Mosaïque

Repérée depuis la sor­tie de son pre­mier EP « Futée » en novem­bre 2021, Zinée a trou­vé sa place sur le spec­tre rap avec un univers robo­t­ique tein­té de bleu. Celle qui ne se con­sid­ère pas comme « un phénomène » a con­science de l’originalité de sa propo­si­tion. Mosaïque l’a ren­con­tré à l’occasion de la sor­tie de « Cobalt », un EP de dix titres, sor­ti le 23 juil­let 2021. De nature timide et dis­crète, elle a accep­té de se livr­er sur son enfance, sa col­lab­o­ra­tion avec le rappeur Shel­don ou encore son inévitable tristesse. Tout au long de votre lec­ture, retrou­vez les pho­tos d’Ulysse Car­ba­jal pour Mosaïque.

À son arrivée dans les stu­dios de son label Low Wood à Aubervil­liers, Zinée est accom­pa­g­née de son man­ag­er Char­lie et de Poune, sa chi­enne, ancien ani­mal mal­traité, qu’elle a adop­té depuis un mois. Pen­dant que celle-ci s’amuse avec une balle de ten­nis lancée par la rappeuse qui s’exclame : « Viens là ma fille ! », l’artiste se prête au jeu des pho­tos. Devant le disque d’or de Boo­ba pour l’album « Pan­théon », Zinée hésite à pos­er : « Je ne sais pas trop com­ment être con­quérante. » Pour­tant, son pro­jet « Cobalt » dévoilé le 23 juil­let 2021, regorge d’une inso­lence naturelle que Zinée prête au sec­ond degré. 

Dès le début de notre échange, la rappeuse dénote par sa spon­tanéité enjouée et sa facil­ité à se livr­er. De son vrai nom Lisa, Zinée aurait dû s’appeler Ziné­dine : « Je m’appelle Zinée parce qu’on m’appelle Zizou depuis que je suis petite. Mon père voulait m’appeler Ziné­dine mais la mairie de Toulouse a refusé. Mon entourage a con­tin­ué à m’appeler Zinée. » Comme si ses proches avaient prédit que Lisa aurait besoin d’un nom de scène, Zinée devient naturelle­ment le surnom de la jeune fille. 

« C’est toi le bulldog qui ne veut pas être signé ? »

Dans son tee-shirt noir, son jean bleu droit et ses bas­kets Adi­das à scratch, la Toulou­saine est arrivée à Paris il y a deux ans et demi. Venue pour tra­vailler, elle est respon­s­able du stand Tony la fripe dans le cen­tre com­mer­cial Cita­di­um. Rapi­de­ment, la musique la rat­trape : « Je n’étais pas venue dans l’optique de vivre du son, main­tenant j’en vis depuis un an. » En six mois, tout s’emballe. Sa sig­na­ture est le résul­tat d’une suc­ces­sion de ren­con­tres. En arrivant à la cap­i­tale, Zinée retrou­ve son ami, le man­ag­er de Petit Bis­cuit qui lui présente des copain.ine.s à lui. 

« J’ai dit à Shel­don que je voulais faire un truc un peu bizarroïde, avec un univers robo­t­ique, du rap mais pas trop non plus et c’est un mec qui a com­pris directe­ment. C’est for­mi­da­ble. Je ne peux que lui dire merci. »

- Zinée

Par­mi eux.elles, le réal­isa­teur Mohamed Cha­bane, qu’elle surnomme « Momo », lui présente l’artiste Michel, égale­ment signé chez Low Wood. Ensem­ble, il.elle.s vont à un bar­be­cue où des mem­bres de la 75e Ses­sion sont présents. Un peu par hasard, elle leur fait écouter sa musique : « Je n’étais jamais allée en stu­dio. J’avais enreg­istré ça sur snap avec une pote qui met­tait la prod sur son télé­phone. Ne jugez pas (rires). C’était vrai­ment un truc hor­ri­ble. Ça durait 40 sec­on­des, ça s’appelait quelque chose comme IVR. » 

Mais ce jour-là, le rappeur Shel­don, clé de voute du col­lec­tif parisien, n’entend pas ce « truc hor­ri­ble » que dépeint Zinée. Il perçoit un poten­tiel et l’encourage. Au départ, elle veut rester indépen­dante par crainte de l’industrie musi­cale : « Sauf qu’un jour, je bois un verre avec Momo et Michel. Guil­laume, le pro­duc­teur de Low Wood arrive et me dit : « C’est toi le bull­dog qui ne veut pas être signé ? (rires) » Ras­surée par Michel et Shel­don, elle se lance. Sa seule con­di­tion : faire sa musique avec ce-dernier avec qui elle crée « un lien affec­tif » depuis longtemps, sans encore faire de musique ensemble. 

Devenu depuis son men­tor, Shel­don crée avec elle son pre­mier EP « Futée » avant de réitér­er sur son nou­veau pro­jet « Cobalt ». Une col­lab­o­ra­tion indis­pens­able à la rappeuse : « C’est un mec très sen­si­ble, qui donne sa chance à beau­coup de monde. C’est un humain excep­tion­nel. » Avec son accent chan­tant du sud, Zinée prend une voix per­chée et s’amuse : « Je suis arrivée en lui dis­ant que je voulais faire un truc un peu bizarroïde, avec des voix, un univers robo­t­ique, du rap mais pas trop non plus et c’est un mec qui a com­pris directe­ment. C’est for­mi­da­ble. Je ne peux que lui dire merci. »

Un destin tracé 

En quelques mois, elle se retrou­ve signée en label sans n’avoir encore jamais mis les pieds en stu­dio : « Je ne sais pas si je suis croy­ante ou pas, mais pour moi, c’est un aligne­ment des planètes qui est incroy­able », con­fie-t-elle. Un aligne­ment des planètes qui la suit depuis son ado­les­cence. Enfant « taquet » dyslex­ique, dont même « l’orthophoniste ne sait plus quoi faire », Zinée est très timide. Elle mélange les mots et les let­tres, et rien n’y fait. Sa mère lui souf­fle l’idée de ten­ter le chant : « Je n’avais rien à per­dre alors j’ai essayé avec mon oncle qui jouait de la gui­tare. Il a été choqué de ma voix et m’a dit : « Tu te fous de ma gueule, t’as une voix comme ça et tu le dis pas ? ». J’ai répon­du : « Ça va, c’est la pre­mière fois que je chante, m’engueule pas (rires). » 

Son tim­bre de voix unique s’entend dès les pre­mières notes qui s’échappent de sa tra­chée : « J’ai la voix très aiguë parce que j’ai des cordes vocales très petites. Ça restera comme ça toute ma vie. » Con­traire­ment à ce que laisse à penser sa sig­na­ture vocale, Zinée ne tra­vaille pas avec l’auto-tune mais avec un cor­recteur qui rend sa voix « plus ronde » et qui la mod­i­fie « note par note »

« Pen­dant un moment, je me suis trompée de rêve. Je ne voulais pas faire par­tie de ces gens qui se réveil­lent à 40 ans, en se deman­dant ce qu’ils font depuis vingt ans. »

- Zinée

Avec une mère danseuse de fla­men­co et un père adepte de pop­ping (style de danse qui cor­re­spond le mieux au funk ou G‑funk, NDLR), ses par­ents sont persuadé.e.s que Lisa a une place à se faire dans le milieu artis­tique. Zinée, elle, ne le voit pas du même œil : « Pour moi, la musique c’était chanter dans les mariages. Dans ma tête, c’é­tait impos­si­ble d’en faire une car­rière. » Elle se pas­sionne alors pour la couleur et la lumière au ciné­ma et souhaite devenir tech­ni­ci­enne. Un jour, elle réalise qu’elle n’est pas faite pour ça : « J’ai sué pour ça et finale­ment je n’étais pas bonne, alors j’ai arrêté. Même ma meilleure pote m’a dit : « Mais c’était ton rêve ! », et je lui ai répon­du : « Je crois que je me suis trompée de rêve ». Je ne veux pas faire par­tie de ces gens qui se réveil­lent à 40 ans, en se deman­dant ce qu’ils font depuis vingt ans. » 

Sa fas­ci­na­tion pour les couleurs ne la quitte pas pour autant, d’où le nom de son pro­jet « Cobalt », en référence au bleu du cobalt, un métal : « Je ne sais pas com­ment l’expliquer. Quand je ferme les yeux et que j’écoute un son, j’ai une couleur qui me vient. Je n’y peux rien du tout. J’ai vu du bleu en faisant le pro­jet. Ce sont dif­férentes teintes de bleu mais le cobalt est très impor­tant. » C’est avec l’artiste Bouher­rour, auteur du tableau qui illus­tre la pochette du pro­jet « Cobalt » qu’elle trou­ve le nom du pro­jet. Le tableau a été pen­sé par le pein­tre sans que Zinée ne lui ait don­né aucune indi­ca­tions. (Décou­vrez point par point les étapes et les réflex­ions de leur tra­vail racon­tées par Zinée à la fin de l’ar­ti­cle, NDLR.)

Le syn­drome de synesthésie ne quitte jamais la rappeuse notam­ment lorsqu’elle évoque les derniers pro­jets qui l’ont mar­qués : « Khali, c’est un beau jaune, un jaune un peu pas­tel. Un orangé un peu pas­tel aus­si et il y a du rose. Du rouge aus­si. Un bon gros rouge, un rouge carmin, de rouge à lèvres. »

La tristesse affirmée 

Entre deux visions col­orées, Zinée caresse sa chi­enne Poune, qui se tient sage­ment à côté d’elle tout le long de l’entretien. Au moment où nous ren­con­trons l’artiste, son pro­jet doit sor­tir dans deux jours. Lorsqu’elle apprend que nous avons pu écouter « Cobalt » en avance, l’artiste se recro­queville dans son fau­teuil en cuir, légère­ment gênée de ren­con­tr­er ceux.celles qui ont pu pénétr­er dans son univers, avant de deman­der timide­ment : « Vous l’avez aimé, ça va ? ». 

Timide, Zinée l’est et l’a tou­jours été. Pour­tant, face à nous, elle se con­fie sans chercher à se dérober : « Je serai timide toute ma vie, mais on ne peut pas en tant qu’artiste ne pas par­ler de notre pro­jet, se dévoil­er, et expli­quer pourquoi je suis en face de vous. Je trou­ve ça impor­tant. » Une réserve qui cache une volon­té per­ma­nente de se pro­téger : « Pour moi, l’humain est hyper imprévis­i­ble. C’est ma vie qui a fait que j’ai du me pro­téger des gens. Je suis une éponge qui a beau­coup don­né mais désor­mais, je me préserve et je con­sacre mon énergie aux gens qui en ont vrai­ment besoin. » 

Sa musique lui per­met de démon­tr­er qui elle est vrai­ment : « Les gens me dis­ent sou­vent t’as l’air super enjouée et pour­tant t’es triste dans tes sons. Mais ceux qui rigo­lent le plus dans une journée, ce sont ceux qui pleurent le soir. Je ne serai jamais dans une lumière totale et c’est quelque chose que j’ai com­pris très tôt dans ma vie. Accepter qui on est, c’est com­mencer à se soign­er et aller de l’avant. » 

« Cobalt » en est la preuve. Démar­ré en jan­vi­er 2021, le pro­jet reflète ses éner­gies du moment où elle s’enfermait avec Shel­don de 9 h 30 à 4 h du matin en stu­dio : « Faire un truc solaire avec Shel­don, c’était com­pliqué. On fonc­tionne beau­coup à l’instinct et a ce qu’on ressent sur le moment. C’était une péri­ode un peu com­pliquée de ma vie. Je voulais que les gens com­pren­nent ma sen­si­bil­ité. Je suis une per­son­ne très triste et je ne veux pas cacher ça. »

« J’ai besoin de met­tre des choses trash en mot pour avancer. J’ai besoin qu’on com­prenne que j’ai vécu des choses com­pliquées et que cer­tains se recon­nais­sent. »

- Zinée

Une volon­té de ne pas cacher mais aus­si de ne pas embel­lir la réal­ité dans ses morceaux : « J’aime bien le gore. Quand j’ouvre l’EP par : « J’avais 18 agrafes dans la gorge », c’est que je me suis vrai­ment fait opér­er de la gorge. J’ai besoin de met­tre des choses trash en mot pour avancer. J’ai besoin qu’on com­prenne que j’ai vécu des choses com­pliquées et que cer­tains se recon­nais­sent. Ça m’au­rait fait du bien plus jeune des gens qui dis­ent les choses telles qu’elles sont. »

Très pudique et après avoir tra­ver­sé des années où elle a « tout per­du très très vite », dont plusieurs proches d’affilée, notam­ment son père, elle tient aujourd’hui à s’entourer de per­son­nes qui lui sont chères : « Pour moi, chaque per­son­ne qui m’entoure col­la­bore avec moi. Zinée, c’est plusieurs gens. Avec Shel­don, on a un lien très frater­nel. Tous ceux qui font par­tie du pro­jet se sont autant impliqués. » Lorsqu’elle évoque ses fea­tur­ings, l’artiste ne cache pas son admi­ra­tion : « Sean, c’est un mor­du de tra­vail. Il faut trop rid­er avec des gens comme ça. M Le Mau­dit, c’est mon sang. Pour moi, c’est un humain pré­cieux. Je le mets dans une petite ver­rière avec une petite clé. »

Avant la sor­tie de son EP, Zinée s’est fait tatouer « Cobalt » sur la main droite, his­toire de mar­quer à jamais ce que la vie lui a pra­tique­ment offert : « Moi, je l’ai tou­jours dit. Si dans un an je dois retourn­er tra­vailler, je suis con­tente que Dieu m’ait lais­sé vivre ce que j’ai vécu. Si demain tout s’arrête, je suis très heureuse. Après, si le rêve peut con­tin­uer, on con­tin­ue. » En atten­dant de voir ce que les étoiles ont de nou­veau prévu sur son chemin, Zinée espère ne pas décevoir son pub­lic avec « Cobalt » : « Je préfère avoir 10 000 per­son­nes qui m’écoutent que 100 000 qui ne me suiv­ent que pour une seule musique et qui n’écoutent pas le reste. Je veux rester fidèle à ce que je suis. C’est comme un mag­a­sin, si tu y vas pour du choco­lat et que le lende­main il vend du matériel pour le ciné­ma, tu ne reviens pas chez lui. » Lorsqu’on lui soumet l’idée qu’un jour, peut-être, elle devra ven­dre autre chose que du choco­lat, Zinée sourit mali­cieuse­ment : « Tinquiète pas pour ça. »

La création de la pochette

Décou­vrez la réal­i­sa­tion de la cov­er du pro­jet « Cobalt » par Bouher­rour racon­tée par Zinée, en cli­quant sur les ani­ma­tions sur la cov­er de « Cobalt » juste en dessous. Vous pou­vez égale­ment activ­er le son pour mieux prof­iter de l’expérience. Cli­quer en bas de droite pour met­tre en plein écran.

Retrou­vez « Cobalt » de Zinée dans la MOSA’Hit : le meilleur du rap fran­coph­o­ne playlisté par la rédac­tion de Mosaïque. Abon­nez-vous pour ne rien rater des nou­velles sor­ties. Disponible sur Spo­ti­fyDeez­er et YouTube.

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