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Flo­ri­an Huvi­er est jour­nal­iste pour BFMTV au pôle vidéo et web. Depuis le mois d’avril 2019, il s’in­téresse chaque semaine à un rappeur français émer­gent dans son émis­sion « Tu con­nais ? ». À 24 ans, il fait par­tie de la jeune généra­tion qui invite l’u­nivers du rap à la table des médias général­istes. Alors que BFMTV cherche à se faire sa place sur les réseaux soci­aux, il en prof­ite pour pro­pos­er à sa rédac­tion d’animer une chronique web heb­do­madaire pour par­ler rap. L’émis­sion : « Tu con­nais ? » est née. La règle est sim­ple : présen­ter des rappeurs fran­coph­o­nes qui mon­tent en puis­sance. La place est réservée aux artistes n’ayant pas encore décroché de disque d’or. Depuis la pre­mière émis­sion sur le groupe 13 Block, vingt autres épisodes ont été tournés.

Com­ment es-tu par­venu à impos­er une émis­sion rap heb­do­madaire sur le web à BFMTV ? 

BFM à la télé n’a pas une bonne image auprès des jeunes. Il fal­lait donc trou­ver quelque chose qui les intéresse sur le web. Quand j’ai pro­posé le pro­jet, le rap était déjà la musique la plus écoutée en France mais les médias n’en avaient pas encore con­science. À la rédac­tion, il y avait de plus en plus de trente­naires qui con­nais­saient, mais qui n’écoutaient pas forcément.

J’étais le seul à avoir la ving­taine et à pou­voir com­pren­dre ma généra­tion. Ils m’ont fait con­fi­ance. Ce qui me plaît, c’est de pou­voir choisir libre­ment l’artiste dont je vais par­ler. Quoi qu’il arrive, je suis le seul à par­ler rap à la rédac­tion donc per­son­ne ne va débar­quer avec un artiste peu con­nu et me dire : « Tu vois, là, celui-là, tu devrais en faire quelque chose » (rires). C’est impossible.

 

 

Com­ment par­ler rap lorsqu’on est un média généraliste ? 

Je ne veux pas m’inventer spé­cial­iste du rap. Il y a des gens beau­coup plus calés. Mon objec­tif, c’est de don­ner des pistes assez larges pour ouvrir le rap à un autre pub­lic. L’émis­sion reste plutôt des­tinée aux jeunes, ce qui explique qu’elle soit aus­si dif­fusée sur Snapchat (tous les samedis à 10h, ndlr).

J’es­saye de faire quelques références à ceux qui sont déjà fans de rap. Le délire de la chaise, c’est un petit clin d’œil à Hatik sur lequel j’ai fait un épisode. Je l’ai décou­vert avec sa mix­tape « Chaise pli­ante ». Au moment de con­cevoir l’émission, j’ai pen­sé à lui.

 

J’avais des com­men­taires du genre « BFMTV qui fait du Booska‑p ». J’ai l’étiquette d’un « jour­nal­iste de télé » alors for­cé­ment ça passe moins bien.

 

Sur l’épisode de 100blaze, il y a eu de nom­breuses réac­tions sur Twit­ter. On te com­para­it à Nico Colom­bi­en de chez Booska‑p qui va à la ren­con­tre d’artistes promet­teurs dans l’émis­sion  « Wesh » . A‑t-il été une source d’inspiration ?

Hon­nête­ment, avant 100Blaze, je ne con­nais­sais pas le con­cept du « Wesh ». Je regarde leur JDR (Jour­nal du rap, ndlr) mais je ne con­nais­sais pas le tra­vail de Colom­bi­en. Je m’y suis intéressé parce que je ne com­pre­nais pas pourquoi est-ce que dans mes men­tions Twit­ter j’avais des com­men­taires du genre «BFMTV qui fait du Booska‑p ». Main­tenant, je com­prends mieux les réac­tions. J’ai l’étiquette d’un « jour­nal­iste télé », alors for­cé­ment ça passe moins bien.

La dif­férence avec le « Wesh », c’est qu’il ren­con­tre l’artiste, con­traire­ment à moi qui en fait une présen­ta­tion suc­cinte en deux min­utes. La per­son­ne qui gère le dig­i­tal m’a sug­géré d’aller moi aus­si ren­con­tr­er les rappeurs mais j’ai refusé parce que ce serait vol­er le con­cept du « Wesh ». Et puis Booska‑p s’adresse à un pub­lic qui écoute du rap. L’au­di­ence de BFMTV est très dif­férente. Les trois quarts des mes­sages que je reçois, ce sont des mes­sages en mode : « Pourquoi vous par­lez de ça, lais­sez-moi avec John­ny Hal­ly­day » (rires).

 

Cer­tains inter­nautes te pro­po­saient un octo­gone avec Colom­bi­en, tu es chaud ?

Je suis sûr de le gag­n­er (rires). Je rigole, il a l’air gen­til en plus.

 

 

His­torique­ment par­lant, la chaîne a un rap­port con­flictuel avec cette cul­ture. Alors, con­stater que BFMTV prof­ite désor­mais de l’es­sor du rap peut paraître assez oppor­tuniste, non ?

Cette rela­tion con­flictuelle est d’ailleurs tou­jours d’ac­tu­al­ité. Dernière­ment, ils ont fait un reportage qui a fait beau­coup réa­gir sur le rap et l’orthographe. Alors oui, c’est prob­lé­ma­tique, mais à mon échelle, je ne peux mal­heureuse­ment pas y chang­er grand-chose. Per­son­nelle­ment, je ne tra­vaille pas pour la chaîne télé mais pour le site web.

Pour l’anec­dote, la semaine avant le reportage, j’avais presque calé des inter­views avec les jour­nal­istes de l’Abcdrduson pour la sor­tie de leur livre, L’Obsession Rap. J’avais eu Raphaël Da Cruz au télé­phone qui était par­tant. Je pars en vacances et le reportage tombe. À mon retour, je le rap­pelle et il m’ex­plique qu’ils ont finale­ment décidé de ne plus faire l’interview. Il ne m’a pas dit pas pourquoi, mais j’ai com­pris que c’était en par­tie pour ça. Hon­nête­ment, je les com­prends totale­ment. L’im­age de BFM est rat­tachée à ce qu’elle pro­pose à la télé.

 

Il y a un mépris évi­dent pour la rap à la télé. 

 

Peut-on dire qu’il y a un cer­tain mépris des médias télé pour le rap en France ? 

Il y a, bien sûr, un mépris évi­dent pour le rap de la part de la télé en général. Ce n’est pas leur généra­tion. Les seuls rappeurs dont la télé par­le c’est Bigflo & Oli (rires). De manière générale, il y a des sujets sur des artistes émer­gents comme Pomme, Maëlle ou Suzanne qui ont été nom­mées aux Vic­toires de la musique. Mais les artistes que je présente sont tout aus­si légitimes. Pour­tant, ils n’y sont pas.

 

Depuis quelques années, les médias général­istes com­men­cent à s’intéresser dif­férem­ment au rap. Com­ment expliques-tu ce changement ? 

Un média comme BFMTV n’a pas à être avant-gardiste. Il suit l’actualité. Je com­prends que l’on puisse reprocher à la télé d’avoir été médis­ante, mais les clichés com­men­cent à dis­paraître. Ceux qui intè­grent la rédac­tion sont de plus en plus ouverts à cette musique. Le rap com­mence à être respecté.

 

Quand tu es jour­nal­iste et que tu ne vois plus que toi, tu n’ap­prends plus rien. 

 

Le manque de diver­sité sociale que l’on peut observ­er par­mi les jour­nal­istes n’est-il pas le pre­mier respon­s­able de ce rap­port cliché au rap ? 

Totale­ment. Ce sont des gens du même milieu qui se côtoient. Ils passent telle­ment de temps ensem­ble qu’ils finis­sent par ne voir plus qu’eux. Quand tu es jour­nal­iste et que tu ne vois plus que toi, tu n’apprends plus rien. Le principe même du jour­nal­isme, c’est d’être le reflet de la société.

Quand le rap est arrivé, c’était un moyen pour les chaînes d’info de faire un sujet sur les ban­lieues. C’était déjà une forme d’entre-soi. Il y a peu de jour­nal­istes qui vien­nent de ban­lieues par exem­ple. Il y a un prob­lème quelque part.

Pro­pos recueil­lis par Lise Lacombe.

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