Les stories du rappeurs, suivies par des centaines de milliers d’abonné.e.s, ont accru sa notoriété. Publiées quotidiennement, ces vidéos ont permis de modifier l’image du rappeur dur et revendicateur qui lui collait à la peau depuis ses débuts. Son dernier album, sorti le 6 novembre 2020, est l’aboutissement de ce changement de façade.
Le fils ainé est posé dans un coin du canapé, l’œil rivé sur son téléphone. Sa sœur cadette est affalée sur le grand lit au centre de la pièce. Le benjamin se cache dans les jambes de son père, le regard suspicieux. Le papa en question ? Médine, rappeur de 38 ans, la carrure d’un boxeur, le sourire éclatant et le dégradé parfait. Le Havrais reçoit au naturel dans l’intimité de la chambre d’hôtel d’un quatre étoiles du XIe arrondissement de Paris. À l’approche de la sortie de son sixième album studio, « Grand Médine », en novembre dernier, il fait la tournée des médias entouré des siens.
La famille est réclamée tous azimuts. Chaque plateau télé, chaque émission sur le web, préfère avoir la petite tribu au complet. Décontractée, souriante, drôle, elle incarne pour de nombreux.ses abonné.e.s l’archétype d’une famille modèle.
Depuis quatre ans, presque chaque jour, Médine enregistre quelques minutes de sa vie quotidienne pour les publier en story. « Ce n’est pas ma life H‑24, mais c’est assez représentatif de mon quotidien, affirme le rappeur. Il y a beaucoup de présence familiale, de discussions amusantes et de sourires. »
Cela plaît en tout cas à ses milliers d’abonné.e.s qui suivent ses aventures. « Je ne connaissais absolument pas Médine pour son rap avant qu’il ne soit aussi populaire sur Insta », avoue Lucie, une abonnée parmi les autres. Beaucoup sont dans le même cas. D’après HypeAuditor, un site qui mesure l’évolution du nombre d’abonné.e.s des comptes Instagram, c’est en 2018 que le compte @medine_officiel commence à amasser les followers. Soit deux ans après avoir commencé les stories familiales. En deux ans, le nombre de personnes qui le suivent sur le réseau social a été multiplié par dix-huit. Il passe d’environ 35 000 supporter.trice.s à 630 000 en avril 2021.
Pourtant, Médine rappe depuis une vingtaine d’années. Ses sept albums studio en plus des mixtapes et des EP ont fait sa réputation. À ce jour, pas de certification, mais une crédibilité et un succès d’estime depuis ses débuts. Médine fait partie des grands du mouvement, de ceux qui durent sur la scène rap française.
Tout commence au Havre (Seine-Maritime). Médine Zaouiche y naît en 1983, de parents d’origine algérienne. Il est l’ainé d’un frère et d’une sœur avec qui il grandit dans différents quartiers de la ville. Du secteur du bois de Bléville et ses tours bicolores, aux barres d’immeubles de Mont-Gaillard. Son père, Abdel Zaouiche, est employé dans diverses sociétés. Il s’occupe par exemple de l’emballage et de l’expédition de pièces industrielles. Il est aussi entraîneur de boxe. Sa mère est vendeuse dans un magasin de chaussures, puis dans une supérette avant de devenir assistante maternelle sur le tard.
Déménager par amour
Aujourd’hui, « la majeure partie de ma famille vit au Havre : oncles, tantes, cousins, cousines, grand-mère… J’ai donc un gros attachement à cette ville », confie le rappeur. Les mêmes cousins et cousines participent d’ailleurs à l’élaboration de ses premières vidéos. La caméra du père de Médine en mains, le petit groupe monte un premier clip au caméscope. Des « gros dossiers », raille le rappeur. Comme cette reprise du générique de l’animé Olive et Tom, ou cette cover du morceau Ain’t no mountain high enough, classique de Marvin Gaye. « Mes cousins et cousines n’assument pas la vidéo aujourd’hui, se moque Médine de sa grosse voix. Pourtant on était des précurseurs, on faisait des stories avant l’existence même d’Instagram. »
Crédit : Thomas Guichard.
C’est dans ces mêmes quartiers havrais qu’il rencontre ses ami.e.s avec qui il rappe depuis. « Quand on était petit, on habitait à un bâtiment d’écart, se souvient Brav, artiste, ancien backeur et infographiste de Médine. On s’était dit que quand on serait grands on habiterait dans la même maison. » Si les deux compères ne vivent pas sous le même toit aujourd’hui, ils sont toujours amis. Ils se voient régulièrement et travaillent encore ensemble. « On a tenu notre promesse », sourit-il.
Le franco-algérien déménage ensuite « par amour », pour se rapprocher de sa compagne qui vit alors dans une autre partie de la commune. « Mais toujours dans les quartiers, jamais en centre-ville ou en bord de mer », regrette-t-il. L’histoire du couple commence bien des années avant, en 1997. Il rencontre Karinale, une lycéenne d’origine laotienne de deux ans son ainée, à la bibliothèque. Il tombe amoureux. Un an après, il.elle.s décident de se mettre ensemble.
Les années passent. Médine obtient un baccalauréat technologique sciences et technologies tertiaires (STT) informatique et gestion (devenu sciences et technologies de la gestion, STG, NDLR). « Je n’ai pas poursuivi car je savais que je voulais faire du rap plus que tout. » Avant son premier album, « 11 septembre, récit du 11e jour », sorti en 2004, il est chargé de communication au sein du label Dîn Record qui finira par le produire en tant qu’artiste. « Puis, ma carrière a commencé à se développer, j’ai pu économiquement arrêter mon taff au label et me consacrer à 100 % au métier d’artiste », se rappelle l’interprète.
Médine et ses trois enfants : Massoud, Mekka et Genghis. Crédit : Thomas Guichard.
Ses premiers disques trouvent leur public. Médine y pratique un rap dit « conscient » et « engagé ». « Provocateur », pour l’extrême-droite. Ses textes mêlent engagement politique et dénonciations sociales. Avec son deuxième album, « Jihad, le plus grand combat est contre soi-même », il se fait un nom dans le milieu du rap français.
Plusieurs polémiques ont d’ailleurs éclaté ces dernières années. Marine le Pen, s’était offusquée de l’organisation d’un concert de Médine au Bataclan. « Aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies sur le lieu même du carnage du #Bataclan. La complaisance ou pire, l’incitation au fondamentalisme islamiste, ça suffit ! », avait tweeté la présidente du Rassemblement national. Le député européen Brice Hortefeux, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, avait de son côté déclaré que « ce monsieur devrait aller exercer son absence de talent ailleurs. » La dernière en date ? La députée LREM Aurore Bergé l’ayant qualifiée de « rappeur islamiste ». Il a porté plainte en diffamation contre elle le 23 février 2021 et confiait à Mediapart : « C’est la fois de trop. J’attends une condamnation et des excuses publiques. » Pendant une petite dizaine d’années, Médine continue de développer son personnage et son rap, malgré les critiques. Il renforce sa fanbase… jusqu’au divorce.
« Virage à 180 degrés »
Avec « Protest Song », sorti en 2013, le rappeur vit une traversée du désert. « Ce nouvel opus est celui du changement, que certains n’attendaient plus et que d’autres devaient redouter », chroniquait à l’époque l’Abcdr du son. Le changement arrive après cet album : « C’était soit je continue à m’enfermer dans une caricature de moi-même, et de faire de cette image-là mon fonds de commerce… Soit, je décide de faire face à mes doutes et je les expose publiquement. »
Cover de l’album « Protest Song ».
Le déclic survient en 2015. Un certain 13 novembre. Si les attentats du 11 septembre ont marqué le Havrais, ceux du Bataclan l’ont choqué. « En 2001, j’étais ado, mon engagement se faisait en réaction à un contexte de climat islamophobe lié aux attentats du 11 septembre, à la guerre en Irak et en Afghanistan… Je vivais certains engagements par procuration, abonde Médine, soudain sérieux. Mais en 2015, c’est la désidéalisation de tout ce en quoi je croyais. Cette année chargée en événement sur le territoire français a requestionné le sens de mes engagements. J’ai opéré un regard critique sur moi-même. » Charlie, le Bataclan. Puis une remise en question philosophique, artistique, spirituelle et personnelle.
Le rappeur prend alors un virage à 180 degrés. Il embrasse le courant de la trap, et délaisse le boom bap. « Sans mauvais jeu de mots, c’était soit je me mettais à la trap soit je passais à la trappe », blague-t-il. « Médine dit souvent que la trap a sauvé le rap. La trap a surtout sauvé son rap à lui », confirme Alassane Konaté, 43 ans, producteur du rappeur depuis ses débuts. Aujourd’hui, Médine dit même s’inspirer de jeunes artistes comme, entre autres, Soso Maness, YL, PLK, Hatik ou encore Koba LaD.
Au même moment, il commence à se mettre davantage en avant sur les réseaux sociaux, notamment Instagram. Il suit l’exemple de Booba, qui, selon lui, a participé à décomplexer les rappeur.se.s concernant leurs vies privées. Il invite alors ses enfants sur des morceaux. Les trois sont présent.e.s sur Barbapapa, l’un des morceaux du dernier album de l’Arabian Panther.
Le lyriciste nie qu’il s’agit d’une stratégie censée fédérer un nouveau public. Pour lui, c’était même une « contre-stratégie », car ni son équipe, ni son public, ne validait ce choix. Le label Dîn Record pointe avant tout un danger sécuritaire.
Cible de l’extrême-droite et de Daesh, Médine mettrait sa famille en danger en s’exposant sur Instagram. « Au début, je n’étais pas trop pour, concède Karinale, sa femme. Puis quand j’ai vu que ce qu’il publiait n’était pas du “fake”, que c’était drôle et représentatif de ce qui se passe chez nous, j’ai arrêté de voir le mauvais côté. »
Transformation physique
À chaque repas dominical, le père de Médine lui susurre à l’oreille de reprendre le sport. Il a le déclic en 2016 et se rend à la salle jusqu’à deux fois par jour. « Je ne sais pas si c’est ma transformation physique qui a fait que je ne voulais plus m’afficher sur les réseaux sociaux ou si ce sont les réseaux sociaux qui ont fait que physiquement je ne me sentais pas présentable, instagramable. Et que du coup cela m’a motivé », se questionne-t-il encore.
À coté de son métier d’artiste, il est président du club de boxe de la Don’t Panik Team, basé au Havre, où s’entraînent son père et son frère. Il salue le travail local qu’a fait Édouard Philippe, le maire de la ville, dans les domaines de la culture et du sport, mais il ajoute ne pas se sentir concerné par les personnages politiques au niveau national. « Je m’intéresse à ceux qui ont des positions internationales, notamment sur le manquement aux droits de l’homme. » Il suit par exemple le compte Instagram de Raphaël Glucksmann qui milite pour les droits des Ouïghour.e.s.
Grâce à une remise en question permanente, Médine apprend à durer sur la scène rap française, conscient que rien n’est jamais acquis. Sur F.A.Q, morceau de son dernier album, le rappeur chante un air qui lui va si bien : « Demandez-moi à quoi je pense, me réinventer souvent. Y’a que le poisson mort qui nage dans le sens du courant. »