Mosaïque

De strip-teaseuse à rappeuse, il n’y a qu’une danse. Une nou­velle mou­vance d’artistes améri­caines bous­cule la place de la femme dans le rap. Véri­ta­ble sym­bole d’un mou­ve­ment fémin­iste, elles prô­nent et banalisent une sex­u­al­ité affir­mée et affranchie. Avides de lib­erté dans un milieu haute­ment mas­culin, bien­v­enue dans la généra­tion « Demon Time ».

 

« Hips Tik­Tok when I dance. On that Demon Time she might start an Only­Fans », scan­de Bey­on­cé lors de sa dernière col­lab­o­ra­tion très atten­due avec Megan Thee Stal­lion sur le remix du titre Sav­age. L’engouement autour du fea­tur­ing n’a pas tardé à se faire sen­tir. La men­tion d’Onlyfans, dev­enue l’une des plus grandes plate­formes de dif­fu­sion de con­tenu pornographique, a d’ailleurs entrainé une hausse d’activité de 15 % sur le site. Des mil­lions d’internautes sur l’application Tik Tok ont ensuite repris la choré­gra­phie créée spé­ciale­ment pour le morceau. 

Alors que le titre proclame que les femmes peu­vent être aus­si bien class­es, snobs que légère­ment « pétass­es », l’indignation aurait pu être totale. À l’inverse, Bey­once et Megan Thee Stal­lion expri­ment une nou­velle forme d’empow­er­ment des femmes. Elles empor­tent avec elle une généra­tion d’artistes, qui n’hésite pas à pren­dre sa sex­u­al­ité à bras le corps et à l’exposer. La lev­ée de tabou par les rappeuses sur les danseuses et l’univers des strip clubs par­ticipe notam­ment à cette émancipation.

 

Doja Cat et Megan Thee Stal­lion pour la sor­tie de la Bande Orig­i­nale de « Birds Of Prey ».

 

Car­di B en est cer­taine­ment l’incarnation la plus aboutie. Icône con­tro­ver­sée, elle porte haut les couleurs d’une sex­u­al­ité débridée et choque autant qu’elle provoque. Des bar­res de pole dance à la scène de Coachel­la, elle est dev­enue l’emblème d’une ascen­sion musi­cale et sociale qui attire les regards. Si con­traire­ment à Car­di B, elle n’a pas un passé de strip-teaseuse, Nic­ki Minaj s’inscrit dans cette lignée en reprenant tous les codes de l’univers du strip.

Elles incar­nent ain­si les fig­ures d’un mou­ve­ment qui a fait naître une nou­velle généra­tion représen­tée par Doja Cat, City Girls, Ms. Banks, Saweet­ie ou encore Megan Thee Stal­lion. Toutes ces rappeuses font aujourd’hui par­ti des artistes les plus écoutés sur les plate­formes de stream­ing. L’influence des ces femmes est désor­mais indé­ni­able voire prépondérant dans le rap américain.

 

Strip et rap : un lien unique

Aux États-Unis, rap et strip club ont tou­jours entretenu un lien par­ti­c­uli­er et les étab­lisse­ments demeurent des lieux sacrés pour le milieu du rap améri­cain. Ils se sont finale­ment imposés comme un trem­plin dynamique et puis­sant pour cette musique. En effet, en choi­sis­sant leurs titres, les danseuses peu­vent faire d’un morceau le prochain hit de l’année.

À tel point que des pro­duc­teurs admet­tent même faire des strip clubs des endroits de repérages de futurs tal­ents. David Ban­ner (un rappeurpro­duc­teur et directeur de label, ndlr) con­fi­ait d’ailleurs se ren­dre dans ces lieux pour observ­er ce qui fonc­tionne le mieux et chercher de l’inspiration pour ses pro­pres instru­men­tales. Dans un autre style, le rappeur Mike Jones avait eu l’ingéniosité de dis­tribuer gra­tu­ite­ment ses morceaux à des danseuses renom­mées pour se faire con­naître. Les strip clubs sont ain­si devenus un out­il effi­cace pour mesur­er la pop­u­lar­ité d’un morceau et d’un artiste. 

De cette rela­tion (entre rap et strip, ndlr), Atlanta en a fait une véri­ta­ble iden­tité. Drake avait d’ailleurs fait une col­lab­o­ra­tion avec le club mythique de la ville : Mag­ic City. Plus effi­cace que n’importe quel radio ou média, tous les rappeurs cherchent à y être exposé s’assurant ain­si de se faire repérer.

 

Extrait du doc­u­men­taire sur le Strip club Mag­ic City d’At­lanta : « Inside the Atlanta Strip Club that Runs Hip Hop | Mag­ic City » sur la chaîne Youtube de GQ.

 

Un doc­u­men­taire avait été réal­isé à pro­pos de ce lieu devenu incon­tourn­able. Les clips et les paroles de rap sont d’ailleurs représen­tat­ifs de l’importance des clubs de strip-tease aux États-Unis. Les rappeurs y sont sou­vent fan­tas­més entrain de lancer des liasses de bil­lets sur la piste et aux danseuses. 

La démoc­ra­ti­sa­tion du « strip­ping » à tra­vers les lives Insta­gram pen­dant le con­fine­ment illus­tre ce lien qui unit si forte­ment le rap et les strip clubs. En pleine pro­mo­tion de son dernier album « The New Toron­to » (sor­ti le 14 avril dernier), Tory Lanez, le rappeur orig­i­naire de Toron­to, a dif­fusé à ses quelques 9 mil­lions d’abonnés des presta­tions de strip­pers, par­fois même d’actrices de films X. 

Devenu un ren­dez-vous réguli­er très relayé sur les réseaux soci­aux, le moment a même été renom­mé par The Week­nd comme le « Demon Time ». Ain­si, devant l’essor de ces clubs de strip-tease virtuels et mal­gré la fer­me­ture des clubs due au Covid-19, de nom­breux strip­pers ont pu con­tin­uer à tra­vailler (via l’application CashApp par exem­ple, ndlr).

Si les clubs ont tou­jours été appréhendés du point de vue des rappeurs, il est désor­mais ques­tion de met­tre en avant le point de vue des danseuses. De fig­u­rantes à actri­ces prin­ci­pales de l’u­nivers rap, elles sont désor­mais mis­es en lumière. Le film « Queens », sor­ti le 16 octo­bre 2019, le témoigne en rela­tant leur quotidien. 

Alors qu’elles n’étaient qu’un décor de clip, elles sont dev­enues de véri­ta­bles icônes. Aujourd’hui, ces mêmes femmes, à qui les rappeurs dis­tribuaient des cen­taines de bil­lets et que l’on qual­i­fi­ait de tra­vailleuses du sexe, repren­nent le flam­beau et occu­pent le som­met des ventes. Avène­ment du twerk, tenues plus que sug­ges­tives et chirurgie esthé­tique à out­rance : elles n’hésitent plus à lever le tabou sur l’univers du strip­ping. Un mou­ve­ment devenu haute­ment féministe.

 

Délivrer le rapport à la sexualité

Si ces excen­tric­ités choquent, c’est parce que ce sont des femmes qui s’en font le porte-parole. La ques­tion du sexe est, en effet, loin d’être un tabou dans le rap améri­cain. Bien au con­traire, il a tou­jours été un bruit de fond de cette indus­trie. Que ce soit dans les textes ou dans les clips. Mais lorsqu’il devient le thème de prédilec­tion des femmes, il dérange. 

En prenant le plein pou­voir de leur corps et de ce qu’elles représen­tent, ces danseuses-rappeuses invi­tent ain­si de nom­breuses femmes à se délivr­er dans leur rap­port à leur sex­u­al­ité. En cela, elles incar­nent un mou­ve­ment fémin­iste qui clame l’émancipation du corps de la femme. La plu­part de ces artistes se revendiquent d’ailleurs tout à fait légitimes de porter fière­ment ces valeurs. Mal­gré tout, beau­coup leur reprochent d’être assu­jet­ties au regard de l’homme autant que de provo­quer leur pro­pre sexualisation.

 

 

Car­di B et City Girls dans un extrait du clip « Twerk ».

 

Elles n’hésitent pas à rap­pel­er, dans leurs textes, que ce sont de réelles self-made women et qu’elles sont les prochaines fig­ures de proue de la scène rap actuelle. Impos­si­ble main­tenant de les invis­i­bilis­er et de les dis­simuler au regard du grand pub­lic. Impos­si­ble désor­mais de les can­ton­ner à de sim­ple arrière-plan sexy de clips. Cette nou­velle dimen­sion du fémin­isme s’installe et prend, depuis quelques années, une place impor­tante dans le monde fer­mé et exigeant du rap US.

Dans un game encore très mas­culin, affirmer sa place de rappeuse n’est jamais évi­dent, encore moins de manière si débridée. C’est pour­tant ce que font ces artistes depuis le début des années 2010, sans pour autant nég­liger celles qui leur ont ouvert la voie. Notons Lil’ Kim, qui n’hésite pas à affirmer via les réseaux soci­aux sa fierté de voir la relève bel et bien assurée par ces nou­velles représen­tantes d’un fémin­isme trash. Elle dira elle-même avoir « cédé le flam­beau » à cette nou­velle généra­tion, bien décidée à faire val­oir la voix des femmes dans le rap.

Beau­coup de femmes se sen­tent représen­tées par ces rappeuses et il existe désor­mais une réelle sym­biose entre ces artistes et leur pub­lic. Ils affir­ment d’une seule voix ne plus vouloir être lim­itées dans leur féminité, après l’avoir été pen­dant de si longues années. Libres, peu importe leur milieu social, leur apparence et leurs con­vic­tions. De véri­ta­bles dia­b­less­es au com­bat fémin­iste angélique.

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