La conquête du trône du rap anglais ne se limite pas qu’aux frontières du Royaume-Uni. Par-delà les contrées lointaines, de nouveaux prétendant.e.s embarquent à bord de leurs radeaux pour se disputer la possession du siège royal. Et parfois… la menace peut venir des terres conquises. Dans la banlieue sud-est de Londres, la rappeuse Flohio renverse les codes établis du grime en mélangeant les styles dans un genre unique et part à l’abordage de la couronne.
Started from the bottom
Funmi Ohiosumah est une jeune nigérienne originaire de l’état de Lagos. L’année de ses huit ans, elle emménage dans la banlieue sud-est de Londres, Bermondsey. Avant de poser le pied sur les terres royales, Flohio est bercée par les affinités musicales de ses parents qui font notamment résonner la musique de Stevie Wonder. Cependant, elle se découvre un plaisir pour les productions hip-hop, lorsque les vibes de Chipmunk, Lauryn Hill ou encore 50 Cent lui parviennent aux oreilles. Le déclic se produit lors de sa première écoute de l’artiste britannique Eve. Un véritable coup de cœur auditif. La jeune MC se met à développer sa culture rap, se passionne pour le genre et commence à gratter ses premiers brouillons. Elle s’inscrit dans un club jeunesse depuis lequel elle commence à enregistrer quelques morceaux.
Son indéniable talent attire l’attention du Guardian et Dazed & Confused, journaux à la résonance importante outre-Manche. Ses collaborations avec des artistes comme Clams Casino et Modeselektor lui offrent une visibilité nouvelle, ponctuée par un éloge de Naomi Campbell. La mannequin la présente alors comme « l’une des dix femmes qui changent notre futur ».
Flohio semble en tout cas déjà bien partie pour changer le futur du grime. Elle incarne ce combo imprévisible mêlant grime métallique, techno industrielle et hip-hop traditionnel. Un style construit par des inspirations issues du Vieux et du Nouveau-Continent, à l’instar de Trippie Redd, 21 Savage ou encore Chip. La figure féminine iconique du hip-hop, Missy Elliott, n’est également jamais très loin dans son esprit lorsqu’elle pose les fondations de ses futures œuvres.
Sa majesté le rap : Chip, précurseur du grime
Les deux premiers EP de Flohio, « Nowhere Near » et « Wild Yout », posent les premiers piliers d’une création en pleine construction. Sorti en 2016, le premier EP laisse entrer la lumière sur l’artiste nigérienne, permettant au monde de la découvrir. Son expression artistique se caractérise par un amalgame de courants, rendant la production unique en son genre. Par son œuvre, elle souhaite exprimer son ressenti sur la société qui l’entoure, mais également se mettre à la place des autres et leur donner une voix. Une profondeur de réflexion qui tend au paradoxe lors de ses représentations, tant elle contraste avec la fougue qui ressort de ses clips et performances. En 2020, son premier projet « No Panic No Pain » concrétise et matérialise une profusion artistique débordante.
Tea time
Début février 2021, la célèbre chaine YouTube COLORS propose à l’artiste anglo-nigérienne de suspendre le temps, en même temps que le micro, une deuxième fois. Cette fois-ci, elle performe Flash, le quatrième track de son dernier projet. La première fois, elle s’était révélée grâce à Bands, l’un de ses premiers singles.
Publié le 31 janvier 2018, la vidéo totalise aujourd’hui 610 000 vues. Coup d’éclat important, il s’agit d’un fer de lance médiatique bénéfique pour la jeune MC. Elle l’admet elle-même dans un entretien pour Yard : « [La vidéo Colors] a changé des choses, ça a été un grand moment c’est vrai. Cela a ouvert une toute nouvelle perspective pour moi. » Une performance qui lui vaut même la comparaison avec l’artiste anglaise émérite, M.I.A.
The crown jewels
Sorti tout droit de la fournaise cérébrale de l’artiste londonienne, « No Panic No Pain » pourrait laisser certains aficionado.a.s sur leur faim. Par moments, le projet génère de la frustration chez l’auditoire, tant sa timidité rythmique ne colle pas avec l’œuvre originelle de Flohio. Un récit teinté de nostalgie : un retour aux sources dans sa banlieue sud de la capitale anglaise. La réussite d’un premier projet guidé par les textes lyriques de l’artiste. Les collaborations donnent également du relief au projet puisque Flohio s’associe aux producteurs Cadenza et Fred again.., ayant déjà œuvré sur les albums d’Ed Sheeran, Jorja Smith ou encore Stormzy.
Cover de la mixtape « No Panic No Pain ». Crédit : DR.
Au détriment d’une histoire fictionnelle, Flohio raconte la chronologie de sa vie d’artiste, s’attardant sur les points sombres de son existence. La frénésie de sa vie de succès s’accompagne de son lot de troubles et d’instabilité. Une dichotomie entre la présence permanente du soutien de ses fans et l’absence continue de certains proches disparus. Néanmoins, la résilience est le maître mot de cette confession musicale : la nécessité de garder un calme et un sang-froid olympien pour gérer les aléas rencontrés. « No panic, no pain (…) more hype, more rage », se lit sur ses lèvres dans le deuxième morceau Unveiled de sa mixtape. Une belle synthèse de l’esprit qui anime l’enfant de Lagos. À maintes reprises, Flohio déclare vouloir devenir « iconic ». Sa réussite sera de laisser un héritage pour les jeunes générations à venir. Elle souhaite ainsi que les plus jeunes voient en elle un modèle d’inspiration et d’aspiration. Une figure que l’on admire, le regard fixé en direction du ciel. Une reine, tout simplement.