Mosaïque

Par Jules Careau et Robin Spiquel

Cinq morceaux inédits de Népal vien­nent d’être dévoilés. Le rappeur avait déjà prévu la suite musi­cale de son pre­mier album Adios Bahamas, sor­ti en Jan­vi­er. La 75e Ses­sion a ain­si envoyé les derniers morceaux qui vien­nent con­clure la discogra­phie de l’artiste défunt.

Dans une époque où l’œuvre musi­cale des rappeurs défunts est bien trop sou­vent mise au ser­vice du mar­ket­ing et du busi­ness (les derniers albums de XXXTenta­cion en témoignent), le label under­ground parisien a décidé de suiv­re à la let­tre la direc­tion artis­tique de Népal qui comp­tait sor­tir ses morceaux indi­vidu­elle­ment, afin de faire patien­ter le pub­lic. Pas de com­pi­la­tions best-of, d’album posthumes ou de feats imag­i­naires, les morceaux ont été pub­liés un à un, comme le souhaitait Clé­ment Di Fiore aka Népal. 

Népal a lais­sé der­rière lui un album, des clips, des sin­gles et plein d’autres pro­jets qu’il souhaitait men­er à bien. On con­nais­sait le plan jusqu’ici, on a choisi de le suiv­re à la let­tre pour ne pas trahir sa volonté.

75E SESSION.

La vibe lo-fi propre au style de Népal

La mélan­col­ie et l’émotion de ses textes sont l’un des atouts majeurs de Népal, en témoigne son pre­mier grand suc­cès avec le morceau lunaire Rien d’Spécial. Le rappeur s’est aus­si démar­qué par son cachet musi­cal, son flow doux et ses ambiances « chill » aux sonorités lofi qui éma­nent de nom­breux de ses morceaux. Le titre Ched­dar ne déroge pas à la règle. L’in­stru­men­tale groovy et min­i­mal­iste com­posée d’une mélodie à la gui­tare sèche et d’une ryth­mique boom-bap, se mari­ent par­faite­ment avec le calme de Népal. Telle une balade, le rappeur dépose sa plume sur la douceur de la com­po­si­tion de Willy H.O.G et Shel­don. Il y prône la com­bat­iv­ité, l’éveil intel­lectuel et l’ou­ver­ture d’e­sprit, face aux « chaînes » de la société et de la bien-pensance. 

Y a un espoir tant qu’on avance, tant qu’il restera une pen­sée con­traire à la dom­i­nante, tant qu’on pour­ra s’élever spir­ituelle­ment échap­pant aux forces abominables.

Népal : Ched­dar
Cov­er du sin­gle : Ben­ji.

Ben­ji, le dernier extrait pub­lié, rejoint la vibe lo-fi affec­tion­née par Népal. L’art­work représente une chrysan­thème, fleur sym­bole d’im­mor­tal­ité au Japon, pays chéri par Népal auquel il rend hom­mage à de très nom­breuses repris­es sur ses pro­jets. Sur une prod chaleureuse pro­duite par Dia­bi (« LEV », « Adios Bahamas », « UMLA »…), Népal con­clut sa discogra­phie avec un morceau empli d’e­spoir et de pos­i­tiv­ité. Les lyrics du morceau con­cor­dent avec celle de Ched­dar : s’ex­tir­p­er du sys­tème, s’é­manciper et obtenir une liasse de Ben­ji, en référence à la fig­ure de Ben­jamin Franklin présent sur les bil­lets de cent dollars. 

Crédit : cap­ture écran du clip de Ben­ji.

Le sin­gle est accom­pa­g­né d’un clip tourné dans les décors par­a­disi­aques du Sri Lan­ka et répond au désir de Népal de s’éloign­er et par­tir vivre au bord de la mer : « Après le rap j’i­rai faire du surf » (la phrase postée sur le compte Insta­gram de l’artiste après l’annonce de son décès, ndlr). Le morceau aurait d’ailleurs dû faire par­ti d’« Adios Bahamas », comme Dia­bi l’a expliqué dans un tweet.

Retour aux sources du flow KLM 

Le pre­mier morceau dévoilé, Dans le fond, est un banger nou­velle généra­tion dans lequel Népal s’amuse en enchaî­nant des mesures avec une aisance décon­cer­tante. Tan­tôt aérien sur le refrain, tan­tôt rapi­de et sec sur l’unique cou­plet, il manie un texte épais, presque indéchiffrable à la pre­mière écoute.

Avec cette propo­si­tion inno­vante, le rappeur insiste une fois de plus sur l’originalité de sa démarche dans le rap français. Quand la majorité des rappeurs suiv­ent les règles dic­tées, lui préfère rester Dans le fond, pour con­stru­ire son pro­pre univers.

Pour ren­forcer cette atmo­sphère, KLM a fait appel à ses « gars lax­istes » pour le réal­i­sa­tion d’un clip futur­iste qui n’est pas sans rap­pel­er celui de Niveau 1, réal­isé en 2017 par le même col­lec­tif. L’outro de la vidéo, mon­trant une cabane au milieu d’une île déserte, fait quant à elle référence à l’univers d’« Adios Bahamas » et au clip du titre Ben­ji, paru ven­dre­di. Comme si ce titre était le lien entre les dif­férents projets.

Extrait du clip Dans le fond, de Népal.

Mer­cre­di 30 sep­tem­bre, la sor­tie du titre Coach K a redonné le sourire aux nos­tal­giques du Grand­mas­ter Splin­ter, découpeur d’instrumentales. Avec ce titre très rap­pé, Népal rap­pelle qu’il n’a plus rien a prou­ver dans l’art du kick­age et pro­pose même de coach­er tout ceux qui n’ont pas les bases.

La fig­ure du coach n’est pas choisie au hasard. « Coach K » fait référence à Mike Krzyzews­ki, entraîneur mythique de l’équipe de bas­ket­ball Blue Dev­ils de Duke, aux États-Unis. Népal se présente donc comme coach KLM, plus con­nu sous le nom de Grand­mas­ter Splin­ter. La cov­er n’est en effet pas anodine. Elle représente Splin­ter, le men­tor et le père spir­ituel des Tortues Nin­ja. Une fig­ure qu’il util­i­sait déjà dans la série de trois titres « Med­leys Grand­mas­ter Splin­ter », pub­liée entre 2012 et 2014.

Cov­er du titre Coach K.

Dans le titre Même vie, paru jeu­di 1er octo­bre, Népal revient avec un flow plus nuageux sur une instru­men­tale planante. Il décrit dans ce son l’antagonisme de nos sen­ti­ments, pou­vant pass­er d’un extrême à un autre. Pour lui, même si l’amour et la haine peu­vent nous déchir­er, ils nous rap­prochent mal­gré tout car ils font de nous des être humains.

Un texte touchant, accom­pa­g­né d’un visuel en forme de man­dala, réu­nis­sant dif­férents élé­ments con­sti­tu­tifs de l’univers Népal. On y retrou­ve par exem­ple un micro, un sabli­er ou encore la porte de Torii en référence au Japon.

Crédit : Dylan Mar­tin Treadwell.

Un dernier au revoir

Ces cinq sin­gles étaient cen­sés être une tran­si­tion vers la suite, juste quelques morceaux pour vous faire patien­ter. On a choisi de les sor­tir tous d’un coup. Mal­heureuse­ment, la vie a fait que ce sera les derniers. »

75e ses­sion.

Cette démarche témoigne du respect du col­lec­tif pour leur ami. Ils pour­suiv­ent ain­si son œuvre sans en per­ver­tir sa logique artis­tique au prof­it d’un quel­conque busi­ness. La mort d’un artiste rime en effet aus­si avec la mort de sa sci­ence et de sa façon de penser, sa musique. Le rappeur peut donc par­tir en paix. « Népal s’arrête ici, mais ce qu’il a à nous apporter est infi­ni… », con­fie la 75e Session. 

Salut l’artiste.

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