéfiants et d’armes. Elle se souvient : « Je le connaissais de nom. Avant de prendre en charge l’affaire, je suis allée voir qui je défendais. Parce qu’entre DA Uzi, Uzi, Lil Uzi Vert, je ne savais plus qui était qui (rires). Mais surtout, rappeur ou pas rappeur, je m’en fichais. » Attachée à chacun de ses client.e.s qu’elle appelle ses « petits chats », Naïri cherche à les comprendre pour mieux les défendre, convaincue que « l’être humain n’est ni mauvais ni bon ». Elle décide donc de représenter l’artiste à la barre et obtient sa relaxe, le 31 mai, pour vices de procédure.
Quand tout le monde me disait : « s/o Naïri », je ne comprenais pas ce que ça voulait dire.
Naïri Zadourian pour Mosaïque.
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L’avocate se souvient : « Dans sa tête, DA Uzi allait retourner en prison. J’étais assise. La présidente dit le mot « relaxe ». Je lève les yeux au ciel en me disant : « Tu l’as fait bordel ». Je me retourne pour vérifier qu’il a compris. Il était un peu sonné. » Un mot : « relaxe ». S’il permet à DA Uzi de reprendre le cours de sa vie, il s’apprête à faire basculer celle de Naïri. Fière de son succès, elle répond sur Twitter au drilleur Freeze Corleone qui réclamait la libération du rappeur de Sevran. « C’est fait », écrit-t-elle.
Libérez DA UZI
— PHILLIPE LIN (@freezecorleone) May 18, 2021
À son tour, il répond : « Merci beaucoup Madame ». Une pluie de remerciements s’abat sur la jeune femme. « Quand tout le monde me disait : « s/o Naïri », je ne comprenais pas ce que c’était. » Le rap game s’empresse de la féliciter. De Mister You à Aya Nakamura en passant par Sadek qui lui glisse : « J’espère que petite pénaliste deviendra grande. » La semaine suivante, elle déjeune même avec DA Uzi et Ninho pour célébrer sa libération et poste une photo sur les réseaux sociaux.
« Je suis une jeune femme issue de l’immigration. La cible facile »
Très vite, les retombées se font moins joyeuses. Pendant des mois, Naïri Zadourian est cyberharcelée par des internautes issu.e.s des mouvances d’extrême droite : insultes racistes, sexistes, antisémites, menaces de mort et de viol… Elle raconte : « Avec cette affaire, ce qui m’a fait bader ce ne sont pas les insultes. J’ai l’habitude et je m’en branle, mais c’est l’exposition. C’est la première fois de ma vie que je sortais dans la rue et que les gens me reconnaissaient. »
Parfois, Naïri Zadourian craint pour sa sécurité. Un soir à son cabinet, quelqu’un se met à tambouriner sur la porte de son cabinet après l’avoir suivie. « Jusqu’à aujourd’hui, je reçois encore des messages donc sur le moment c’était terrible. Je me suis rendue compte en pleine soirée, un samedi soir avec des potes, que ça m’affectait. J’ai eu d’un coup une boule au ventre, le cœur serré, les larmes aux yeux. Je suis allée pleurer dans la chambre d’un de mes potes. Parce que je ne savais plus quoi faire de ces insultes, de cette exposition. »
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« On a essayé de me faire regretter ma manière de communiquer. Mais ce n’est pas parce que je réponds à un tweet de Freeze Corleone que je mérite ça. »
Naïri Zadourian pour Mosaïque.
Son collaborateur Vincent Nativi l’a vécu à ses côtés : « C’est là ou je me suis rendu compte de la force du harcèlement. Elle me disait avoir besoin de déconnecter parce que c’était violent pour elle. » Lorsqu’on lui demande si elle regrette, sa réponse est sans appel : « Je ne regretterai jamais de ma vie d’avoir obtenu la libération d’un gars. On a essayé de me faire regretter ma manière de communiquer. Mais ce n’est pas parce que je réponds à un tweet de Freeze Corleone que je mérite ça. »
La jeune femme pointe aussi du doigt ce qu’elle incarne : « Quand Éric Dupond-Moretti prenaient des photos avec ses clients : Benzema ou Balkany ou quand Maître Ruben allait sur Skyrock pour parler de Fianso… Ils n’ont jamais pris le quart des insultes que j’ai reçues. Pourquoi ? Parce que je suis une jeune femme issue de l’immigration. La cible facile. »
La vocation de la justice
Naïri ne compte pas pour autant se retirer du réseau à l’oiseau bleu, là où depuis des années elle tweete « dès qu’elle pense à un truc ». « J’aime cette instantanéité. Aujourd’hui, je peux autant faire un tweet sur l’état de droit que sur le dernier album d’Hamza et avoir la même quantité de réactions. »
Même si elle regrette que l’exposition engendre des responsabilités indésirées. « Parce que je suis d’origine arménienne, on me demande de prendre position. Certaines personnes de la communauté arménienne sont d’extrême droite. Sauf que nous sommes héritiers d’un génocide arménien qui a été rendu possible à cause des nationalistes d’extrême droite. Pour moi c’est une honte absolue qu’on se permette de cautionner les idées de nos génocidaires. Quand j’ouvre ma gueule sur ce sujet, les gens de la communauté sont les plus virulents auxquels j’ai eu affaire sur ce réseau. On m’a demandé de changer de nom de famille, on a demandé des comptes à mes parents… »
Crédit : Lise Lacombe pour Mosaïque.
D’une mère libanaise et d’un père iranien, la petite Naïri veut devenir avocate depuis l’âge de 8 ans. « Mon grand frère faisait beaucoup de bêtises et quand mes parents l’engueulaient, ça me faisait mal au cœur. Je trouvais ça injuste. Je prenais sa défense et ma mère hurlait : « T’es pas l’avocate de ton frère ! ». Issue d’une famille d’immigré.e.s, le métier d’avocat incarne la réussite selon elle : « Mes parents voulaient que je fasse ce travail. C’est un peu le fantasme de tous les immigrés. Que leurs enfants aient un meilleur niveau de vie qu’eux. Ils avaient un peu peur pour moi mais maintenant ça va. Par contre à chaque fois que je leur dis que je vais en taule, ma mère est en arrêt cardiaque (rires). »
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Ce qui me faisait beaucoup de mal quand je grandissais, c’était de regarder les médias et autres dépeindre les mecs de cité comme des animaux. Je le prenais personnellement.
Naïri Zadourian pour Mosaïque.
Très vite, celle qui grandit à Meudon-la-Forêt, Nanterre puis Saint-Denis se met également en tête de défendre ses ami.e.s : « La banlieue, je l’ai côtoyée et je la côtoie toujours. Ce qui me faisait beaucoup de mal quand je grandissais, c’était de regarder les médias et autres dépeindre les mecs de cité comme des animaux. Je le prenais personnellement. Un jour, j’ai vu l’un de mes potes se prendre une clé de bras par un mec de la BAC devant une boîte. Il était en train d’étrangler mon pote. Il disait : « Je desserre pas tant que tu te calmes pas ». Et mon pote disait : « Je me calme pas tant que tu desserres pas ». Du coup, on fait quoi ? Depuis ce jour-là, je me suis dit hors de question que je laisse faire. C’était l’un de mes déclics. »
C’est chose faite. Après l’affaire DA Uzi, elle a pu ouvrir son propre cabinet. Fait rare à seulement un an de barre : la jeune avocate croule sous les demandes et peut même se permettre de refuser des dossiers. Des journées effrénées qui ne surprennent pas sa meilleure amie. Adélaïde l’a toujours vu courir après le temps : « Même quand elle ne travaillait pas, elle était quand même surbookée. Elle a toujours été à 100 à l’heure. C’est quelqu’un d’hyper volontaire. »
Un succès mérité
Pour tenir le rythme, elle s’est offerte les services d’un collaborateur. Vincent Nativi a prêté serment la même année qu’elle : « On travaille ensemble principalement grâce à cette affaire DA Uzi qui lui en a apporté d’autres, c’est l’effet boule de neige. C’était impressionnant. On a la chance de pouvoir choisir nos missions et c’est formidable au stade de nos carrières. Au quotidien, Naïri est exigeante. On a la même vision de la profession, on ne se permet pas de faire le travail à moitié. »
Un succès qui sonne comme une justice pour celle qui confesse que le film « La revanche d’une blonde » a marqué sa vie. Elle considère sa situation comme un digne retour des choses, après de mauvaises expériences : « Il y a deux ans à l’école d’avocats, j’étais qualifiée pour un concours de plaidoirie pour représenter mon école à la finale et des filles ont été dire au directeur d’école que je harcelais des élèves. Sans preuve, sans rien, on m’a disqualifiée et on m’a menacée de poursuites disciplinaires et pénales. C’était l’une de mes anciennes meilleures amies. J’ai passé 6 mois sous antidépresseur tellement c’était injuste. Et me dire qu’un an après, on ne parle que de moi, j’espère que ça leur fait les pieds. »
Crédit : Lise Lacombe pour Mosaïque.
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Aujourd’hui encore, elle se sent « isolée » dans le milieu des avocats : « Heureusement qu’il y a les jeunes confrères qui me soutiennent. C’est un peu injuste de dire ça parce que quand je me suis faite harcelée, j’ai eu le soutien de toute la profession. Mais dans l’exercice quotidien, ce n’est pas pareil. » Un sentiment que partage celui qui travaille à ses côtés, Vincent Nativi : « Elle a une carrière qui est bien plus en avance qu’un avocat normal, donc il y a la peur de ne pas être considéré, d’apparaître comme le nouveau et de devoir montrer que tu es là et que tu mérites. »
Le syndrome de l’imposteur
Malgré la réussite, la jeune femme manque encore de confiance en elle : « J’aurai le syndrome de l’imposteur toute ma vie. Je pense que quand j’étais jeune dans ma famille, on m’a beaucoup rabaissée. Mes grands cousins, mes grands frères avaient toujours l’habitude de me dire que je ne valais rien, que je ne pouvais pas parler sans diplôme. J’ai presque eu le droit à la parole dans ma famille quand j’ai obtenu ma licence. Maintenant, je n’arrive pas à être fière de moi sans qu’on me donne une raison de l’être. »
Gênée devant notre caméra, l’avocate explique détester prendre la pose et ne jamais se trouver jolie sur les photos. Alors qu’elle parle pendant le shooting pour se détendre et détourner son attention de l’objectif, elle avoue sa « peur de la mort, de la vieillesse, de la solitude, de tout ce qui fait souffrir ». Tout en s’inquiétant d’avoir bientôt 30 ans en juillet prochain. Mais Naïri a le charme de l’humour immortel et n’oublie jamais de nuancer ses craintes avec un goût insolent de la formule : « Je suis vieille mais intemporelle. »
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