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Élisa Par­ron a suivi Nek­feu en tournée et a immor­tal­isé la car­rière d’Orel­san, Boo­ba ou Rilès, ain­si que les matchs les plus gal­vanisants du Paris Saint-Ger­main avec des clichés mythiques. Aujour­d’hui, elle sort son livre, inti­t­ulé « Numéro 10 », qui présente au pub­lic neuf années d’archives et nous dévoile les milieux du rap et du foot­ball depuis les couliss­es. Rencontre. 


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Afin que les grandes his­toires devi­en­nent impériss­ables et que les noms qui mar­quent notre époque restent dans la mémoire col­lec­tive, il y a des témoins qui s’efforcent de cap­tur­er ces instants qui for­gent notre cul­ture et notre pat­ri­moine. Der­rière la lumière des pro­jecteurs et dans les couliss­es des scènes les plus somptueuses, ils et elles cap­turent ces grands moments qui per­dureront dans la postérité.

Depuis déjà neuf ans, Élisa Par­ron immor­talise les con­certs les plus mémorables des grand.e.s rappeur.se.s français.e.s, ain­si que les vis­ages du PSG. Mosaïque est par­ti à la ren­con­tre de cette pho­tographe de 27 ans qui a suivi le par­cours de Nek­feu, Orel­san, Boo­ba ou encore Rilès. Elle sort aujourd’hui son livre, inti­t­ulé « Numéro 10 » , dans lequel elle partage cette décen­nie d’archives et d’histoires, et nous fait décou­vrir de l’intérieur les milieux du rap et du football. 

Peux-tu te présenter ?

Mon nom est Élisa Par­ron, j’ai 27 ans. Je viens de Suisse et j’habite en France depuis quelques années main­tenant. Je suis pho­tographe, prin­ci­pale­ment dans le sport et la musique.

Comment t’es-tu lancée dans la photo ?

Je suis entrée dans une école pro­fes­sion­nelle quand j’avais 18 ans. Mais je fai­sais déjà des pho­tos avant, pour m’amuser avec mes potes. Et lorsque je suis arrivée à l’école, j’ai com­pris que le but, c’était de faire de la pho­to un méti­er. J’ai donc prof­ité de cette péri­ode où j’étais un peu tran­quille pour aller à droite à gauche, shoot­er plein de trucs, et c’est comme ça que j’ai com­mencé à cou­vrir mes pre­miers matchs de foot et à ren­con­tr­er des artistes. 

Je me suis retrou­vée en train de dis­cuter avec Nek­feu qui m’a pro­posé de l’accompagner pen­dant la tournée du S‑Crew.

Élisa Par­ron pour Mosaïque.
À quel moment t’es-tu orientée vers le milieu du rap et du football ?

Je voulais tester ce que j’aimais bien dans la pho­to. J’étais en cours, en train de réfléchir à ce que j’allais faire et je me suis dit que je pour­rais essay­er de shoot­er le foot car c’est un sport que j’aime beau­coup. Alors j’ai demandé des accrédi­ta­tions qu’on m’a accordées. J’ai tout de suite accroché : j’aime bien les endroits qui déga­gent de l’émotion et les stades en sont des exem­ples par­faits, avec le cri des fans, les célébra­tions, etc.

En ce qui con­cerne les con­certs, j’ai tou­jours été dans la musique. Par exem­ple, j’ai fait de la harpe pen­dant dix ans. Quand j’ai com­mencé la pho­to, j’écoutais beau­coup de hip-hop, donc je me suis naturelle­ment ren­seignée sur les con­certs de rap qu’il y avait près de chez moi. J’ai appelé des salles pour leur deman­der si je pou­vais venir shoot­er, ça a débuté comme ça.

Quels artistes écoutais-tu à l’époque ?

Beau­coup de Boo­ba, parce que j’ai un grand frère qui l’écoutait tout le temps. Et Orel­san aus­si, à ses tout débuts. Je regar­dais aus­si les Rap Con­tenders et j’ai com­mencé à aimer 1995.

En parlant de 1995, ta première grosse tournée c’était celle de « Feu ». Peux-tu nous parler de ta connexion avec Nekfeu ?

J’avais shooté 1995 en con­cert, et, je ne sais plus exacte­ment com­ment ça s’est passé, mais ils m’ont don­né leur mail pour que je leur envoie les pho­tos et ils ont partagé mes clichés sur les réseaux. Un jour, le man­ag­er du groupe, Fonky Flav’, m’a pro­posé de venir shoot­er leur tournée. Au début, c’était un peu galère, parce que je n’étais pas réelle­ment pro­gram­mée mais seule­ment invitée. Je pre­nais un train depuis la Suisse, je me retrou­vais en France dans des petits bleds, j’étais au milieu du public.

Je me suis retrou­vée en train de dis­cuter avec Nek­feu qui m’a pro­posé de l’accompagner aus­si pen­dant la tournée du S‑Crew. Donc je suis repar­tie avec eux. Et lorsqu’il était en train de pré­par­er son pre­mier album solo, je suis allée le shoot­er au stu­dio et je l’accompagnais lors de ses tour­nages de clips. Quand « Feu » est sor­ti, je l’ai suivi lors de sa tournée, et j’étais rémunérée, cette fois. C’était un peu la nais­sance de ce qu’il est aujourd’hui, on a vu de plus en plus de monde dans les salles de con­cert, c’était fou.

As-tu un souvenir particulier de cette époque ?

À l’époque, le S‑Crew organ­i­sait des open mics sauvages, c’est à dire que les mecs pre­naient des énormes enceintes et des micros, et ils rap­paient dans la rue. Lors d’une ses­sion à Paris, devant le cen­tre Pom­pi­dou, il y avait plein de spec­ta­teurs. L’ambiance était dev­enue ten­due parce qu’un crew avec lequel les gars s’étaient embrouil­lés allait arriv­er. Sauf qu’on était entourés par les fans et qu’on n’avait pas de sécu­rité. On s’est donc rejoint entre nous, et on a com­mencé à par­tir, devant le cen­tre Pom­pi­dou, puis sur le trot­toir. On ne pou­vait pas courir, parce qu’on était suiv­is par le pub­lic, et on se dis­ait que les gens allaient se met­tre à courir aussi.

À un moment don­né, quelqu’un a crié : « Ken ! Ken ! ». Et Nek­feu, comme quelqu’un l’avait appelé par son prénom, il s’est tourné en pen­sant que c’était une per­son­ne de l’équipe. À ce moment, il y a cinq gars qui se sont rués sur lui et une bagarre a éclaté. Je ne com­pre­nais rien à ce qui se pas­sait, j’avais à peine 19 ans. C’est à la suite de cet événe­ment que Nek­feu a fait le son U. B., pour racon­ter cette histoire-là.

Et comment es-tu entrée au PSG ?

J’ai envoyé un mail expli­quant que je n’étais pas pho­tographe de presse et que je voulais faire des pho­tos artis­tiques pen­dant les matchs. Idéale­ment, j’aurais aimé que les joueurs posent, mais ce n’était pas possible.

Je voulais que les joueurs me deman­dent de voir les pho­tos que j’avais pris­es pen­dant le match et qu’ils les pos­tent sur leurs réseaux, comme les artistes le font à la fin d’un con­cert. Je leur pro­po­sais quelque chose de dif­férent artis­tique­ment, je fai­sais beau­coup de noir et blanc et j’axais mes clichés sur la célébra­tion. J’ai eu plusieurs accrédi­ta­tions et c’est par­ti comme ça. Je con­tin­ue encore aujourd’hui : il y a quelques mois, j’ai fait la cam­pagne du troisième maillot.

Pourquoi as-tu décidé de sortir un livre ?

Je me suis dit que ce serait bien de faire quelque chose qui dépasse Insta­gram et Inter­net. Je ne suis qu’au début de ma car­rière, mais j’ai quand même neuf ans d’archives. J’avais envie d’an­cr­er tout ça dans le réel.

Le livre, c’est tombé à pic. Déjà, je souhaitais y met­tre mes meilleures pho­tos, celles que je préfère, celle qui me rap­pel­lent des sou­venirs mar­quants. L’idée était surtout de met­tre en avant le par­al­lèle entre deux univers qui sont vrai­ment liés. Parce que selon moi, les foot­balleurs et les rappeurs, ce sont le même genre de mecs. Ils écoutent les mêmes choses, ils ont à peu près le même âge… Je trou­vais intéres­sant de les réu­nir dans un livre pour les comparer.

Pourquoi, selon toi, le rap et le football sont-ils deux univers très proches ?

Par exem­ple, dans le livre, il y un shoot avec avec Lean­dro Parades, sur fond blanc et un autre avec Rilès. Je les ai mis à côté, et tu ne peux pas les dis­tinguer, ce sont deux hommes charismatiques.

J’ai déjà invité des joueurs du PSG à des con­certs de Boo­ba. De l’autre côté, j’ai une crédi­bil­ité avec les rappeurs quand je dis que tra­vaille avec des foot­balleurs. Sou­vent ils me dis­ent : « Ah ouais, moi j’aurais dû être foot­balleur, mais je me suis fait les croisés ! » C’est tou­jours la même excuse, c’est trop drôle. Ce sont les mêmes gen­res de mecs, leur pas­sion est dev­enue leur méti­er, ils ont la même énergie.

Une bonne pho­to, c’est celle qui va te faire ressen­tir quelque chose. Quand on est petit et qu’on ne sait pas lire, on regarde les images, et il y en a une sur laque­lle on s’arrête plus longtemps, sans savoir pourquoi.

Élisa Par­ron pour Mosaïque
Tu as neuf ans de carrière, que te dis-tu lorsque tu regardes en arrière ?

C’est passé vite. Franche­ment j’ai l’impression que ça ne fait que trois ans que je fais ce méti­er. Ce qui est aus­si fou, lorsqu’on regarde mes pre­mières pho­tos du PSG, c’est de voir à quel point les joueurs qui sont encore là aujourd’hui étaient jeunes à l’époque.

De la même manière, j’ai des pho­tos d’artistes qui étaient tout jeunes, et on ne savait pas ce qui allait leur arriv­er. Par exem­ple, Nek­feu, quand je l’ai ren­con­tré, on ne pou­vait pas savoir qu’il allait devenir l’un des plus gros vendeurs de dis­ques en France. C’est pareil quand j’ai vu MHD pour la pre­mière fois, il était juste en stu­dio et il n’avait sor­ti que trois sons, c’était per­son­ne. Deux ans plus tard, on était à Coachella.

Est-ce qu’il y a une photo que tu préfères dans ton livre ?

C’est hyper dur à dire. Déjà, il y a 177 pho­tos dif­férentes sur 200 pages. Ce sont toutes mes pho­tos préférées pour divers­es raisons, donc c’est hyper dur de choisir dans cette sélec­tion. Après, je pour­rais te dire qu’une de mes pho­tos préférées, c’est celle de Nek­feu, une autre est celle de Rilès, et je ne saurais même pas te dire pourquoi.

Qu’est-ce qu’une bonne photo ?

C’est de l’art, donc c’est sub­jec­tif. Une bonne pho­to, c’est celle qui va te faire ressen­tir quelque chose. Quand on est petit et qu’on ne sait pas lire, on regarde les images, et il y en a une sur laque­lle on s’arrête plus longtemps, sans savoir pourquoi. Donc for­cé­ment, il y a des pho­tos que j’adore per­son­nelle­ment et qui ne vont par­ler à per­son­ne, ou inversement. 

C’est ça qui est beau dans l’art, tu vas for­cé­ment trou­ver des per­son­nes qui adhèrent à ce que tu fais. Je pense que l’art sert à cela : con­necter des gens à tra­vers des émo­tions. Et tant mieux si ça fonctionne.

À quoi penses-tu lorsque tu prends une photo ?

Je suis vrai­ment dans l’instant. Il ne faut pas que je rate le bon moment. C’est un peu quand tu essaies de dormir, plus tu y pens­es et moins tu y arrives. Je shoote à fond, je prends beau­coup de pho­tos rapi­de­ment, quitte à beau­coup tri­er après. C’est comme ça que je ne rate pas LA photo.

Est-ce qu’il y a un ou une artiste que tu as particulièrement aimé shooter ?

Elle n’est pas dans le livre, mais Shay. Elle est telle­ment belle en vrai que toutes les pho­tos d’elles sont très belles. Et Rilès, avec qui je tra­vaille actuelle­ment, il est très agréable et on a une vraie connexion.

Ton livre s’appelle « Numéro 10 », est-ce que tu souhaites devenir la Numéro 10 de la photo ?

(Rires) C’est une bonne ques­tion. Comme je te le dis­ais, la pho­to, c’est sub­jec­tif, tan­dis que les gestes tech­niques ou un nom­bre de buts mar­qués dans l’année, ce sont des faits. En pho­to, on est plein à mérit­er ce titre de Numéro 10, parce qu’on a cha­cun notre sen­si­bil­ité, notre regard. Donc ce serait très pré­ten­tieux d’y prétendre.

Aujourd’hui, je me dis que l’énergie fémi­nine me manque et que je pour­rais tra­vailler avec beau­coup plus de femmes. Mon prochain livre, ça pour­rait être un truc unique­ment avec des femmes.

Élisa Par­ron pour Mosaïque
Quelles sont tes ambitions futures ? Être exposée ? 

Nor­male­ment, je vais faire une petite expo et voir les gens pour qu’ils vien­nent acheter mon livre. Je n’ai pas encore les dates, mais ce sera d’ici deux semaines max­i­mum je pense (L’interview a été réal­isée le 8 décem­bre, NDLR).

Je me dis aus­si que je pour­rais ten­ter un autre univers, comme la mode par exem­ple. Main­tenant que j’ai de l’expérience, je me dis que ça pour­rait drôle de tra­vailler avec des per­son­nes dont c’est le méti­er de pos­er, et avec des décors dédiés à ça.

Quel est ton but ultime ?

Je n’ai jamais eu de but ultime, je veux juste être heureuse quand je vais shoot­er et être fière de moi. Je ne me dis pas que j’ai envie de faire telle ou telle chose. Quand j’ai com­mencé les pho­tos de rappeurs, j’ai com­mencé par con­tac­ter une petite salle de con­cert et la suite est venue toute seule.

Tu as évolué dans un milieu très masculin, comment l’as-tu vécu ?

Ça ne m’a jamais dérangé parce que je ne me fai­sais pas la réflex­ion au début. Je voulais juste faire ce méti­er et je ne me dis­ais pas qu’il n’y avait pas beau­coup femmes, avant de le con­stater. Après, j’ai tou­jours eu beau­coup d’amis garçons, j’ai un grand frère et des cousins. J’avais l’habitude d’être entourée d’hommes et je suis tombée sur des gens bien­veil­lants, donc je n’ai jamais eu de problème.

En revanche, aujourd’hui, je me dis que l’énergie fémi­nine me manque et que je pour­rais tra­vailler avec beau­coup plus de femmes. Mon prochain livre, ça pour­rait être un truc unique­ment avec des femmes.

Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

Déjà que mon livre se vende (rires). Puis, c’est clas­sique, mais la san­té. J’ai eu des prob­lèmes de san­té pen­dant une péri­ode et ça m’a énor­mé­ment freinée. Quand ton corps va bien, tu te dis que tu as de la chance. Et bien m’entendre avec les gens, con­tin­uer à rester fidèle à moi-même, devenir la meilleure ver­sion de moi-même. 

« Numéro 10 » d’Élisa Parron est disponible sur son site Internet.

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