Mosaïque

Le roy­aume du grime ne s’est pas con­stru­it en un jour. Dans un passé pas si loin­tain, des pio­nniers sont venus planter les pre­miers dra­peaux sur les collines bri­tan­niques, sym­bol­isant le début d’une con­quête prospère. Au gré des batailles, cer­tains sont tombés au com­bat, pen­dant que d’autres se sont hissés au rang de roi. Par­mi ces vain­queurs, l’un d’entre eux a mar­qué l’Histoire par sa plume : Dizzee Rascal.

Started from the bottom

De son véri­ta­ble nom Dylan Mills, Dizzee Ras­cal est né en sep­tem­bre 1984 dans le quarti­er lon­donien de Bow, à l’est de la ville. D’origine nigéro-ghanéenne, il est élevé par sa mère, aban­don­né au plus jeune âge par son père. Une enfance trou­blée qui laisse la place à une ado­les­cence ryth­mée par un com­porte­ment tur­bu­lent : ren­vois d’écoles, vols de voitures ou autres larcins auprès de livreurs de piz­za. Au même âge, l’un de ses pro­fesseurs décèle pour­tant chez lui un tal­ent inné pour la musique et l’accompagne dans ses pre­mières expéri­men­ta­tions. Quelques années plus tard, en com­pag­nie d’autres précurseurs, Dizzee est à l’origine de la nais­sance d’un nou­veau courant. Plus agres­sif, plus cor­rosif, et proche du style garage inspiré de la musique élec­tron­ique : le grime. 

Dizzee Ras­cal est présent sur la scène bri­tan­nique depuis le début des années 2000. Il se développe sur les radios pirates et pro­duit son pre­mier sin­gle, I Luv U, en totale autonomie, avant de ren­con­tr­er un autre artiste émer­gent de la scène rap anglaise : Wiley. Avec ce dernier, ils for­ment le groupe Roll Deep et intè­grent le ros­ter du label XL Record­ings. Le pre­mier morceau de Dizzee est alors réen­reg­istré pour une dif­fu­sion inter­na­tionale, devenant par la même occa­sion une référence du grime anglais. Après une ving­taine d’années dans le game, l’artiste lon­donien cumule sept projets. 

Tout com­mence en 2003, avec l’al­bum « Boy in da Cor­ner ». Une pre­mière per­for­mance remar­quée et accom­pa­g­née du sin­gle Ju’s a Ras­cal. L’al­bum qui mar­que le début d’une car­rière en solo. Une éman­ci­pa­tion for­cée pour le Boy from Bow qui quitte son groupe suite à une rixe sur­v­enue lors d’une tournée à Chypre. Dizzee reçoit plusieurs coups de couteau et soupçonne son com­père des Roll Deep, Wiley, d’être à l’origine de l’agression. Il quitte le col­lec­tif et entame son ascen­sion en solitaire. 

Son deux­ième pro­jet « Show Time » sort en 2004 et atteint la huitième posi­tion des charts bri­tan­niques. Entre temps, il lance son label Dirtee Stank pour soutenir des jeunes tal­ents. Trois ans plus tard, il tra­verse enfin l’At­lan­tique avec son album « Maths and Eng­lish » et sa col­lab­o­ra­tion avec Lily Allen. En 2009, cette expor­ta­tion mar­que aus­si l’arrivée de l’o­pus « Tongue N’Cheek » qui explose les comp­teurs, en troisième posi­tion des classe­ments d’outre-manche, avec pas moins de qua­tre sin­gles placés en pole posi­tion (Bonkers, Dance wiv Me, Hol­i­day et Dirtee Dis­co). Une apogée artis­tique qui le con­duit à rem­porter le Brit Award de l’artiste mas­culin de l’an­née en 2010. Fort de ce suc­cès, il dévoile son six­ième pro­jet : « Rask­it » qui signe son retour aux fon­da­men­taux de son œuvre : du grime pur jus.

Tea time

En 2003, Dizzee Ras­cal a 19 ans et devient le plus jeune artiste à décrocher le célèbre Mer­cury Prize qui récom­pense la per­cée de son pre­mier album. Il devance ain­si « A Rush of Blood to the Head » de Cold­play, « Hail to the Thief » de Radio­head ou encore « Lost Hori­zons » de Lemon Jel­ly. Pen­dant la céré­monie, le jeune artiste prononce un dis­cours chargé en émo­tion et rend hom­mage à sa mère. Il revient égale­ment sur son ascen­sion depuis la pré­car­ité et déclare : « La musique des jeunes com­mu­nautés noires doit être prise au sérieux. Elle bris­era les bar­rières d’elle-même si tel n’est pas le cas. »

The crown jewels

Dans la car­rière de Dizzee, l’al­bum « Tongue N’Cheek » est aus­si mar­quant qu’im­prob­a­ble. Improb­a­ble par sa prise de risque. L’esprit grime acid­i­fié de « Boy in da Cor­ner » a lais­sé place à des pro­duc­tions davan­tage dance-pop. L’artiste déclare d’ailleurs à sa sor­tie : « L’al­bum est com­posé pour égay­er l’atmosphère et met­tre une bonne ambiance […], il est aus­si sérieux que fun, étant don­né le temps de tra­vail que j’y ai con­sacré. » Orig­inelle­ment mar­qué par une influ­ence élec­tro, tant par les sam­ples util­isés que par son phrasé et son débit, le virage vers la pop se fait sentir. 

Un flo­rilège de pro­duc­teurs s’est attelé à la réal­i­sa­tion du pro­jet. Trois d’entre eux sym­bol­isent cette nou­velle ori­en­ta­tion musi­cale : Aaron LaCrate (ayant col­laboré avec Lili Allen et Lana del Rey), Char­lie Hugall (pro­duc­tions pour Ed Sheer­an) et Chase & Sta­tus (archi­tecte de plusieurs pro­jets de Rihan­na). Les fea­tur­ings con­fir­ment ce tour­nant artis­tique avec le DJ house améri­cain Armand Van Helden et son pen­dant écos­sais, Calvin Harris. 

Si l’intérêt de l’album réside prin­ci­pale­ment dans ses pro­duc­tions, la par­tie lyrique n’en est pas moins délais­sée. L’entrée en matière dépeint un Dizzee egotrip, à base de réc­its de cours­es effrénées au volant, de son appétit pour le plaisir de la chaire, et de l’aspect déjan­té de sa vie d’artiste. Can’t Tek no more mar­que un tour­nant dans la struc­ture de l’album. Le rappeur lon­donien abor­de pour la pre­mière fois les mirages du rap game bri­tan­nique qui attire les jeunes généra­tions en quête de lumière. Il s’exprime sur sa dureté, l’argent, la vio­lence et les com­bats, avec le deuil et la tristesse qui s’accompagnent par­fois de ces tragédies. 

Dizzee Ras­cal est aujourd’hui une référence du rap anglais, sol­lic­ité au-delà des côtes bri­tan­niques pour être un fea­tur­ing de luxe, à l’instar de son cou­plet sur le morceau Zone d’Orelsan. Après plus de vingt ans d’une car­rière mar­quée par un mélange des gen­res savam­ment maitrisé, le lon­donien ne sem­ble tou­jours pas ras­sas­ié. Courageux sera celui qui osera lui con­tester sa couronne. 

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