Mosaïque

Par Lise Lacombe et Thibaud Hue

Alors que le troisième vol­ume de son pro­jet « Amour Noir » est sor­ti le 10 sep­tem­bre 2021, nous avons ren­con­tré Still Fresh dans le 2e arrondisse­ment de Paris. Lors de l’en­tre­tien, nous avons ten­té de saisir la philoso­phie amoureuse d’un artiste qui se plaît à chanter l’amour depuis près de dix ans. L’oc­ca­sion aus­si d’échang­er sur l’évo­lu­tion du rap­port homme et femme et du regard du rappeur sur le fémin­isme, notam­ment face à la polémique engen­drée par le dernier clip de Sneazzy, présent sur l’EP. La pho­tographe Sarah Gure­wan a prof­ité de cette ren­con­tre pour cap­tur­er Still Fresh pour Mosaïque, au détour du pas­sage des Panora­mas, dans le quarti­er Vivienne.

Quand Still Fresh s’installe sur le canapé au cen­tre des locaux de sa mai­son de disque BMG Pro­duc­tion Music France, il vient à peine de ter­min­er son sand­wich et de finir sa bouchée. Prêt à en découdre avec l’exercice de l’entretien auquel cet artiste de 28 ans est rompu, après déjà dix ans de car­rière. Pen­dant neuf pro­jets, il s’est appliqué à dress­er autour de sa musique un décor roman­tique, par­fois trag­ique, qui se veut le haut-par­leur de ses obser­va­tions sur les rela­tions entre les hommes et les femmes. 

Still Fresh a l’habitude de s’épancher sur la façon dont il gère ses rap­ports et ses expéri­ences à la gente fémi­nine. Dans le troisième vol­ume de sa série « Amour Noir », sor­ti le 10 sep­tem­bre 2021, il ne cesse d’analyser ce qu’il appelle les « sché­mas répéti­tifs » et regrette l’uniformisation de ce que l’on peut ressen­tir : « On a l’impression que l’amour ne va que dans une seule direc­tion. Celui de l’amour tox­ique. Il y a des gens pour qui le moteur de la rela­tion, c’est le « je t’aime moi non plus », avec beau­coup de pas­sion et de douleur. Mais ce n’est pas for­cé­ment la bonne for­mule. D’autres, à l’inverse, sont des parte­naires de vie. » En rel­e­vant la tête pour rassem­bler ses pen­sées, il ajoute, un brin hési­tant : « C’est la société qui nous a matrixé », (qui nous a con­for­mé, NDLR).

Une société qui établit scrupuleuse­ment les traits féminins et mas­culins et qui demande à l’homme de ne pas pleur­er, comme Still Fresh le chante sur Ne m’en veux pas, la deux­ième piste de l’EP : « J’su­is un homme, pas d’larmes sur mes joues, elles coulent sur mon arme. »

Repenser les rapports entre hommes et femmes ?

Si l’artiste con­cède que les émo­tions puis­sent être pro­pres à chacun.e indépen­dam­ment de son genre, il dis­tingue les com­porte­ments des hommes de celui des femmes : « Tout le monde pleure, c’est la vie. L’émotion n’a pas de sexe. Cer­tains hommes sont très émo­tifs. Je lisais la biogra­phie de Steve Jobs et il fai­sait des crises de larmes à la trentaine quand il n’avait pas ce qu’il voulait. Ça ne l’a pas empêché d’être un génie et de chang­er le monde. Cha­cun est comme il est. Mais l’homme et la femme restent très dif­férents. On ne réag­it pas pareil. Pour moi, un homme, même s’il a des dif­fi­cultés, il doit quand même y aller, repar­tir à la guerre. C’est l’exemple que j’ai eu avec mon papa en tout cas. » 

J’ai été éduqué comme ça. Si une guerre éclate, je préfère y aller moi et mes petites sœurs restent là, tu vois ce que je veux dire ? C’est peut-être archaïque, mais c’est ma vision.

Still Fresh pour Mosaïque.

Cet état d’e­sprit est, selon le rappeur, le fruit de son édu­ca­tion. Durant sa jeunesse, son père, chauf­feur de taxi, perd subite­ment son per­mis de con­duire. Sans emploi à soix­ante ans, il prend son courage à deux mains, repart en for­ma­tion et retrou­ve la route : « C’était dif­fi­cile, mais il l’a fait sans mon­tr­er trop d’émotions. J’ai été éduqué comme ça. Si une guerre éclate, je préfère y aller moi et mes petites sœurs restent là, tu vois ce que je veux dire ? C’est peut-être archaïque, mais c’est ma vision », con­clut le mélodiste.

S’il entend que sa façon d’aborder la mas­culin­ité puisse paraître dépassée, Still Fresh con­state toute­fois l’évolution des nou­velles men­tal­ités dans lesquelles le « mas­culin et le féminin se con­fondent un peu ». Pour­tant, lui, reste mar­qué par ce qui l’en­toure : « Je suis orig­i­naire du Mali et au vil­lage c’est très dif­férent. Le matin, les hommes se lèvent pour aller au champ parce que c’est plus dur, les femmes s’occupent des enfants et de la nour­ri­t­ure. Lorsqu’ils revi­en­nent épuisés du tra­vail, elles les nour­ris­sent. C’est un tra­vail d’équipe. Per­son­ne n’est esclave de per­son­ne. Les deux sont dépen­dants de l’autre pour sur­vivre. Cha­cun gère le foy­er comme il le veut. »

« Je suis pour le féminisme mais ça commence à partir en couilles »

Le con­cer­nant, Still Fresh n’en est pas encore à l’étape de se con­stru­ire son pro­pre cocon famil­ial. Céli­bataire, il se définit comme « un cor­saire, un pirate sur les mers ». Sa soli­tude est un choix pour celui qui tient à respecter sa parole lorsqu’il la don­nera : « Le mariage est un engage­ment. Même si ce n’est pas devant Dieu, c’est devant la société et tes proches. Sauf qu’on con­naît tous l’Homme. Il ne tient pas sou­vent sa parole. C’est juste qu’on a besoin d’être engagé. Cest pour ça qu’il y a des con­trats partout. On a besoin d’être cadré. » Un cadre dont lui-même ressent le besoin : « Je préfér­erais me mari­er. Ça me don­nerait de la sta­bil­ité. Je ne peux pas être seul toute ma vie. Les per­son­nes qui accom­plis­sent des choses sont sou­vent accom­pa­g­nées. Ça peut être le rôle d’une famille. »

En atten­dant de trou­ver celle qui lui don­nera l’envie de fonder un foy­er, Still Fresh par­le des femmes au pluriel dans ses textes, en ten­ant à rester respectueux : « Je ne ressens pas trop le besoin d’être vul­gaire dans mes textes. Je ne trou­ve pas ça séduisant. J’ai envie que tout le monde puisse m’écouter. Je ne me cen­sure pas pour autant, je dis les choses comme je les pense. Met­tre des meufs dénudées et tout, je n’aime pas trop ça et être misog­y­ne, c’est pas mon délire non plus… J’ai eu un bon exem­ple avec ma mère, je ne me vois pas man­quer de respect à la femme. »

Je suis pour le fémin­isme, je dirais même que je suis human­iste. Mais ça com­mence à par­tir en couilles. Aujourd’hui, ça m’ar­rive d’avoir peur de dra­guer une meuf. Tout est surinterprété.

Still Fresh pour Mosaïque.

Pour­tant, l’artiste ne com­prend pas cer­taines réac­tions, notam­ment celles dont a été l’ob­jet le clip Failles de Sneazzy, présent en fea­tur­ing sur le morceau Ne m’en veux pas de son EP. Le 6 août 2021, Sneazzy met en scène dans son clip un homme courant après sa copine dans la rue pen­dant plus de trois min­utes pour s’expliquer avec elle. Il avait alors été reproché au rappeur de roman­tis­er un sché­ma de har­cèle­ment de rue à tra­vers ce visuel. L’av­o­cate pénal­iste Naïri Zadouri­an, con­nue, entre autres, pour avoir libéré le rappeur DA Uzi, avait réa­gi sur Twit­ter : « Il aurait dû appel­er son morceau “har­cèle­ment” parce que c’est ce qu’il se passe dans son clip et c’est tout sauf mignon. » Ce à quoi Sneazzy avait répon­du : « Elle joue ma copine dans le clip, le morceau par­le d’une rela­tion amoureuse. Tu peux aller dormir avec ton analyse ko… t’es tout sauf mignonne. »

Des reproches que le prin­ci­pal intéressé avait donc rejeté en bloc et face aux­quels Still Fresh con­fesse son incom­préhen­sion : « Il ne faut pas abuser. Il faut met­tre les choses dans leur con­texte. Dans le clip, ils sont en cou­ple et finis­sent ensem­ble. Il y a égale­ment des meufs qui suiv­ent des gars dans la rue quand elles sont en cou­ple. On ne peut pas par­ler de har­cèle­ment à chaque fois qu’on voit une meuf en train de con­va­in­cre son mec ou l’inverse. Il nest pas dans la rue en train de la sif­fler avec des potes. Ce genre de truc inutile dessert le com­bat fémin­iste. Parce que quand ça va par­ler de sujets sérieux, les gens vont dire : « Ah, elle nous casse encore les couilles ». Alors que c’est un com­bat légitime. » 

Still Fresh tient à rap­pel­er son partage du com­bat fémin­iste mais se mon­tre réfrac­taire à ces avancées : « Je suis pour le fémin­isme, je dirais même que je suis human­iste parce qu’on va pas se cass­er les couilles à faire des affron­te­ments. Mais ça com­mence à par­tir en couilles, martèle-t-il une nou­velle fois. Aujourd’hui, ça m’ar­rive d’avoir peur de dra­guer. Tout est sur­in­ter­prété. » Lorsque nous lui sug­gérons que sa pen­sée est sûre­ment dic­tée par le fait qu’il soit un homme, Still Fresh acqui­esce : « Peut-être que oui, c’est pas impossible. » 

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