L’expérience a montré qu’être frères et faire de la musique ensemble peut mener au sommet de la Tour Eiffel. S’ils n’ont musicalement pas grand chose à voir avec PNL, Dame Civile a les liens du sang et l’ambition d’une proposition nouvelle en commun. Avec leur quatrième EP « Nouvel Âge », sorti le 2 avril 2021, le duo a voulu « simuler des expériences extrêmes qui nous font sortir de la banalité du quotidien ». L’amour, la drogue, les rêves… Marvin et Killian, respectivement compositeur et auteur, ont déployé un univers unique en son genre à travers un projet de huit titres. Nous les avons rencontrés quelques jours avant la sortie, au détour d’une rue parisienne et entre deux sessions d’enregistrement.
Pendant la discussion, leur voix se sont chevauchées naturellement, sans qu’aucun des deux ne cherchent à couper la parole de l’autre. Bras croisés, épaules relâchées, ils ont répondu en cherchant toujours les mots justes à nos questions. Après quarante-cinq minutes d’échange, nous les avons suivis dans les rues du VIe arrondissement de la capitale pour capturer quelques images. Parfois souriants, parfois neutres, l’un en avant, l’autre en arrière, ils se sont laissés aller au grès des consignes de Jacques, le photographe, et de nos regards curieux.
Dans l’ombre d’un studio parisien niché au cœur du quartier Saint-Germain à Paris, Marvin et Killian, deux hommes élancés aux allures de modèles, sont loin de leurs racines séquano-dionysiennes, terme étrange pour désigner le département de Seine-Saint-Denis. Aussi étrange que peut l’être la musique de ces deux frères passionnés, prêts à ouvrir une nouvelle brèche sur le spectre étriqué des genres musicaux. Ni pop, ni électro, ni rap… Dame Civile refuse de choisir, préférant se ranger du côté du « hip hop alternatif ». Eux qui auraient d’ailleurs préféré ne pas se définir : « Notre musique est claire pour nous. C’est plutôt pour le public et l’industrie musicale que nous avons mis des mots sur notre style, pour que ce soit recevable. » Comment, alors, poser des mots justes sur un genre irrésistiblement insaisissable ?
À l’image de leur EP « Nouvel âge », Dame Civile arrive sur la scène française avec une proposition neuve. Une proposition poétiquement conforme, incarnée par le morceau pop Château de sable puis, sans transition aucune, hérétiquement révoltée comme sur le titre Magie Noire : « Nous aimons beaucoup jouer sur les polarités : le bien, le mal, la lumière, l’obscurité. C’est vraiment notre culture. Nous aimons avoir dans chaque projet, un morceau expérimental. »
Une bipolarité qui ressemble aux deux hommes, face à face dans le studio. Si les textes de Killian sont imprégnés de délicatesse, le jeune homme, vêtu d’un tee-shirt noir et blanc zébré, se moque gentiment de son double avec un regard complice : « Le morceau Magie Noire était beaucoup plus doux avant que tu ne passes dessus. » Une douceur qui contraste et se mêle à l’énergie obscure des prods de Marvin, marqué par l’atmosphère de Noisy-le-Sec, ville dans laquelle ils ont grandi et vivent toujours : « Le 93 m’inspire énormément dans mes compositions pour ce côté sombre et oppressant. Ce sont des ambiances vécues que l’on essaye de retranscrire : tension, violence, paranoïa… »
Killian du duo des Dame Civile. Crédit : Jacques Mollet.
Une noirceur contrebalancée par l’aura lumineuse que dégage leur fusion. Entre ombre et lumière, les deux frères tiennent leur équilibre musical de leurs expériences de vie : « Nous avons toujours vécu entre deux mondes. Un plus opaque à Noisy-le-Sec et un autre, plus ensoleillé, dans le Var où nous avons de la famille et où tu célèbres la vie : soleil, mer, quiétude. »
Nous ne voulons pas diriger l’imagination de l’auditeur.rice en intellectualisant la musique avec un texte qu’il faudrait forcément comprendre.
- Dame Civile
Avec un père musicien « porté sur les énergies et le monde de l’invisible » et une mère « beaucoup plus cartésienne », Dame Civile semble avoir toujours vécu sur un fil, à la frontière de deux univers sans jamais choisir, préférant tirer le meilleur de chacun. Un sentiment qui se retrouve dans leur conception musicale : « Nous accordons autant d’importance à la prod qu’au texte. Les deux sont indissociables l’un de l’autre. Pour nous, les sonorités envoient un message. »
Parfois même, les mots leur semble désuets d’intérêt face à l’émotion des notes. C’est le cas avec Temps Un qui ouvre l’EP ou avec la voix céleste du morceau Nuage qui le clôt : « Nous ne voulons pas diriger l’imagination de l’auditeur.rice en intellectualisant la musique avec un texte qu’il faudrait forcément comprendre. Nous voulons servir une ambiance, un flow et une énergie. »
Crédit : Jacques Mollet.
Avec le groupe, il ne faut pas chercher à tout élucider parce qu’il n’y a parfois rien d’intelligible, mais tout de sensible. Une vision cristallisée par le titre Magie Noire : « À la base, l’idée du morceau, c’était de parler d’une fille perdue, c’est un thème qui revient souvent quand j’écris, explique Killian, puis mon frère est arrivé et a rajouté cette sonorité très sombre. La jeune fille s’est finalement transformée en une espèce de sorcière. » Une histoire qui aurait pu commencer par « Il était une fois… », tant la musique des deux frères mériterait d’être mise en scène. Marvin confie d’ailleurs n’avoir « contrairement à beaucoup de producteur.rice.s, jamais vu de couleurs » au moment de composer, mais plutôt « des images qui défilent ». Le duo rêverait même « qu’un jour, une machine soit créée pour reproduire en 3D l’ambiance que nous avons dans la tête et qui serait projetée à chaque début de morceau ».
Marvin et Killian sont des visionnaires, qui voient toujours plus loin et toujours plus grand, et dont l’album en préparation sera leur « œuvre principale ». Un projet dans lequel ne devrait apparaître aucun featuring, puisque le duo préfère se construire à deux avant de s’ouvrir aux autres. Seule exception faite pour Dioscures, architecte de l’album « Trinity » de Laylow, qu’ils croisent lors d’un séminaire à Bruxelles. Devant l’alchimie de leur rencontre et parce que « c’est un producteur », Dame Civile accepte de collaborer. Ensemble, ils composent DO.R2.MI. Le morceau aérien atterrit finalement sur la tracklist de l’album « Ciela » de Dioscures et s’impose comme l’un des titres les plus réussis du projet.
Marvin du duo des Dame Civile. Crédit : Jacques Mollet.
L’EP « Nouvel Âge » sonne comme une nouvelle étape pour ceux qui regrettent d’avoir parfois « trop écouté les hommes » en matière de musique : « Avec ce projet, nous avons l’impression d’être beaucoup plus nous-même et de faire moins de concessions. » Lorsqu’on leur demande s’ils pensent pouvoir se rendre accessible au grand public, tout en restant fidèle à leur essence, leur détermination est unanime : « En France, les artistes ont du mal à se faire confiance. Nous pensons que la musique est avant tout une expérience unique à partager et non pas un objet à consommer. Si l’on parvient à créer des émotions, bonnes ou mauvaises, chez les gens, nous aurons réussi. » Une ambition légitime pour ceux qui veulent parler à tous, aux bourgeois.e.s comme aux banlieusard.e.s et à ceux qui ne sont pas que l’un ou l’autre mais qui sont comme eux : « un peu des deux ».
« Nouvel Âge » de Dame Civile est disponible sur toutes les plateformes de streaming.