Un an et demi après « Le son d’après », Lala &ce dévoile son premier album studio : « Everything Tasteful ». Une performance musicale détonante, auréolée par la présence de quinze producteurs autour d’un projet qui possède autant de visages. Immersion dans les coulisses de la production d’un album différent.
Derrière la vitre du studio, Lala &ce murmure. Calme et sereine, elle repousse ses dreadlocks d’une main et agite l’autre sur la pulsation d’un beat langoureux en tendant ses lèvres vers le micro. PH Trigano, assis de l’autre côté du studio, pose les premiers accords et assemble les fragments de ce qui fera bientôt naître le morceau Parapluie. Ce moment de musique mars 2020, presque un an avant la sortie d’« Everything Tasteful », le compositeur nous l’a raconté. « C’était magique. Ce genre de moment où tu oublies le temps. Nous avions la même vision et c’était très instinctif. Elle a écrit instantanément sur l’instrumental. Le titre ne ressemble à aucun autre, une sorte de disco track futuriste. Il rejoint sa proposition musicale unique en France », confie-t-il.
Accrochée à des notes célestes et des flows en suspension, Lala &ce, fidèle à son ivresse existentielle, fracasse les atomes crochus de sa sensualité. Le sachet de roses fanées toujours dans une poche, la rappeuse entrouvre une nouvelle porte de son univers planant et brumeux. Si le bon goût demeure le mot d’ordre du disque, la table de mixage de la pochette rappelle celui des ses architectes. Machines allumées et casques vissés sur les oreilles, les producteurs alignés sur la tracklist occupent une place centrale dans l’âme des quatorze pistes. Ils donnent le ton d’un nouveau virage de l’artiste lyonnaise, en quête de grandeur pour une musique encore discrète, bien que particulièrement signée et identifiable.
L’ouverture sans concession
Un virage emprunt d’éclectisme où chaque titre trouve son compositeur. Façon « Black album » de Jay‑Z. Touche par touche, l’identité de Lala &ce devient insaisissable. Si l’environnement cloud du « Son d’après », encore dans les pas du collectif 667, semblait recouvrir plus de noirceur, « Everything Tasteful » laisse désormais place à plus de lueurs dans le sillage du single Show Me Love, produit par Mookice. Le beatmaker explique : « Lala voulait faire résonner la fin de la tracklist et m’a demandé un afrobeat. Je travaille parfois avec des guitares et j’ai trouvé cette boucle très enivrante. » Un vœu d’ouverture sans dénier la concession. Un pari risqué et relevé grâce à l’attention que porte la rappeuse à l’instrumentalisation de l’opus. Le grain plus aéré de productions comme In Luv Again (composée par BLVTH x TAIIME), avec des drums ensoleillées et un rythme curieusement vif, se mêle à son timbre fuyant et à son texte parsemé d’onomatopées.
« Je suis dans d’autres fréquences, j’ai pas l’même signal », murmure-t-elle au début de Viral. Toujours aux prises du chopped and screwed (une technique de remix du hip-hop qui ralentit le tempo entre 60 et 70 battements par minute, NDLR), la rappeuse siffle sa différence sur des productions trap sur mesure qui viennent simuler les effets de la drogue et de la lean (mélange d’une boisson à des comprimés codéinés, NDLR). Le mix d’un piano, d’une 808 (boîte à rythme, NDLR) et d’un kick puissant, accueille ainsi son flow nonchalant qui rencontre le charisme de celui de l’artiste américaine S3nsi Molly. Pour l’occasion, Lala &ce a souhaité rappeler Konnorkilla, déjà auteur de l’instrumental de SuperSweet16 sur son projet précédent. Il raconte : « Elle m’a demandé un son sale qui tabasse avec une grosse basse. Elle a tout de suite aimé. Elle est plutôt du genre à prendre les prods telles qu’elles sont, sans trop les modifier. J’ai pu m’exprimer, tout en collant à son univers. C’est aussi comme cela que les traits de son art se renforcent. »
Dans le rap français, il y a toujours eu ceux qui faisaient différemment : Klub des Loosers, MC Solaar… Lala est de ceux là. »
PH Trigano
En chevauchant l’atmosphère de ses chefs d’orchestres tout au long de l’album, elle laisse les inspirations se mélanger. Sur Juju, la guitare, la flûte slow motion et la basse se superposent à son kick planant. Le beatmaker Clinton explique avoir été surpris par son interprétation : « J’ai pensé la prod avec une ambiance western, comme si deux cow-boys s’affrontaient. Elle y a finalement apporté une touche personnelle qui n’a rien à voir. C’est cette réappropriation des styles que l’on retrouve à travers « Everything Tasteful ». Elle ajoute même une chute de studio à la fin du titre : « Là ça fait combien ? 1 minute 40 ? J’crois on avait à peu près laissé genre 2 minutes comme ça max, tu vois ? ».
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L’absorption de ses influences
Un lâché prise artistique, aussi spontané qu’il semble contrôlé. Derrière des sonorités millimétrées, l’artiste entend cultiver une élocution engourdie et un mélange des langues qui laisse libre l’interprétation de ses textes. Après avoir travaillé sur le morceau Parapluie, le compositeur PH Trigano fait le même constat : « Elle est tellement décomplexée que tu n’entends qu’elle. Elle ne fait penser à rien d’autre qu’à elle-même. Dans le rap français, il y a toujours eu ceux qui faisaient différemment : Klub des Loosers, MC Solaar… Lala est de ceux là. »
Des influences discrètes qui transpirent toujours autant la fièvre du rap américain. Celle qui a découvert l’auto-tune avec le rappeur T‑Pain assume un flow conquérant qui doit beaucoup à la mentale d’outre-Atlantique. C’est ainsi sans surprise que la Lyonnaise sample deux extraits d’une interview de Lil Wayne entre les couplets de Dodow&ve.
Avec ce deuxième projet, Lala &ce continue de parier sur sa signature et sur une musicalité enrichie par son entourage, son audace et son identité. « Everything Tasteful » dresse ainsi le portrait d’une jeune femme devenue porte-étendard d’une scène nichée, qu’elle souhaite voir exploser un jour auprès du grand public. Après avoir invité avec ambition un producteur par track, l’exploration d’un opus plus rigide et plus exigeant dans sa construction se dessine comme une prochaine étape dans sa carrière. Pour toujours gagner plus de goût.