Mosaïque

Le grime bri­tan­nique pos­sède son ambas­sadeur en la per­son­ne de Stor­mzy. Mais le rappeur est un héri­ti­er du digne père fon­da­teur du mou­ve­ment : Skep­ta. Au tour­nant des années 2010, l’artiste orig­i­naire de Tot­ten­ham a su redonner vie au grime, qui est alors, au bord de l’essoufflement. 

Started from the bottom 

Pio­nnier du style grime, il est présent sur la scène bri­tan­nique depuis le début des années 2000. Joseph Junior Ade­nu­ga, aka Skep­ta. Une fois n’est pas cou­tume, le rappeur d’origine nigéri­enne est né le 19 Sep­tem­bre 1982, dans le quarti­er lon­donien de Tot­ten­ham. Il grandit au sein d’une fratrie de qua­tre enfants, dont deux d’entre eux con­nais­sent égale­ment la lumière des pro­jecteurs : son frère Jamie, alias JME, rappeur et pro­duc­teur con­nu dans la Per­fide Albion, et sa sœur Julie, présen­ta­trice radio. 

Famille atyp­ique, pour un par­cours qui l’est tout autant. Le rappeur lon­donien s’essaie tout d’abord en tant que DJ, avec le col­lec­tif Merid­i­an Crew, au début des années 2000. Dif­fusé sur les ondes des radios pirates, le groupe se fait un nom sur la scène under­ground bri­tan­nique, avant de se sépar­er. C’est alors que Skep­ta entame son ascen­sion, vers les som­mets de la grime et du rap UK. 

Avant d’aller plus loin, point déf­i­ni­tion : le grime, what is it ? Il s’agit d’un courant créé en Angleterre, au style agres­sif, intense, mêlant des influ­ences afro et dance­hall. Suite à divers­es affaires et amal­games effec­tués entre vio­lences de rue et agi­ta­tion musi­cale par les autorités, le grime s’essouffle petit à petit… Jusqu’à ce que Skep­ta survi­enne pour raviv­er la flamme au début des années 2010. D’abord avec son pro­jet « Black­list­ed » (2012) qui, mal­gré un écho médi­a­tique moin­dre, lui per­met de se plac­er sur la scène bri­tan­nique, avant l’exposition inédite que lui apporte son qua­trième pro­jet, « Kon­nichi­wa » (2016).

Tea time

Avec Skep­ta, tout est une affaire de pro­jets. Comme il le dit dans le track Back Then, sa mix­tape « Black­list­ed » a fait l’effet d’une bombe sur la scène rap : « My last mix­tape was a game chang­er. » Véri­ta­ble accéléra­teur de par­tic­ules, il per­met au grimer de se posi­tion­ner en tant que MC incon­tourn­able du roy­aume, mal­gré un engoue­ment lim­ité à l’international.

Les chiffres obtenus dans les ventes anglais­es n’établissent pas de record d’écoutes pour le rappeur de Tot­ten­ham. Le top classe­ment du pro­jet est enreg­istré à la soix­ante-douz­ième posi­tion. Mais avec Skep­ta, l’essentiel est ailleurs. 

Avec cette mix­tape, l’artiste ravive la flamme du grime, par­tielle­ment éteinte suite à l’émergence de nou­veaux styles, con­cur­rents directs, qui avaient presque réus­si à faire taire les porte-paroles de cette mou­vance. Skep­ta aka Mon­sieur Joseph Junior Ade­nu­ga parvient, avec « Black­list­ed », à s’adouber égérie de ce courant. 

The crown jewels 

Avant-dernier album de la discogra­phie de Skep­ta, « Kon­nichi­wa » est, au moment de sa sor­tie, l’album de grime le plus ven­du de tous les temps, avec un total de 190 000 copies ven­dues au Roy­aume-Uni en sep­tem­bre 2019. Les cri­tiques sont unanimes, les dis­tinc­tions pleu­vent. Con­sécra­tion ultime, il rem­porte le Mer­cury Prize, récom­pen­sant le meilleur album bri­tan­nique de l’année, treize années après le sacre de « Boy in da cor­ner », de son ami Dizzee Rascal. 

Skep­ta donne du relief à son pro­jet par la présence de mul­ti­ples artistes, appor­tant tous leur sig­na­ture à cet album. Il choisit d’incorporer des fig­ures impor­tantes du grime comme Chip ou Wiley, proche de son univers, à l’instar des mem­bres de son label Boy Bet­ter Know (Shorty, Frisco, Jam­mer) ou des artistes émergeant de la scène rap comme le rook­ie Nov­el­ist ou la chanteuse Fifi Rong. Preuve de son nou­veau statut, Skep­ta partage d’ailleurs le mic avec Pharell Williams sur le track Num­bers.

Le nom du pro­jet fait écho au lan­gage japon­ais, tout comme la com­po­si­tion de la cov­er rap­pelle le dra­peau nip­pon : le tim­bre avec de fines ban­des ver­ti­cales et les tam­pons « Lon­don » et « First Class » avec des couleurs rouges et blanch­es en fond. Telle une carte de voy­age, prêt à embar­quer vers le pays du Soleil lev­ant, Skep­ta évoque son besoin d’é­va­sion. L’artiste lon­donien présente d’ailleurs son pro­jet pour la pre­mière fois en live à l’occasion d’un con­cert à Tokyo, en 2016.

Avec ce pro­jet, Skep­ta pro­pose un album con­tes­tataire, anti-sys­tème, son­nant comme un cri de rage, au nom d’une pop­u­la­tion défa­vorisée et délais­sée depuis longtemps par les insti­tu­tions. Les flows rapi­des, la pro­fu­sion de bangers, les pro­duc­tions éclec­tiques don­nent un cachet à cet album et mar­quent musi­cale­ment toute la dichotomie qui le com­pose. Sym­bol­isant la remise en scène du grime, il s’agit égale­ment d’un aboutisse­ment com­plet pour Skep­ta, qui se livre sur ses sen­ti­ments amoureux, famil­i­aux et amicaux.

Cette var­iété musi­cale cor­rèle avec les thèmes abor­dés. Le ban­lieusard lon­donien mon­tre une ver­sion agres­sive et déter­minée de son per­son­nage, où il abor­de sa soif de revanche (Lyrics), l’acharnement quo­ti­di­en pour dévelop­per son œuvre et se plac­er au-dessus du reste du game anglo­phone (Man). Mal­gré cela, il se livre sur ses failles et ses faib­less­es, sur l’amour de sa vie (Text me back), sa ges­tion de la pres­sion vis-à-vis des médias (Num­bers) ou encore de sa volon­té de voir la fierté dans les yeux de ses proches.

Le grime anglais était endor­mi, tel un ancien juke­box lais­sé à l’abandon au fond de la salle, cou­vert de pous­sière. Skep­ta a sor­ti le plumeau et le bal­ai pour rebranch­er la machine, met­tant les pre­mières pièces pour faire à nou­veau briller ce style si entraînant. 

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