Après avoir exprimé ses frustrations amoureuses aux côtés de Laylow, Joanna n’en finit plus de vibrer. C’est à l’aube d’une Saint-Valentin confinée, le 10 février 2021, que l’artiste a souhaité sortir des sentiers battus, comme pour réveiller nos cœurs endormis. Prenez deux figures du porno français et un morceau plein de désir, vous obtiendrez un clip sur-mesure, emprunt de créativité, d’engagement et de bienveillance. À distance, la chanteuse est revenue avec nous sur les coulisses du visuel de son dernier single : Sur ton corps.
Une petite caméra à la main, Joanna s’approche discrètement de LeoLulu pour capturer l’intensité de leurs ébats. Dans les draps blancs du studio Maurice à Asnières-sur-Seine (92), la jeune rennaise a réuni le duo français, stars du porno homemade, pour donner vie à son dernier single Sur ton corps. Pendant trois minutes de frénésie disponibles sur Pornhub depuis le 10 février 2021, le couple s’enlace et performe à la cadence de la voix sensuelle de la chanteuse.
Pour l’artiste, ce virage artistique, pourtant inédit, est apparu comme une évidence. Elle nous raconte : « Ça fait longtemps que j’avais cette idée en tête. Je suis en contact avec LeoLulu depuis qu’il·elle·s m’avaient demandé l’autorisation d’utiliser mon morceau Séduction pour l’introduction d’une de leur vidéo (Présent sur son premier EP : « Vénus » (2020), NDLR). Nous n’avions pas encore eu l’occasion de lier véritablement la musique et le porno ensemble. Ce clip était l’occasion parfaite et j’ai tout de suite pensé à il·elle·s. Je leur ai proposé pendant le premier confinement et il·elle·s ont dit oui tout de suite. »
« J’ai dû m’adapter à leur contrainte : c’était un tournage d’une heure avec une seule prise. Il·elle·s ne voulaient pas faire l’amour deux fois dans la journée. »
- Joanna
Sur le plateau, Joanna n’en est plus à son premier coup d’essai en tant que réalisatrice. Elle donne le rythme, accompagne les acteurs·rices et filme. Tout en guidant les premiers traits de ce visuel décomplexé, elle se confronte à la spontanéité de l’acte sexuel. « J’ai dû m’adapter à leur contrainte : c’était un tournage d’une heure avec une seule prise. Il·elle·s ne voulaient pas faire l’amour deux fois dans la journée, mais au moment du tournage, il·elle·s se sont sentis prêt·e·s à tourner les autres plans où il y a des projections d’images en ombres chinoises. C’était très freestyle », explique Joanna en précisant que le duo jouait pour la première fois devant d’autres personnes. Elle ajoute : « Il·elle·s devaient parfois faire des pauses parce qu’il·elle·s n’arrivaient pas trop à se concentrer. »
Lola Levent, manageuse de l’artiste, a assisté au tournage avec attention. Elle témoigne : « Nous avons pris beaucoup de précautions pour que LeoLulu ne se sentent obligé·e·s ou forcé·e·s de rien et que le consentement soit respecté à chaque instant. Il y a eu une très belle bienveillance sur le tournage. »
Avant de concrétiser cet élan de créativité, Joanna a pourtant eu des appréhensions. Préjugés, idées reçues, stéréotypes, la jeune femme confie sa surprise d’avoir eu tant de retours positifs : « J’avais peur que l’on me pointe du doigt par rapport à mon discours féministe et au fait que je mette en scène deux blancs hétérosexuel·le·s avec une sexualité non-inclusive. Le public a finalement bien reçu mon message et l’esthétique a plu. »
Crédit : Emma Panchot.
Pour préparer le visuel, les discussions ont été nombreuses en amont du tournage pour s’assurer de la justesse du ton. Même si « leur manière de faire l’amour reproduit un schéma classique hétéronormé », elle raconte avoir voulu équilibrer le propos par le choix des images. « Je ne voulais pas que le focus se fasse uniquement sur le plaisir de la femme, mais plutôt sur celui des deux. Tout en étant consciente que mon point de vue est biaisé par nos constructions sociales. »
Ambrr, la co-réalisatrice et amie de l’artiste, le confirme : « Nous voulions de la réciprocité, pas comme dans le porno basique. Le fait que LeoLulu soit un vrai couple, deux personnes amoureuses qui font l’amour, ça nous a permis de laisser la caméra tourner pendant une heure sans diriger leurs rapports sexuels. »
Pour utiliser Pornhub sans donner de la lumière au site X, l’artiste a dû jouer les équilibristes. Si elle avoue avoir eu peur de s’associer à la plateforme, régulièrement controversée, LeoLulu a fini par dissiper ses doutes : « En tant qu’acteur·rice·s porno, il·elle·s m’ont expliqué que ce n’est pas une situation noire ou blanche. J’ai voulu me servir du problème pour le critiquer. Instagram, Facebook ou Twitter véhiculent des messages tout aussi problématiques, mais on en parle moins car ce n’est pas du porno. »
Pour exécuter cette gymnastique, Joanna et son entourage ont décidé de mettre en avant le Syndicat du travail sexuel en France (STRASS) avec un message de prévention, affiché dès le début du clip : « Les travailleur·se·s, et particulièrement les femmes, sont régulièrement victimes de violences dans le cadre de leur profession. »
Une manière de remettre en avant les difficultés d’exercice de la profession : « Le fait que le sexe soit tabou m’énerve. Je trouve ça hypocrite. C’est quelque chose qui régit notre société et on fait comme si cela n’était pas le cas. Ce tabou met en danger les gens qui travaillent dans le sexe. Ce sont des humain·e·s qui ne se font pas respecter. Le fait de les voir m’a fait prendre conscience de la difficulté de ce travail. C’est une profession vraiment à part entière et qui devrait être reconnue. »
Sortie de l’expérience, Ambrr fait d’ailleurs un autre constat : « Filmer ces moments de sexe était beaucoup moins vulgaire que certaines scènes auxquelles j’ai pu assister entre des réalisateurs et des modèles qui ne sont pas bien traitées. »
Si cette proposition se démarque nettement de clips musicaux français, Vald avait déjà, avant elle, utilisé les rouages de l’industrie pornographique dans l’un de ses visuels. En 2015, le rappeur d’Aulnay-sous-Bois (93) se mettait en scène devant les ébats de Nikita Belluci et Ian Scott pour son morceau Selfie. Sur un tout autre registre, l’acte sexuel reprenait les codes du porno traditionnel en affichant une domination de l’homme sur la femme.
Six ans plus tard, Joanna ne souhaite pas pour autant condamner la démarche artistique de Vald : « Je suis une femme et j’en ai marre de me faire écraser par le patriarcat. Lui, c’est un mec blanc, hétéro, avec du pouvoir, donc je ne pense pas qu’il ressente le besoin de renverser les codes. Je ne blâmerais pas le fait qu’il ne se soit pas exprimé autrement. C’est comme aller manifester pour une cause qui ne te concerne pas, c’est dommage, mais je respecte. »
Si la jeune artiste, aux cheveux parfois orangés, n’a pas pour ambition de faire de la musique engagée, elle cherche à utiliser la notoriété dont elle dispose pour faire circuler ce qu’elle considère comme des « ondes positives ». Elle conclut : « Je sais qu’en chantant, j’influence. C’est pour cela que je fais attention à mes messages et j’y mets du poids. » Au téléphone, Ambrr voit loin lorsque l’on évoque la suite de la carrière de son amie, avant de tempérer : « Ça ne dépend pas que d’elle. Le public est-il prêt à recevoir son discours ? C’est ça la question. »