Après deux projets et un prélude, Slimka, désormais âgé de 27 ans, a canalisé toute son énergie dans un album à la direction artistique claire et ambitieuse. Cassim Sall, de son vrai nom, est guidé par une vision de sa musique libre et indépendante qui se résume en deux mots : « Tunnel Vision », le nom de son premier opus, sorti le 18 juin 2021.
À cette occasion, Mosaïque l’a rencontré autour d’un verre près de Bastille. Il était ce jour là accompagné de deux de ses amis : Rudi et Omizs. Ensemble, nous avons évoqué les coulisses de ce projet, les relations franco-suisses en passant par la frilosité musicale des médias. Un échange long et intense, fidèle à l’ardeur revendicatrice du jeune rappeur. Une énergie capturée par notre photographe Ulysse Carbajal dont le shooting est à découvrir tout au long de l’article.
Au fond d’une cour parisienne du 4e arrondissement, Cassim Sall profite, entre deux interviews, d’une après-midi ensoleillée avec ses potes à l’occasion de la sortie de son premier album « Tunnel Vision ». Leur occupation : écouter du son. « C’est pas Luv Resval ça ? Je l’aime bien lui, c’est un bon. C’est un Alkpote en plus tranquille », plaisante celui qui se fait appeler Slimka, de son nom d’artiste. Souriant, avenant et blagueur, c’est ce qui émane de ce grand aux allures de mannequin, vêtu ce jour là d’un ensemble noir floqué au logo du groupe de metal américain Slayer, de ses lunettes de soleil carrées et de ses indispensables grillz.
Décontracté, l’artiste nous accueille chaleureusement. Bien dans ses baskets, Slimka l’est aussi dans sa musique : « Je ne vous cache pas, j’ai assez confiance. Je sais qu’avec ce premier album, je suis resté fidèle à moi-même. J’ai simplement évolué mon délire et mon identité. » En route depuis deux ans, le projet porte en lui toute la maturation artistique d’un artiste à l’énergie débordante. Déjà en 2019, le nom de l’album : « Tunnel Vision » était tout trouvé. Une devise qui l’accompagne chaque jour. Plusieurs fois au cours de notre échange, il ponctue ses phrases de ces deux mots, preuve d’un état d’esprit constant : « Tunnel Vision, c’est comme No Bad (Le nom de ses deux premiers projets, NDLR), ce sont des mantras. J’aime bien quand les choses vont vite et droi) au but. Quand je n’ai rien qui me perturbe. L’idée aussi, c’est d’être toujours positif. Tu ne peux pas revenir en arrière, t’es dans un tunnel. »
Un mantra dans la musique, mais aussi dans la vie : « Le fait de me mettre en couple m’a stabilisé. Ce sont des choix personnels qui font que j’ai réussi à mieux percevoir ma vision. » L’opus de dix-huit titres est ainsi le fruit de l’émancipation de celui qui est désormais également producteur et directeur artistique d’un projet coloré, aussi surprenant par ses sonorités que par ses ambiances : « Je voulais proposer un album très orchestral. L’introduction résume la direction que je vais prendre dans le futur. Quelque chose d’organique avec des trompettes, des violons… »
Transmettre la « déter » suisse
Une direction nouvelle adoptée comme sur le morceau Taraxina aux accents dissonants en featuring avec Makala. Pour ce premier projet, le rappeur n’a pas souhaité se séparer de ses fidèles acolytes du groupe Xtrm Boyz (Makala et Dimeh, NDLR), tous deux présents sur la tracklist. Impossible pour le Genevois de produire « Tunnel Vision » sans représenter la Suisse : « J’ai grandi en Suisse où rien ne se passe pour les artistes et la musique. Je veux me positionner en tant qu’enfant du peuple en donnant de la force aux gens que je kiffe et en essayant de rassembler. »
« Je souhaite que les artistes suisses n’aient plus besoin de passer par la France pour percer. En Suisse, il n’y a pas de star system. C’est mal organisé et ça fonctionne au ralenti. Rien n’a bougé depuis 20 ans. »
- Slimka
C’est lorsque l’on se met à évoquer la Suisse que le débat s’anime autour de la table du café, à deux pas de Bastille. Slimka est un personnage vigoureux, qui transmet ses idées avec passion et conviction : « Je souhaite qu’avec tout ce qu’on est en train d’entreprendre, les artistes suisses n’aient plus besoin de passer par la France pour percer. En Suisse, il n’y a pas de star system. Personne n’a fait mieux que Lomepal. (À l’occasion de la sortie de “Jeannine”, le Parisien aurait été le premier artiste à se produire à trois reprises en moins d’un an sur les plus grandes scènes de Suisse romande, NDLR.) Ça fonctionne au ralenti. Rien n’a bougé depuis 20 ans. C’est mal organisé, il n’y a pas de médias et ceux qui existent renvoient vers des artistes qui ne sont pas Suisses. »
Crédit : Ulysse Carbajal.
Anciennement vendeur avant de se consacrer à la musique, le jeune rappeur a tout donné pour vivre de sa passion. Pendant un temps, il laisse sa vie, ses ami.e.s et son travail de côté pour se livrer corps et âme au rap : « On a perdu beaucoup d’argent pour en gagner pas beaucoup. Peu de gens seraient prêts à faire ça. Il y a déter et il y a superdéter. J’ai été superdéter. Bien avant moi, Dimeh a été superdéter, Makala a été superdéter. » L’artiste croit aux énergies positives et au travail qui finit toujours par payer. Sa réussite, il veut avant tout la transmettre pour « provoquer une émulation. Montrer que c’est possible. Je veux donner de l’espoir. »
Donner de l’espoir, notamment aux jeunes genevois et genevoises qu’il trouve moins motivé.e.s que les jeunes français et françaises. Cassim nous pointe du doigt ainsi que notre photographe venu pour le shooting et s’exclame : « Regardez-vous tous, il n’y a pas des jeunes comme ça chez moi. Vous représentez un média déjà en place. Ici, les gens sont déter. Moi, je fais une réunion dans un bar avec des gens à Genève, ils font des trucs qu’ils kiffent pas faire. Les gens ne développent pas leurs propres trucs. C’est comme un pet dans l’eau, tu vois. Ça sert à rien (rires). »
« Il faut penser art »
S’il paraît désemparé face à l’immobilité de la jeunesse de Genève, Slimka regrette la frilosité française face aux nouveautés musicales. Souvent, lui et ses deux amis, Omizs et Rudi, comparent la France aux États-Unis, regrettant que les top titres soient des sons mainstream et que les médias français ne fassent pas l’effort de s’intéresser plus à la Suisse : « Ils sont craintifs face à une musique qu’ils ne connaissent pas. Ça se trouve ce que tu fais c’est trop lourd et ça a peut-être cinq ans d’avance, mais là, pour le moment les gens n’en ont rien à foutre. Même aux “Planète Rap”, ce sont les artistes non-français qui nous invitent. »
Difficile aussi pour l’artiste d’échapper aux comparaisons : « Si je mets un durag et des lunettes, on m’appelle Freeze Corleone. Je me mets les cheveux blonds en arrière, je suis Laylow. Si un artiste n’est pas dans une case, il est dans une niche. »
Crédit : Ulysse Carbajal.
Tous s’accordent à dire que le marché français de l’industrie musicale n’est guidé que par les ventes. À gauche de Slimka, Rudi avec sa casquette des Chicago Bulls, explique : « C’est compliqué dans ce pays de faire ce que tu veux parce que le marché peut te baiser à tout moment. » À droite, Omizs, les yeux bleus, agite ses bras entièrement tatoués pour poursuivre la discussion pleine d’émulation : « On est en train de montrer qu’il faut penser art. Ne pensez pas à vendre. Si tu fais du bon art, tu vas vendre. Comme Basquiat. »
Cassim se montre entouré, accompagné par des proches qui croient en lui et en son travail. C’est le cas d’Omizs qui a commencé la musique en apprenant à connaître Slimka et qui tout au long de la discussion interviendra pour soutenir la vision de son pote : « Il y a la place pour Slimka fort. Je pense que la Superwak Clique (un collectif suisse fondé en 2014, dans lequel Slimka a débuté dans la musique, NDLR) a mis la lumière sur la Suisse. Ils ont mis en avant une musique jamais vue. Moi, je les appelle les JackBoys européens (un collectif de rappeurs américains signés sur le label de Travis Scott : Scott’s Cactus Jack Records, qui comprend Sheck Wes, Don Toliver, Luxury Tax et Scott’s DJ Chase B, NDLR). Ils ont ramené de l’art. Et surtout de l’art nouveau. Donc forcément, ça marche. »
Crédit : Ulysse Carbajal.
Une liberté artistique revendiquée par l’auteur de « Tunnel Vision » qui s’est associé pour cet album à des artistes éloignés de son univers pour des premières collaborations franco-suisses, notamment avec Jok’air ou Laylow. Le featuring avec Laylow sur le morceau Film Fr date d’il y a deux ans. Entre temps, le titre a été retravaillé pour coller à la nouvelle direction artistique du créateur de « Trinity » qui a souhaité revoir son texte et ses choix de voix.
Slimka est habité, capable de parler de rap avec autant d’énergie que lorsqu’il parle de la rencontre à Genève entre le président des États-Unis, Joe Biden, et le chef de la Russie, Vladimir Poutine, qui a lieu en même temps que notre échange. L’enfant du peuple représente à lui seul l’identité du rap suisse qu’il définit comme étant essentiellement « de l’énergie ». Selon lui, « tout est une transmission de chacra et d’amour. Les artistes suisses sont très libres. On a pas trop de barrières musicalement. Je n’ai pas peur de tester et d’échouer. Ça ne veut pas dire que j’ai perdu. Il faut penser Tunnel Vision. »
Crédit : Ulysse Carbajal.
Une vision poussée jusque sur la cover du projet qui a été inversée pour donner un rendu futuriste, à la manière d’une énergie prête à frapper et à l’image de son album qu’il considère d’ores et déjà « comme un classique ». Toujours tourné vers le collectif, il sait qu’il doit cette intemporalité aux dix-sept producteurs présents sur l’album. Alors que sa dernière journée de promotion se termine à notre terrasse, Slimka se donne toujours autant dans les échanges. C’est finalement Omizs qui conclut en terminant son verre de Coca : « C’est la musique qui fera les choses, c’est tout ce que j’ai à dire. » Tunnel Vision donc.
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