Entre la retraite musicale de Booba, l’apogée incontestable du Marseillais SCH et le retour d’Hatik au sommet de sa gloire, le mois de mars 2021 a été rythmé par quelques sorties marquantes de têtes d’affiche du rap français, attendues au tournant. Cependant, de l’EP passé presque inaperçu de Wallace Cleaver au premier album remarqué du producteur Alkakris, en passant par le retour de So La Lune, d’autres projets ont su se démarquer. La rédaction de Mosaïque vous livre sa sélection du mois de mars. Nota Bene : ceci n’est pas un classement.
« Ultra » - Booba - 5 mars 2021
Crédit : Discipline Studio.
Vendredi 5 mars 2021 sortait « ULTRA », le dixième et ultime album de Booba. Quatre ans après « Trône », le Duc de Boulogne tente de boucler son épopée artistique après plus de vingt-six ans de cavale. Un dernier jet plein d’ambition et de sincérité. Quelques jours après l’événement, la rédaction de Mosaïque a planché sur ce nouveau projet pour donner son avis.
« CAUCHEMAR » - Wallace Cleaver — 5 mars 2021
Crédit : Wallace Cleaver.
Vous êtes sûrement passés à côté, mais c’est sans doute l’une des sorties les plus prometteuses de ce mois de mars 2021. Avec ce troisième EP « CAUCHEMAR », Wallace Cleaver déploie un peu plus un univers musical déjà très riche. Ambiance trap, voire drill sur certains morceaux comme Sibérie et Jnouns, le jeune rappeur issu du collectif HPA MOB n’hésite pas à s’essayer à des sonorités plus aériennes et chantées dans Hors de ma vue ou Cauchemar. L’atmosphère du projet reste cependant cohérente grâce notamment à une écriture incisive, très référencée, difficile à décrypter à la première écoute. Sur les productions millimétrées de son comparse PR, mais aussi d’invités comme LaSmoul, Ocho et le désormais célèbre Flem, Wallace évoque pêle-mêle son rejet du système, l’attachement à son Loir-et-Cher d’origine et ses désillusions. L’artiste a en tout cas le potentiel et l’ambition de s’inscrire durablement dans le paysage rap musical, à l’image de son dernier cri qui vient conclure le projet : « L’histoire, c’est que je veux une grande histoire. »
- Robin Spiquel
« vague à l’âme » - Hatik — 12 mars 2021
Crédit : Fifou.
« Chaise pliante » désormais derrière lui, le rappeur aux longs cheveux bouclés devait répondre au poids des attentes qui pesait sur ses épaules et satisfaire un nouveau public. Arrivé au terme d’une ascension fulgurante depuis qu’Angela résonne dans toutes les rotations radio, Hatik a livré « vague à l’âme ». Vingt-neuf titres, deux CD et de nouvelles ambitions. Il change alors de palette et opte pour une imagerie bleu marine où se mélange les genres. Au milieu de quelques morceaux rap et pop, il tire une nouvelle fois son épingle du jeu avec un talent d’interprétation remarquable, spécifiquement sur des tons mélancoliques. Avec ce disque, Hatik renouvelle également son économie artistique. Il refuse ainsi la piste d’un album compact et cohérent pour une playlist multicolore qui s’adresse au plus grand nombre, à l’image de Gims, artiste aux huit singles de diamant, qui envoyait quarante tracks avec « Ceinture Noire ». Un premier pas assumé dans l’écurie du mainstream.
- Thibaud Hue
« Loin des yeux » - Alkakris — 12 mars 2021
Crédit : @beupsss.
Producteur, compositeur et interprète, Alkakris se classe parmi les quelques privilégié.e.s qui peuvent se targuer de construire une œuvre par la seule force de leur créativité et de leurs compétences. Avec « Loin des yeux », le jeune strasbourgeois livre un premier album coloré et s’approprie la frénésie de la scène Soundcloud à travers dix titres. Avec un flow proche du murmure, l’artiste déploie un univers trap soul original et unique en son genre.
Un projet dans lequel il se livre et à propos duquel il s’était confié pour Mosaïque : « J’ai appelé mon album « Loin des yeux » parce que « près du coeur ». Il y a une dimension personnelle dans ce nom et c’est ce que j’ai voulu montrer. L’album est intime, plus près de ce que je suis. » Le compositeur qui s’était fait connaître à travers la mixtape « Tambora » de 1863 permet ainsi au public de mettre un pied dans son monde alternatif, bien à lui.
- Lise Lacombe
« NEPTUNE TERMINUS » - Youssoupha — 19 mars 2021
Crédit : Fifou.
Youssoupha est toujours cohérent et ancré dans son temps, malgré ses quinze ans de carrière. Il est l’un.e des rares rappeur.se.s réussissant à perdurer tout en renouvelant sa direction artistique à chaque album. Une belle évolution musicale marquée par ce projet expérimental dans lequel le rappeur surprend en abordant de nouvelles thématiques plus légères (argent, fêtes, amour…). Si les punchlines percutantes, la finesse de ses jeux de mots et son sens aiguisé de la formule sont toujours au rendez-vous, la production de l’album, qui donne à l’artiste l’opportunité de déployer son chant, prend cette fois le dessus. Le projet fait ressortir ainsi une couleur propre et une singularité plus frappante que « Polaroid Experience ». Mention spéciale pour l’honnêteté paternelle déversée dans le morceau Mon Roi, ainsi que pour la symbiose logique avec Dinos et Lefa sur Kash. Enfin, il faut saluer l’instrumentale lunaire du morceau Interstellar, bien accompagnée des assonances de Gaël Faye.
- Jules Careau
« JVLIVS II» - SCH — 19 mars 2021
Crédit : Fifou.
Le rappeur marseillais revient avec le tome II de « JVLIVS ». Une nouvelle œuvre cinématographique auditive qui fait voyager son auditeur.rice sur les côtes méditerranéennes. L’album s’ouvre toujours sur la voix de José Luccioni, voix française d’Al Pacino, et nous accompagne dans le monde oppressant des mafieux.ses. Une étape est tout de même franchie. Des textes plus explicites, des sonorités intrigantes qui finissent par accrocher l’oreille (Crack) et qui explorent l’univers de la mafia sous plusieurs coutures (Euro, avec ses sonorités japonaises). Ce second tome ne se contente pas de compléter le premier : il apporte plus de profondeur à l’univers de l’artiste et prouve que le Marseillais est capable de graviter autour de la même thématique sans tourner en rond. Une capacité qu’il a su exploiter à travers ses visuels. Après nous avoir offert des clips travaillés à l’occasion de « Rooftop », SCH continue dans sa lancée avec Mannschaft (en featuring avec Freeze Corleone), réalisé par Gregory Ohrel. Des images qui impriment la rétine et plongent son spectateur dans un visuel qui peut rappeler la collaboration de 21 Savage avec J. Cole ou encore celle d’ASAP Rocky et Skepta. Le succès rencontré par l’artiste (disque d’or en 72 heures) est plus que justifié.
- Imane Lyafori
« THEIA » - So La Lune — 26 mars 2021
Crédit : @manx.exe
Vendredi dernier, moins d’un an après son premier EP « Tsuki », So La Lune sort « Théia » qui doit son nom à l’ancienne planète dont la collision avec la terre aurait créé la lune. Le premier titre, Coup d’éclat, ainsi que sa pochette, y font allusion. Le projet se drape aussi sous les traits de Théia, la divinité grecque de l’or et de l’argent qui incarne, tout au long de la tracklist, la quête perpétuelle de billets du rappeur. Une frustration qui contribue à l’anxiété ambiante. Pour tenter d’y remédier, So La Lune se noie dans toutes sortes d’alcool. Musicalement, il apparaît difficile de comparer l’artiste à d’autres rappeur.se.s tant son grain de voix est unique. Coup d’éclat rappelle toutefois certaines sonorités de Jul, tout comme la voix aiguë de So fait écho à celle de Nusky. L’aspect décalé de l’EP peut le rendre difficile d’accès, mais il fait également sa force et sa singularité.
- Lukas Taylor