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C’est l’heure. « La men­ace fan­tôme » vient de délivr­er sa prophétie le ven­dre­di 11 sep­tem­bre 2020. Pour Freeze Cor­leone, ce deux­ième album est un nou­veau trem­plin, inédit dans le paysage under­ground du rap français. En passe de glan­er un nou­veau statut sur la scène du rap français, ce pro­jet signe-t-il la fin du suc­cès d’estime pour le gourou du col­lec­tif 667 ? Décryptage.

 

Recon­nu par les siens, mais pas con­nu de tous, Freeze Cor­leone est de ce que l’on appelle vul­gaire­ment de l’underground. En silence, ces artistes avant-gardistes manient les élé­ments et ten­tent de nou­veaux mélanges. Ici, les CD se dis­tribuent à la main et la per­for­mance prime sur les chiffres de vente.

Si cer­taines fig­ures du col­lec­tif 667 auquel il appar­tient émer­gent timide­ment, il est devenu une fig­ure de proue de ce rap tech­nique, niché, presque inac­ces­si­ble aux oreilles du « grand pub­lic ». Le rappeur respire des flows entre­coupés de rimes nouées au mil­limètre et des références com­plo­tistes obscures.

Auteur d’une imagerie unique, il maîtrise un univers où prospèrent les per­son­nages mafieux, les ban­dits, la drogue et les économies souter­raines. Son vocab­u­laire et son phrasé incom­pa­ra­bles sont désor­mais bien con­nus et iden­ti­fiés : « 667 », « Ekip », « Aka ». Après six pro­jets, Freeze Cor­leone est désor­mais un artiste mature qui passe un step inat­ten­du avec « LMF ».

 

Une attente inédite 

Depuis un an, une hype remar­quable a pro­gres­sive­ment grim­pé autour de l’artiste, amenant un niveau d’attente imprévu autour de l’opus. À l’annonce de la pré­pa­ra­tion de « La Men­ace Fan­tôme », sa dernière mix­tape « Pro­jet Blue Beam », a d’ailleurs fait son retour dans le Top 200 de la Snep. En juin 2020, les onze titres cumu­laient plus de 26 mil­lions de streams.

 

 

            Cov­er de l’al­bum « La Men­ace Fan­tôme ». Crédit : Blakhat.

 

Il a aus­si pu compter sur un solide sou­tien de sa fan­base sur les réseaux soci­aux. Afi­ciona­dos de Twit­ter, il a teasé à coup de tweets avisés l’arrivée d’un pre­mier album déter­mi­nant. Con­sid­éré par ses fans, mais aus­si par une nou­velle com­mu­nauté, hap­pée par le phénomène.

Preuve de l’avénement d’un nou­veau statut pour l’artiste : le suc­cès de sa presta­tion, Desi­ign­er, dans les stu­dios de Col­ors, lun­di 27 juil­let 2020. Un titre teas­er effi­cace avec lequel il réalise le meilleur démar­rage de sa car­rière. Le son cumule aujourd’hui presque qua­tre mil­lions de vues sur YouTube. Cerise sur le gâteau, la mys­térieuse date de l’album est dévoilée : le ven­dre­di 11 sep­tem­bre 2020. Un jour sym­bol­ique, pour faire écho aux atten­tats du World Trade Cen­ter. La noirceur est à son parox­ysme, fidèle à sa ligne artistique.

 

 

Le succès sans concession

En ferme oppo­si­tion à l’ADN de l’industrie musi­cale d’aujourd’hui, Freeze Cor­leone avait tou­jours refusé d’intégrer les rouages du rap busi­ness. Pour­tant, con­scient des attentes qui pla­nent autour de « La Men­ace Fan­tôme », l’artiste a accep­té de revoir sa copie. En effet, pour la pre­mière fois, il dis­tribue son pro­jet en physique en déléguant cette opéra­tion à Uni­ver­sal. Une con­ces­sion, mais pas sans cer­taines con­di­tions. Le rappeur a exigé de rester plein pro­prié­taire de ses morceaux. Une con­di­tion sine qua non à son épanouisse­ment artis­tique. Il le revendique d’ailleurs dans l’intro de l’album : « J’ai mes droits, j’ai mes mas­ters » (Freeze Raël).

 

                                              Crédit : Camu­lo James.

 

Alors que la cri­tique aurait pu imag­in­er un adoucisse­ment de ses textes crus, il n’en est rien. En témoigne la phase polémique où il exprime un dés­in­térêt pour les camps de con­cen­tra­tion de la Sec­onde Guerre mon­di­ale : « S/o les Indi­ens d’Amérique, s/o l’esclavage, R.A.F des *bip* (sku, sku) » (Hors ligne). Si la men­tion « camp de con­cen­tra­tion » a été masquée, le mes­sage demeure com­préhen­si­ble. Cela dans le but de point­er du doigt le manque de médi­ati­sa­tion du géno­cide des amérin­di­ens et de l’esclavage.

De la même manière, il demande sans fil­tre :« la peine de mort pour le réseau d’J­ef­frey »  (Rap catéchisme), un réseau pédophile orchestré par le mil­liar­daire Jef­frey Epstein, et annonce être impliqué dans le com­plot comme « Ben laden », se surnom­mant lui-même « Chen Laden »

 

Fidèle à lui-même

Si son pub­lic s’est élar­gi, chang­er de recette musi­cale n’est pas au pro­gramme. Freeze Cor­leone reste fidèle à lui-même. Il a donc naturelle­ment fait appel à Flem, un pro­duc­teur proche du rappeur et du 667, comme archi­tecte du pro­jet. Ain­si, les com­po­si­tions drill UK, avec des pianos puis­sants et des chœurs étouf­fants, sont légions tout au long des dix-sept titres du pro­jet. Tout comme sur les mix­tapes précédentes.

 

 

Côté cast­ing, Osirus Jack et Kaki San­tana, deux mem­bres du 667, se sont invités sur la track­list, avec d’autres artistes aux sonorités défini­tive­ment drill, comme Ashe 22. Pour­tant, sur cet opus, d’autres couleurs artis­tiques vien­nent se mélanger à celle du pro­fesseur Chen. La présence d’Alpha Wann a d’ailleurs sur­pris de nom­breux audi­teurs et le fea­tur­ing en pass-pass, Rap catéchisme, est rapi­de­ment devenu viral. Issus de styles bien dis­tincts, les deux kick­ers se sont retrou­vés autour de leur goût pour la tech­nique. Freeze a aus­si souhaité con­vi­er cer­taines de ses références comme Alpha 5.20, Despo Rut­ti ou encore le Roi Henook, à qui il rendait hom­mage dans son morceau Sac­ri­fice de masse.

 

Freeze Cor­leone offre un album plus long, très étof­fé et assuré­ment ambitieux. La hype sem­ble enfin se con­cré­tis­er et les pre­miers chiffres de vente indiquent un véri­ta­ble boule­verse­ment dans sa car­rière. Selon la Snep, il réalise 6 000 ventes en pré-com­mande, 5,6 mil­lions de streams lors de la pre­mière journée d’exploitation et place le morceau Freeze Raël à la 154e place du top Spo­ti­fy Monde. Dans une année de rap français très ouverte musi­cale­ment, cet album devrait laiss­er une trace remar­quée et sign­er un virage his­torique pour l’underground français.

 

 

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