sean est le premier artiste que Mosaïque avait interviewé, à l’occasion de la sortie de sa mixtape « À moitié loup », en plein confinement. Pour « Restez Prince », une nouvelle discussion s’imposait. Dans un recoin du Hasard Ludique, dans le 17ème arrondissement de Paris, nous avons retrouvé le rappeur. Il s’est présenté à nous élégamment vêtu d’une veste en cuir noir imposante, de lunettes de soleil dorées et d’une bague floquée « SEAN », au majeur gauche. Rythmé par quelques cigarettes, il s’est confié sur la conception de sa nouvelle mixtape, parue vendredi 15 avril. L’artiste rappe ses expériences, sa vision et une nouvelle philosophie. Celle du sad boy devenu prince. Entretien.
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Ta mixtape « Restez Prince » est sortie depuis cinq jour. Comment te sens-tu ?
Je me sens béni, mec. Je suis hyper reconnaissant, il m’arrive que des bêtes de trucs en ce moment…. Le concert, la sortie, j’attendais ça depuis tellement longtemps. Pour le coup, ce projet est une vraie philosophie de vie que je mets en avant : « Restez Prince ».
D’où vient ce titre « Restez Prince » ?
C’est une phrase qu’un ami plus vieux m’a dit pendant des vacances cet été en Italie dans les Pouilles. On s’est rencontré il y a un an et demi, il a de l’expérience et avec lui j’ai des conversations de fou. On part loin lui et moi. C’était un voyage très important pour moi. Quand je suis revenu à Paris je n’étais pas le même homme et j’avais cette phrase : « Restez Prince ». Ça m’a fait beaucoup réfléchir et pour moi, ça reprend l’idée du conte de fées avec une quête au bout.
Je veux privilégier le chemin qui t’amène à la fin plutôt que la fin elle-même. Dans le royaume, le roi, qui vit dans l’opulence, a une place très importante. Mais si on regarde les histoires, il prend une place secondaire lorsqu’il est mourant. Alors moi, je privilégie la quête plutôt que son arrivée.
« Restez Prince », c’est rester humble, rester fidèle à ses rêves d’enfant. Quand tu regardes ma carrière, j’ai commencé par un truc très innocent avec quelque chose de très conceptuel (Son EP « Mercutio », sorti en 2019, DLR). Ensuite, j’ai senti une pression sociale et de l’industrie qui te dit qu’il y a des façons de faire. Je me suis rendu compte assez vite qu’il fallait que je m’écoute moi, c’était la seule solution.
Une fois rentré de ce voyage en Italie, as-tu changé des choses en toi ?
Je me suis mis à fond dans ce truc de rester soi. Ça m’a donné confiance. J’ai failli être roi parce que, quand j’étais tout jeune et innocent, des gens importants venaient me dire que j’avais un réel potentiel, que j’avais de l’intérêt. Ils te promettent plein de choses pour te charmer alors que t’es un gosse. Et souvent c’est faux et j’ai vu des plus jeunes que moi à qui il est arrivé exactement la même chose. C’est un peu comme les centres de formation de football.
Après la sortie de ta mixtape « À moitié loup », le studio dans lequel tu travaillais s’est fait cambrioler. Tu as tout perdu et les quelques morceaux qui ont été retrouvés ont formé un nouveau projet « MP3+WAV », sorti l’année dernière. Comment t’es-tu relancé artistiquement après cette période ?
Après ce cambriolage, il y a eu une grosse période de flou pour moi. C’était un projet sur lequel je travaillais depuis longtemps. « MP3+WAV », ça ne s’appelait pas du tout comme ça et c’était un autre concept. J’avais envie de faire un projet hyper cohérent à la base, donc j’ai pris le temps pour repartir et j’ai même changé de process. J’ai changé d’équipe et de studio sans prévenir.
Surtout, je ne voulais plus retourner dans celui qui avait été cambriolé, je n’y avais plus la même énergie. C’était un nouveau chapitre. Maintenant, je travaille dans un studio qui s’appelle Noble dans le 20ème arrondissement de Paris. Le nom du studio colle totalement avec ce que je veux faire. J’y ai rencontré des gens humbles, qui m’ont poussé dans mon délire « Restez Prince » et qui m’ont rassuré sur le fait de produire ma musique comme je l’entends et à mon rythme, sans céder aux codes qui marchent aujourd’hui.
T’es-tu senti rattrapé par des codes ?
De ouf, mais indirectement. Ce sont les gens avec qui je travaillais qui me disaient de faire un gros featuring parce que c’est comme ça que ça marche, en épurant mes clips, en faisant des choses conventionnelles… En mettant moins d’argent dans les visuels, mais plus dans la promo. Ce sont des avis légitimes et pertinents mais qui ne sont pas pour autant la vérité ultime. Faut savoir que moi, tu me donnes une enveloppe de 100 000 euros, je mets 90 000 dans les clips. Je m’en bats les couilles de la promo (rires).
Pour la réalisation de cette mixtape, de qui t’es-tu entouré ?
D’un mec qui s’appelle Espiiem. Un rappeur de l’ancienne génération qui a fuck avec l’Entourage. Il a monté ce studio, Noble, qui reprend un peu l’esprit de Motown. Il veut un retour vers l’organique et développer des projets avec de grosses ambitions pour donner une respiration à la musique française. C’est lui et un autre gars plus lowkey (discret, ndlr) qui ne se crédite sur rien. Il m’enregistre, masterise, mixe… Ce gars, il fait des bêtes de truc gros. Il a tout fait sur « Restez Prince ». Il ne veut même pas dire son prénom et il est partisan de tout niquer sans donner son blase. Sans être dans le culte de la personnalité. Je pense que dans quelques années on en parlera comme un truc de ouf.
Ensemble, ils veulent reprofessionnaliser la musique en France. Je trouve que vu qu’on est dans une époque où tu peux faire de la musique avec ton ordinateur, on se contente de ça. Les propositions sont homogènes et génériques. Le but, c’est de se détacher de ça mais pour le faire, il faut des gens qui s’y connaissent vraiment. Moi j’ai commencé la musique dans ma chambre avec un PC et une carte son et j’avais cette envie d’explorer d’autres délires. Et eux, ils ont une vibe vraiment néo-soul, avec beaucoup de références et beaucoup de gens qu’ils peuvent appeler.
De quelle manière as-tu eu une approche organique de ta musique sur ce projet ?
Le meilleur exemple c’est Omax. On était sur un morceau baile et eux ils ont tout de suite pensé à appeler Addriano DD, le percussionniste de Stevie Wonder depuis 20 ans. Il est venu avec tout son matériel baile, j’ai eu l’impression d’être au festival de Rio, mec. Il a tout rejoué. On a fait chanter une chorale d’enfants aussi. C’était incroyable. C’est une approche différente de la musique. C’était un bête de moment de création. Et « Restez Prince », c’est aussi une transition pour moi. Les premiers tests… Je ne suis pas encore allé au bout du délire. Mais c’est que du bon pour le futur parce que le prochain projet, on fera vraiment un truc abouti.
On remarque aussi que certains morceaux ont été réalisés par l’équipe des studios Goldstein.
Oui, j’ai écrit Vide et Zeudog vie chez eux. Avec Elyo, Ola et Pibe, la dream team. Tout ça, c’était il y a un an et demi, mec. Vide, je l’avais fait en live chez Pascal Cefran (Mouv’, NDLR) il y a un an et demi. Goldstein, on est grave proches. Ce sont les prémices des Avengers que je veux ramener sur mon prochain projet. Ce que j’aime, c’est la synergie de plusieurs compos, plusieurs énergies créatrices au service d’un même projet.
Arrivé avec un peu de retard lors de notre entretien, sean a marqué une pause pour se rendre sur le tournage d’une interview avec un média rap. L’occasion pour nous de reprendre un café au Hasard Ludique. En attentant qu’il revienne, la rédaction vous conseille d’écouter la MOSA’Hit, notre playlist disponible sur toutes les plateformes.
sean est de retour, il reprend place à notre table. Lors de ton concert à La Place Hip Hop, tu avais interprété pour la première fois un titre qui reprend l’air des Cités d’Or. Pourquoi n’est-il pas sur la tracklist ?
On a galéré à avoir les droits et ça ne l’a pas fait. Mais il devait être dans la tape. Alors je suis allé au studio une dernière fois et j’ai fait le Coup du berger pour remplacer Cités d’Or. Il rappe : « Tout le royaume est au courant, une couronne cassée par terre. Et si mon ennemi est mourant, on pose les armes par terre. » J’ai écrit ça parce que c’était la mentalité. Et j’ai écrit Mauvais marins aussi à ce moment-là.
Crédit : Lise Lacombe pour Mosaïque.
De quoi t’es-tu nourri pour écrire « Restez Prince » ?
J’écoute plein de trucs, je suis un fou des sorties, j’écoute tout ce qui sort. Je n’ai pas un artiste en particulier mais il y a des mecs comme C. Tangana qui font leur truc à part. C’est un rappeur espagnol, il a le même profil que moi et il a décidé de faire ce qu’il kiffait et ça a archi bien marché. Il se retrouve sur Tiny Desk (Une série de vidéo de concerts en direct animés par NPR Music, NDLR). Le but, c’est Tiny Desk.
Dans cette tape, tu évoques beaucoup ton train de vie. Le coté plus faste. Est-ce qu’il a vraiment changé dernièrement ?
Je pense que j’ai grandi, ma vie s’est intensifiée. J’ai beaucoup de projets. Je sors, je life, je voyage, j’ai un peu d’argent. Ce n’est pas de l’egotrip, c’est juste vrai. Parfois, je la rends plus belle dans mes textes, mais c’est ma vie.
Certains morceaux sont très introspectifs, peut-être plus que sur tes précédents projets. Notamment sur Vide qui est un titre fort. Peux-tu nous en parler ?
De ouf, c’est une période de ma vie. Vide ce que j’aime bien c’est que quand je l’écoute aujourd’hui, je n’ai pas la même interprétation ni les mêmes images que quand je l’ai écrit. Je me fais des nouvelles histoires avec. Quand je l’ai joué à la Boule Noire, c’était différent de quand je l’interprétais avant. Je dis plein de trucs dedans, c’est un ras le bol général, c’est un cri. Ça incarne un état d’esprit.
Ce son, il faut savoir qu’à la base c’est un long texte qu’on a coupé en deux pour faire le premier et le deuxième couplet. Je voulais faire quatre minutes de freestyle où je m’arrête aps mais il manquait un truc. Du coup, on a cassé avec quatre mesures sur lesquelles on s’est cassé la tête. Quand je l’ai enregistré, j’étais en transpi’. Je l’ai fait quinze fois d’affilée. Je suis ressorti, j’étais tout rouge.
Comme dans tes projets précédents, l’amour est omniprésent. Parles-tu à quelqu’un en particulier ?
Non, ce sont des histoires vécues mais avec plusieurs filles parce que ça fait longtemps maintenant. Ce sont des chansons d’amour, des sentiments universels qu’on traverse tous. Tu enjolives les choses que t’as vécues. Je ne pense pas forcément à une personne.
On retrouve aussi S.Pri Noir avec qui tu as déjà collaboré il y a quelques mois sur sa série de morceaux « Saison 999 ».
On a enregistré le feat Hey Baby en même temps que Juicy, sur la même session. C’est moi qui l’avais invité parce qu’on a des connaissances en commun, on s’était déjà rencontré. C’est un bête de gars, bête d’humain. Il est simple, c’est un mec prince. Il n’est pas roi, il a toujours faim alors que ça fait 15 ans qu’il est là, avec la sagesse d’un mec de 40 ans.
On a écrit ensemble, c’était un passe-passe. On se répondait, on enregistrait et après on écrivait par rapport à ce que l’autre avait dit. Sur le projet on devait aussi avoir un gros feat de ouf international, un espagnol, et ça ne s’est pas fait à cause d’un problème de timing. Je n’avais pas envie de chercher un feat pour faire un feat. Je n’aime pas quémander sauf si je trouve ça pertinent qu’il y ait cette personne sur le son.
Crédit : Lise Lacombe pour Mosaïque.
Et alors, cette cover ?
Quelle cover incroyable. C’est une gow qui s’appelle Léa Simon. On a d’abord matché sur un premier clip et on a glissé sur la cover parce que j’aimais trop sa DA. C’est rare les gens qui ont du goût comme elle. Moi j’avais déjà l’idée avec le gâteau cassé en deux qui symbolise la couronne, comme un petit anniversaire et elle a rajouté un truc très « De Rrusie ». C’est un ami à moi qui fait des tableaux de ciel. On lui a fait un clin d’œil avec ce fond. Et sur la table, on a mis plein de trucs qui symbolisent l’aventure. Un peu comme si chaque objet représentait une péripétie. Elle est forte cette cover.
Tu nous avais confié, lors de la sortie de « À moitié loup », vouloir montrer un sean plus dansant et plus solaire. Chose qui s’est ensuite confirmée sur « MP3+WAV ». Une partie de ta fanbase a été déçue de tes nouveaux choix artistiques, plus éloignés de l’ADN de « Mercutio ». Comment as-tu senti réagir ton public après la sortie de « Restez Prince » ?
Je pense que j’en ai perdu pas mal en route (rires). Certains attendaient mon retour dans un truc un peu conceptuel. Mais j’ai l’impression qu’avec « Restez Prince », tout le monde y trouve son compte. C’est plus lisible. Il y a un vrai univers avec une singularité. Les fans de « Mercutio » peuvent s’y retrouver. C’est plus tout public, c’est plus mature. Je ne ferai jamais un « Mercutio 2 », mais c’est la même énergie.
sean a‑t-il trouvé son équilibre ?
« Restez Prince », c’est le sean que je voulais être. C’est un bon équilibre entre plein d’influences. Je vais aussi vers d’autres choses, avec « L’Œil du Dog » par exemple. J’ai trop aimé les moments de tournage. C’était très libre et j’ai beaucoup aimé ça. C’est un projet évolutif et je vais mettre les sons sur les plateformes. Il y a même un EP qui va arriver de trois titres, un projet spécial summer. Ce sera la surprise, c’est un style très rare dans le rap. Personne n’a posé là-dessus je crois. Le but, c’est que ça passe en soirée.
Mais il n’est pas encore venu le temps de l’album ?
Non, je suis Lil Wayne, je sors des tapes, je m’amuse. Je ferai un album quand je pourrai faire mon bail. Quand je ferai un album, je serai prêt à le faire. Pour moi c’est important frérot. Si je fais un album, faut que ce soit le meilleur album.
As-tu déjà des plans en tête pour la suite ? sean
On va faire un séminaire de trois semaines avec les Avengers des compositeurs français, que des monstres. La première semaine, ils vont composer. Ensuite, j’enregistrerai sur des clics, donc le métronome. À partir de là, on aura la base et on appellera un gars en particulier des States qui va retaper tous les beats et qui va faire en fonction de ma voix, de mes émotions. Ça fera des sons beaucoup plus fluides et qui évoluent beaucoup plus.
Ce nouveau projet s’accompagne aussi par ta signature dans le label Suite 21, chez A+LSO (Sony Music France). Que signifie cette nouvelle page de ta carrière ?
Lansky (fondateur de Suite 21, NDLR), c’est devenu un reuf. On s’était rencontré sur le shooting de Mauvaise nouvelle où il était venu écrire un article pour YARD. J’avais kiffé cet article. Il m’a donné de la force sur Twitter et il m’a toujours suivi. On ne s’est plus lâché. J’aime beaucoup ce gars et il complète ma vision parce qu’il la comprend. Ce n’est pas un vieux DA à l’ancienne (rires). J’avais besoin d’un neujeu qui capte ce dont je parle et à qui je peux tout dire.
La recette de sean, tu le disais, ce sont aussi les clips. Des visuels sont-ils en préparation ?
Pour Hey Baby et Mauvais marins on a tourné un truc mais on ne sait pas si ça va rendre bien. Il y a le clip de Plus jeune qui arrive. sean regarde une vidéo sur son téléphone que l’on vient de lui envoyer avec les effets spéciaux. Il est réalisé par celle qui a fait la cover, Léa Simon. Ça va être fou.
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