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Sur la scène rap bri­tan­nique, une nou­velle généra­tion se des­sine. Les héri­tiers au trône mélan­gent les gen­res. En tête de ce cortège tal­entueux : Lit­tle Simz. À 26 ans, l’artiste marche dans les pas de la grime et s’inspire de d’autres styles pour for­mer un rap expéri­men­tal unique.

Started from the bottom 

La jeune Sim­bi Ajika­wo est née à la fin du mois de févri­er 1994, dans un quarti­er lon­donien du nom d’Islington. De sang nigéri­an par sa mère, elle grandit sous l’influence des Mis­sy Elliott, 2Pac et autres Jay‑Z. Fan des gun­ners d’Arsenal, elle com­mence à grat­ter ses punch­lines dès l’âge de 9 ans.

Surnom­mée « Bars Simz­son », elle est con­fron­tée au début de sa car­rière à l’appréhension d’un milieu mas­culin, ne prenant pas au sérieux les vel­léités artis­tiques d’une jeune fille. Face à l’in­jus­tice, Lit­tle Simz trou­ve le remède : rejetée par plusieurs labels, elle décide de créer le sien : Age 101. 

Dans une inter­view accordée à Mouloud Achour dans l’émission Clique, elle dévoile une per­son­nal­ité sen­si­ble et émo­tive. Elle déclare d’ailleurs : « Le rap m’a sauvé », et évoque l’in­flu­ence de Lau­ryn Hill, une artiste hip-hop améri­caine. L’éclectisme de ses goûts ne s’arrête pas ici. Lit­tle Simz con­fesse rejoin­dre les bras de Mor­phée en écoutant les mélodies mélan­col­iques de James Blake. De ses inspi­ra­tions naît un rap expéri­men­tal, mêlant la grime, le jazz, le funk, le dub­step ou encore la soul.

Sim­bi est une artiste pro­lifique. Qua­tre mix­tapes et cinq EP. Tout com­mence en 2015. À l’occasion de la céré­monie des BBC World­wide Awards de la même année, présen­tée par Gilles Peter­son, « Lil Simz » est couron­née par le Break­through Artist of the Year, équiv­a­lence bri­tan­nique de la révéla­tion de l’année. Le phénomène est lancé. Quelques mois plus tard, elle dif­fuse son tout pre­mier album, « A Curi­ous Tale of Tri­als + Per­sons ».

Après son sec­ond album, « Still­ness in Won­der­land », c’est en 2019 que la con­sécra­tion arrive. Son troisième pro­jet « Grey Area » est nom­mé au Mer­cury Prize et se voit décern­er le trophée IMPALA de l’album indépen­dant européen de l’année. Elle rejoint en même temps le top 30 des per­son­nal­ités de moins de trente ans qui ont mar­qué l’année 2016. Preuve d’une aura qui se propage au-delà de sa fan­base, elle se dit « choquée que cela arrive aus­si vite dans sa car­rière »

Tea time

Juin 2015, BBC Radio 1. Mis­ta­jam, présen­ta­teur du show éponyme, reçoit Kendrick Lamar. Invité de poids, le rappeur cal­i­fornien se livre jusqu’à ce que le temps se sus­pende sur un nom : Lit­tle Simz. Pen­dant quelques min­utes, le rappeur ne tar­it pas d’éloges con­cer­nant la jeune lon­doni­enne : « Lit­tle Simz… Je ne sais pas si tu as enten­du par­lé d’elle. En ce moment, c’est celle qui tue le plus et je devais la met­tre en avant. Je lui souhaite beau­coup de suc­cès. J’ai pu la ren­con­tr­er une fois mais c’était bref. […] Vrai­ment, elle est incroy­able. » La rappeuse est alors propul­sée sous les projecteurs.

The crown jewels 

Embar­que­ment immi­nent pour le sec­ond album de Lit­tle Simz, sor­ti en décem­bre 2016 : « Still­ness in Won­der­land ». Bien­v­enue au pays des mer­veilles. Pour ce pro­jet, elle réalise un court métrage et une bande dess­inée spé­ciale. Une créa­tiv­ité déton­nante pour dessin­er les traits d’un univers auquel elle voue de l’at­tache­ment. Elle déclare même « avoir tou­jours été dans une sorte de pays des Merveilles ». 

Le com­ic book est réal­isé con­join­te­ment avec l’écrivain Eddie « Ver­set­ti » Smith et l’illustrateur McK­ay Felt. Dans cette œuvre dystopique, les hommes sont col­lés à leur écran de télé­phone, s’abandonnant au pou­voir de la tech­nolo­gie pour les guider. Un monde des mer­veilles aux allures de cauchemar, répul­sif pour beau­coup et notam­ment Lit­tle Simz, qui déclare qu’elle « ne pour­rait vivre éter­nelle­ment dans un tel monde. À sa façon, ce monde vous dévore. »

Autour de cet opus, elle organ­ise aus­si un mini-fes­ti­val, niché dans le RoundHouse’s Ris­ing Fes­ti­val lon­donien : le Wel­come to Won­der­land – The Expe­ri­ence. Divisé entre une expo­si­tion artis­tique et une per­for­mance lyrique, l’évènement regroupe de nom­breux artistes autour de la MC bri­tan­nique, en présence de Rap­sody, Ari Lennox ou encore Van­jess. Une pro­gram­ma­tion éclec­tique, à l’im­age de son album. 

Du reg­gae­man jamaicain Chronixx, jusqu’à la chanteuse améri­caine Syd, en pas­sant par les icônes du grime bri­tan­nique Chip et Ghetts, « Lil Symz » offre des tons dif­férents à chaque morceau qui recoupent la diver­sité des thèmes qu’elle aborde.

Habitée par l’en­vie de s’enfuir aux pays des Mer­veilles pour suiv­re son pro­pre « lapin blanc », Lit­tle Simz con­fesse vouloir fuir le monde réel. Tout comme le jardin de la Reine de Cœur, elle explique que « l’industrie musi­cale est un labyrinthe, dont les lignes sont trou­blées entre la réal­ité et l’imaginaire. Fuir la réal­ité pour s’épargner les déviances socié­tales que sont le racisme et le sex­isme ». Elle évoque ces sujets dans le titre LMPD.

Pour affron­ter les dif­fi­cultés de la vie, la rappeuse souhaite quelqu’un près d’elle pour l’ac­com­pa­g­n­er, comme elle l’ex­prime dans le morceau Shot­gun. Tout en restant lucide face à l’aspect tox­ique que peu­vent revêtir les rela­tions dans Poi­son Ivry. Néan­moins, au risque de s’égarer dans le labyrinthe de ses sen­ti­ments, Lit­tle Simz ne veut pas d’une vie de soli­tude. Per­fect Pic­ture, Low Tides et No More Won­der­land mar­quent son retour à la vie réelle. Le pays des Mer­veilles, mal­gré sa beauté, demeure éphémère. Tel un rêve.

La cou­ver­ture de l’album boucle la cohérence du pro­jet. D’abord au cen­tre : le vis­age de Sim­bi. Les yeux fer­més témoignent de l’aventure onirique (ou cauchemardesque) dans laque­lle elle est plongée. Le tobog­gan en col­i­maçon rap­pelle celui que l’héroïne du pays des mer­veilles empreinte à l’œuvre de Lewis Car­roll. Les champignons et les lap­ins ren­voient aus­si à la fic­tion absurde. Le « Gherkin » (un build­ing en forme de « cor­ni­chon ») de la City lon­doni­enne situé der­rière rap­pelle le lieu de nais­sance de l’artiste.

À neuf ans, la jeune artiste avait rédigé dans sa pre­mière chan­son : « Achieve, achieve, achieve » (« Réalise, réalise, réalise »). À 26 ans, elle a déjà réal­isé ses rêves. Si Lit­tle Simz n’est pas la Reine de Cœur, elle est bel et bien un As.

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