Mosaïque
Cashmire 018 dessiné par Alexis Baa.

Il y a un an, nous ren­con­tri­ons pour la pre­mière fois ce jeune ambitieux du 18e arrondisse­ment de Paris : Cash­mire. Dès nos pre­miers échanges avec lui, nous avions com­pris que l’artiste avait une vision pré­cise de son art, se définis­sant comme « agres­sive­ment réal­iste avec une charge d’e­spoir ». Lors de ce pre­mier face à face, Cash­mire évo­quait déjà un prochain pro­jet qui devait alors sor­tir début 2021, prévu sans fea­tur­ing. C’est finale­ment presqu’un an plus tard, le 29 octo­bre 2021, que « 018 », le pre­mier album du rappeur voit le jour avec qua­tre col­lab­o­ra­tions. Que s’est-il passé ? Mosaïque est revenu vers lui pour com­pren­dre. L’oc­ca­sion aus­si d’abor­der en pro­fondeur la sit­u­a­tion du 18e arrondisse­ment sous les yeux avisés du pre­mier con­cerné, jeune prince de son royaume. 


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Lors de notre pre­mière ren­con­tre en novem­bre 2020, le pro­jet était déjà prêt. Il est finale­ment sor­ti le 29 octo­bre 2021. Que s’est-il passé en un an ? 

Main­tenant que tu me le dis, j’ai l’impression qu’un an c’est super long pour sor­tir un pro­jet. Quand on s’est ren­con­trés la pre­mière fois, il me restait la phase des visuels. Je pré­parais les clips de ZEP et de Samuel Eto’o. C’est moi qui écrit mes clips. J’ai pen­sé la pochette aus­si. On a aus­si rajouté le son avec Abou Tall. Il devait y avoir 18 titres et j’en ai finale­ment mis 12 plus un bonus. C’était frus­trant de devoir atten­dre un an. Avant, j’étais très under­ground, je fai­sais ce que je voulais. Je pou­vais sor­tir un son même sans mix, le met­tre sur Sound­cloud et c’est tout. Depuis ma sig­na­ture en label, c’est un tra­vail d’équipe. Le process n’est pas le même. 

Tu évo­quais d’ailleurs plusieurs noms de pro­jet. Tu as finale­ment gardé « 018 ». Pourquoi ?

Je ne peux pas mieux résumer ma musique que par 018. Je le dis con­stam­ment de manière incon­sciente et innée. À la base, je voulais appel­er mon pro­jet « Madame tout le monde », en référence à la série de pein­tures de Picas­so inti­t­ulée « Femme assise ». J’avais pen­sé à faire un pro­jet féminin et un pro­jet mas­culin. Plus je con­stru­i­sais le pro­jet, plus je me rendais compte que ça ne me ressem­blait pas. Ça, c’était le truc de Picas­so. Moi, c’est 018. Je me suis dit : « Cash, ouvre les yeux, regarde autour de toi. 018, c’est ton ADN, ton identité. »

Tu nous dis­ais égale­ment vouloir un pro­jet sans fea­tur­ing où « Cash­mire fait une grosse prise de parole ». Un an après, il y a finale­ment qua­tre invités sur la track­list. Com­ment ça se fait ? 

Aujourd’hui le fea­tur­ing c’est presque un acces­soire mar­ket­ing. Ini­tiale­ment, j’avais conçu le pro­jet sans par volon­té de m’exprimer et ain­si faire primer la musique. Le seul titre où je voulais des inter­venants étant La Colline avec Olaz­er­mi et Slkrack où j’avais besoin de cou­plets rap­pés et de belles voix graves pour immerg­er l’auditeur dans un univers vio­lent de drogue et de rue. Quant à Go Fast avec Nemir et Chaque semaine avec Abou Tall, c’est au fil des ren­con­tres que les titres ont trou­vé leur place au sein du pro­jet. J’ai con­science de la diver­sité des reg­istres et chaque artiste représente une part de moi. Que ce soit Nemir dans la douceur ou les mélodies, Abou Tall pour son ouver­ture sur le monde ou Slkrack avec qui j’ai grandi.

Com­ment est-ce que tu rends ser­vice à ton quarti­er avec ce projet ? 

J’ai lais­sé cet album à ce moment là de ma vie. Ma musique est intem­porelle. Je suis un habi­tant du quarti­er et j’ai con­science qu’à mon échelle, le 18e me regarde. Le 018 est en moi. Je porte le 018 sur mon épaule (Cash­mire a un tatouage « 018 » inscrit sur son bras gauche, NDLR) et je préfère que quelqu’un le décou­vre par mon album que par ce qu’en dis­ent les médias. J’ai voulu racon­ter mon quo­ti­di­en sans le drama­tis­er. La vie au quarti­er est dra­ma­tique mais ce n’est pas un drame. Depuis que je suis petit, je vois ça. Tu trou­ves ça moche mais c’est ton quo­ti­di­en. C’est quand tu gran­dis que tu te rends compte que tu vis dans un truc à part. C’est pour ça que j’ai sam­plé l’interlude Peu de gens le savent d’Oxmo Puc­ci­no dans ma pro­pre inter­lude Sauve-toi STP. Il dit : « On s’embrouille entre nous mais, c’est pas les keufs qu’on va chercher, on va chercher les potes à côté et on se tire les uns sur les autres. » Ça ressem­ble trop à nos vies. Au quarti­er, la devise, c’est sauve toi si tu peux. 

Il n’y a pas d’issue au quartier ? 

Il faut par­tir. Sinon, l’issue est néga­tive. Dans tous les quartiers, c’est pareil. Tous les gens qui habitent les quartiers con­nais­sent cette réal­ité. Entre nous, on sait tous qu’on veut par­tir. Il n’y a que ceux qui ne con­nais­sent pas la rue qui la fan­tas­ment. C’est tou­jours mieux d’en sor­tir et met­tre les siens à l’abri. Je crois que notre pire cauchemar, c’est de se faire rafaler en bas de chez soi. Imag­ine je meurs en bas de mon bâti­ment. Per­son­ne ne veut ça. Si j’en ai l’opportunité, je par­ti­rai. Pourquoi rester ? Je serai l’exemple de la réus­site qui est sor­tie du quartier. 

Pour­tant, tu vis encore dans ton quarti­er et à ton échelle, tu as réus­si. Tu ne pens­es pas être un modèle ? 

Bien sûr. Je ne crache pas dans la soupe, c’est vrai. J’en suis très fier. C’est juste qu’il faut voir tou­jours plus loin. Je ne suis pas allé au bout de ce que j’ai en tête. Dans l’idéal, j’ai une vie de ouf, j’habite à Toron­to et j’emmène tous les enfants du quarti­er en vacances au ski. Je fais des choses pour des asso­ci­a­tions, je con­tribue au quarti­er. La réus­site, c’est pas la sig­na­ture en label. Il faut que j’aide finan­cière­ment et sociale­ment mon quarti­er. Comme Pop Smoke l’a fait. Il a ouvert une fon­da­tion avant de mourir : « Shoot for the Stars, Aim for the Moon ». Je trou­ve ça magnifique. 

Mais si on a pas le tal­ent de Cash­mire, on est con­damné au quartier ? 

C’est hor­ri­ble de dire ça. On est pas con­damné mais j’essaye de met­tre en lumière que c’est beau­coup plus dur. Évidem­ment que tu peux faire des études, t’accrocher et réus­sir. Mais c’est plus dur que pour le reste du monde. Parce que toi tu con­tin­ues mais au quarti­er tout le monde lâche. Ton envi­ron­nement ne te pousse pas vers le haut. Rien est impos­si­ble mais tout est plus dur. Juste parce que l’appartement est trop petit, on est trop nom­breux, donc faire ses devoirs c’est plus com­pliqué que la moyenne. Et puis au quarti­er tout est fait pour que ce soit plus dur pour nous. Le 18e est une ban­lieue au sein même de Paris, c’est sa par­tic­u­lar­ité. L’architecture, le nom des rues…. Quand je suis dans le 16e arrondisse­ment, le nom des rues c’est rue de la Boétie, rue Mozart, rue des grands poètes. J’arrive chez moi, je vois rue Marx Dor­moy, le nom d’un révo­lu­tion­naire. C’est juste fait comme ça. Quand t’arrives au quarti­er, les routes com­men­cent à être trouées. Rien est dû au hasard. C’est l’origine même des ghettos.

Tu dis d’ailleurs que c’est le 18e qui a fait de toi un rappeur, c’est à dire ? 

Le quarti­er m’a con­di­tion­né à être un rappeur. Dans un autre endroit, peut-être que j’aurais fait de la gui­tare, du piano, autre chose. La pré­car­ité donne accès aux choses les plus sim­ples. Ça marche aus­si avec le sport. J’ai gran­di dans le 18e, je fais du foot. J’aurais gran­di dans le 6e, j’aurais fait du ten­nis ou de l’équitation. Ici, l’opportunité n’existe pas. Le foot, il faut juste un bal­lon et des copains. Pour faire du rap, il faut juste une instru et une voix.

Qui tiens-tu pour respon­s­able de cette sit­u­a­tion de ton quartier ? 

Ils. Le « ils » dont je par­le dans mon morceau ZEP : « Ils nous ont vrai­ment mis en ZEP. » Je me suis déjà demandé de qui je par­lais quand je dis­ais « ils ». En fait, c’est ceux qui n’en ont rien à foutre de nous et de nos modes de vies. Qu’on meurt par balles, pour traf­ic de drogue ou juste parce qu’on s’en sort pas. Ce même ils qui pré­tend qu’on a des chances égales à celles des autres. Ce même ils qui fait pay­er des écoles à 20, 40 ou 50 000 euros l’année. Je vois qu’il y a des trucs sys­témiques en face de nous. Ceux qui sont respon­s­ables, ce sont ceux qui fer­ment les yeux. Je sais même pas si je les tiens pour respon­s­ables. Les choses sont comme telles. 

Je ne suis pas fatal­iste (Il s’arrête pour réfléchir, NDLR). Je suis agres­sive­ment réal­iste avec une charge d’espoir. Par exem­ple, les gueush (Les tox­i­co­manes, NDLR), ils ne font que les déplac­er dans trois arrondisse­ments : le 18e, le 19e et le 20e. Ce que je con­state, c’est qu’ils ne sont jamais dans le 15e, jamais dans le 8e, jamais dans le 6e, jamais dans le 4e. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que ça ne dérange pas cer­taines per­son­nes au-dessus, tant qu’ils restent en ban­lieue parisi­enne ou dans nos quartiers de merde.

Tu par­les beau­coup des tox­i­co­manes dans ta musique. Tu as quel rap­port avec eux au sein de ton quartier ? 

Il y a des tox­i­co­manes dont je suis proche, parce que ça fait des années que je les vois. Sur la place Hébert, il y a Stéphanie. C’est un jeune garçon. Ça m’arrive de pren­dre de ses nou­velles. On con­nait tous Fan­ny aus­si. Ce sont des vies dif­fi­ciles. Dis­ons que je com­prends tout le monde dans ce quarti­er. Je com­prends ma gar­di­enne qui n’en peut plus, les petits qui s’en foutent de cette sit­u­a­tion, les par­ents qui sont fatigués, ceux qui ont bais­sé les bras, ceux qui vendent de la drogue, ceux qui n’en vendent pas, ceux qui vont à l’école, ceux qui n’y vont pas… Il n’y a que le maire que je ne com­prends pas (rires). Mais je com­prends moins les tox­i­co­manes parce que tu choi­sis à ce moment-là que toi même, tu ne peux plus te sauver. Pour autant, j’ai de l’empathie pour eux. Il y a tou­jours des par­cours de vie der­rière. La soli­tude, la déshu­man­i­sa­tion, la dureté de la rue… Ce sont des choix de vie très dif­fi­ciles. Il suf­fit de par­ler avec eux pour savoir qu’ils ne veu­lent pas de cette vie.

J’ai con­science que je décon­stru­is ma mas­culin­ité à tra­vers mon look. Per­son­nelle­ment, je ne pense pas for­cé­ment qu’il faut des critères pour être un bonhomme. 

Cash­mire pour Mosaïque

Dans le titre Yaki, tu dis « S’il y a pas dieu, il y a qui ? ». Est-ce que la reli­gion est une issue au quartier ?

Du fait de mes con­vic­tions religieuses, si quelqu’un se tourne vers la reli­gion, je trou­verais tou­jours ça mag­nifique. Au quarti­er, la foi est un lien très fort entre nous tous. Quand on fait des bêtis­es, il y a cette con­science de trahir sa reli­gion. Ceux qui con­nais­sent la mis­ère con­nais­sent aus­si la prière. Il y a un lien entre les deux. Je trou­ve ça très beau. Je suis pas sûr que ce soit une porte de sor­tie. Mais ça porte des valeurs, c’est ce qui fait du bien dans la mis­ère. Ce qui aide à tenir, ce sont les drogues, les par­adis arti­fi­ciels. La foi, c’est juste beau, grand et pro­fond. Moi, je suis ni un ange, ni un exem­ple mais je suis quelqu’un de religieux.

De par ton atti­tude et ton look, tu décon­stru­is l’image du rappeur de quarti­er. C’est une ambition ?

J’ai con­science que je décon­stru­is ma mas­culin­ité. Rien que com­ment je m’habille. Je ne fais pas sem­blant. Au quarti­er, je suis habil­lé pareil. Par­fois, je suis dans des endroits très som­bres, des park­ings et moi je me crois à la fash­ion week (rires). Les grands et les petits savent que je décon­stru­is. Même dans le clip de Guc­ci Bae, il y a un mec très fash­ion dans un quarti­er très ghet­to, c’est ce que je voulais dégager. Ça se retrou­ve aus­si dans mon attrait aux choses culturelles. 

La cov­er va aus­si dans ce sens là. Je voulais repren­dre l’idée de la pochette de l’al­bum « Sweet Revenge » de l’artiste japon­ais Ryuichi Sakamo­to. Ça n’a pas été facile de faire accepter cette idée au label parce que ça fait pas très rap mais je voulais juste­ment jouer le con­tre­pied, et quand j’ai une idée en tête, c’est dif­fi­cile de me l’enlever. Pour aller au bout des choses, on a pris un pho­tographe de mode, Thomas Lacham­bre, pour faire le shoot. Je prends plaisir en tout cas à décon­stru­ire tout ça. Per­son­nelle­ment, je ne pense pas for­cé­ment qu’il faut des critères pour être un bon­homme. J’aime voir beau­coup plus loin. 

Est-ce que, de la même manière, tu prêtes atten­tion à la façon dont tu par­les des femmes dans tes textes ? 

Je ne le con­sci­en­tise pas mais naturelle­ment, je ne par­le jamais mal des femmes. Je par­le tou­jours avec respect c’est super impor­tant. Je suis le principe de Tupac. D’ailleurs, je n’aime pas for­cé­ment le rap où ça par­le mal des femmes.

Dans tous tes sons et même dans des chan­sons d’amour comme Non, tu par­les de la rue. Est-ce que la rue et ta rela­tion aux femmes sont deux choses indissociables ? 

Je suis mar­ié à la rue. En atten­dant qu’une femme vienne repren­dre ce mariage je reste mar­ié à la rue. Même quand j’essaye de par­ler d’amour, je par­le du quarti­er. Je suis dans le 018 tout le temps. Je me demande juste­ment si dans mes prochains pro­jets je ne devrais pas chang­er et la met­tre au sec­ond plan. On ver­ra par la suite. 

Le pro­jet de Cash­mire, « 018 », est tou­jours disponible sur toutes les plateformes. 


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