Le 8 juillet prochain, Mosaïque vous invite à son premier événement. Une soirée spéciale qui fait sens, en alignement avec nos valeurs. Associé.e.s avec le projet Écoute Meuf, nous présentons « L’Antidote » : un moment à vivre à La Flèche d’Or dans le 20e arrondissement de Paris. À cette occassion, Nayra sera sur scène le 8 juillet à la Flèche d’Or aux côtés des rappeuses Timéa et Angie. L’artiste, originaire de Saint-Denis, ouvre une nouvelle page musicale de sa carrière avec sa signature chez le label Low Wood.
Celle qui rappe depuis dix ans n’apparaît désormais plus jamais sans son trait noir qui se dessine de son menton jusqu’à sa poitrine. Symbole de sa culture arabo-berbère et des femmes qui l’ont précédées, il reflète ce qui l’inspire pour donner naissance à sa musique. Avant de la retrouver sur scène le 8 juillet, nous sommes allé.e.s à sa rencontre à l’endroit qui l’a vu grandir, au cœur de Saint-Denis, à deux pas de la Basilique. Dans son ensemble jogging Nike, Nayra nous a accueilli avec un sourire ensoleillé et son rire franc qui ne la quitte jamais.
Avant de vous plonger dans l’interview de Nayra, ne ratez pas notre événement « L’Antidote », le 8 juillet à La Flèche d’Or à Paris. Au programme : lives, DJ set, conférence, blind test, stands… Rejoignez la soirée en cliquant ICI !
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Le 8 juillet, tu seras sur scène à La Flèche d’Or avec Angie, Nayra et Timéa mais en attendant, nous nous sommes retrouvé.e.s au café de France, en plein centre de Saint-Denis, peux-tu nous décrire cette place ?
J’habite juste là-bas, au niveau des vélos. Je suis née ici, j’ai grandi ici. C’est le quartier du centre-ville. On appelle ça « Fourca » parce qu’il y a le Carrefour, l’un des seuls centre commerciaux qu’on trouve par ici. J’habite avec ma mère, mon frère et ma sœur. Je suis dans cet appartement depuis que j’ai trois ans. J’aimerais bien bouger, vivre ailleurs, mais Saint-Denis reste la ville qui fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
C’est le seul endroit où je me sens à l’aise. Il y a toujours des mecs qui te cassent les couilles, mais au calme. On est une grande famille, tout le monde connaît le cousin du cousin. Et d’ailleurs, si un jour la musique ça marche pour moi, j’investirais dans mon quartier. Ça fait des piges que personne ne veut rénover les dalles en haut et les bâtiments. Investir dans la culture aussi, il se passe des trucs, mais c’est pas suffisant. C’est une mine d’or ici, mais personne ne veut l’exploiter.
De ton côté, tu t’es déjà investie dans la culture du 93, notamment à travers des cours d’écriture que tu donnes à des collégien.ne.s…
Oui c’est le collège d’Ivry qui m’a proposé. Le directeur du conservatoire est venu à l’un de mes concerts et il m’a proposé de faire un projet ensemble. C’est comme ça que ça s’est fait. Sinon, les institutions publiques ça ne les intéresse pas. À mon échelle, je me dis que c’est cool, mais il faudrait qu’il y ait beaucoup plus d’initiatives en ce sens. Il y a plein d’associations qui existent pour ça, mais personne ne les aide. Tu galères pour trouver un local…
Que fais-tu faire à tes élèves ?
Je leur donne des cours de français à partir de punchlines de rap. Ninho, Médine, Kery James… On analyse leurs phrases et on cherche à comprendre comment elles sont construites. Ce que je veux leur transmettre, c’est qu’ils ne sont pas obligés de savoir faire de la musique pour en faire. L’écriture, avant même d’être un moyen d’exprimer artistiquement des choses poétiques, te permet de structurer ta pensée. Je leur achète un petit carnet à tous et je leur demande d’écrire. Même si ce n’est pas dans le but d’écrire un rap, je leur demande de marquer des choses, une balade, une belle fleur qu’ils ont vu, un bon moment en famille… Ce qui leur est arrivé de bon aujourd’hui.
Ce rapport très étroit avec la musique, l’avais-tu, toi aussi, dès le début de l’adolescence ?
Avant même que je naisse, je dansais dans le ventre de ma mère (rires) ! Chez nous, la musique arabe c’est très important. Ma mère est une immigrée du Maroc, mon père vient d’Égypte. Ce qui me rapproche le plus de ma terre et mes origines, c’est la cuisine et la musique. Chez moi, il y a toujours eu du son, des grandes chanteuses du monde arabe : Fayrouz, Oum Kalthoum… Ça m’a bercé, on avait des cassettes dans la voiture de mon père et on mettait que ça. On appelle ça le chaabi, c’est de la pop arabe, la musique du peuple, c’est aussi la rue. J’ai grandi avec de la musique travaillée, spontanée. Ensuite, il y a eu beaucoup de chansons françaises à la maison, ma mère écoutait du Claude François, j’avais un double CD avec les « Best of », mais elle écoutait ça parce qu’il était égyptien, c’est tout !
Crédit : Lia Goarand pour Mosaïque.
Quand est-ce que tu te mets à la musique ?
Quand j’ai eu 12 ou 13 ans, j’ai réalisé que la musique était faite pour moi. Alors, je suis allée au conservatoire mais je suis restée seulement un jour parce que je suis tombée sur une professeure ultra raciste. On s’est embrouillé, je suis partie et je me suis dit que j’apprendrai toute seule. Je me suis achetée une guitare et j’ai commencé à apprendre. À côté de ça, j’écrivais souvent des textes. La plupart du temps, j’étais fâchée (rires). Je m’écrivais à moi-même parce qu’on ne me comprenait pas toujours. Un jour je me suis motivée à les mettre en musique, à trouver les bonnes notes.
À cette époque, je faisais du dog sitting et je bossais au marché de Saint-Denis… Ma mère galérait même si elle ne nous a jamais fait ressentir le manque. J’ai rapidement pris la place du « mâle alpha ». Je voulais l’aider, l’alléger comme je pouvais. Elle ne comprenait pas et elle me disait : « Mais pourquoi tu fais ça ? T’as pas besoin », alors qu’elle était dans le besoin. Dès mes 13 ans, l’argent qu’il me restait et que je ne lui donnais pas allait dans un studio, près de la mairie de Saint-Ouen. Pour ma mère, c’est devenu une sorte de monnaie d’échange quand elle a vu que j’adorais ça : « Je t’aide à payer le studio, mais toi faut que tu carbures à l’école. »
À quel moment as-tu eu envie de rendre ça professionnel ?
Au début, je voulais garder ça pour moi et puis le rappeur L’Deterr m’a vraiment fait découvrir la culture hip-hop dans laquelle il a baigné. Ici, on est dans le berceau du hip-hop français. Quand j’étais petite, il y avait des gars qui se posaient devant le métro et ils faisaient que de rapper avec des intrus sur CD. J’ai rencontré L’Deterr sur un tremplin rap où je ne rappais pas vraiment, je chantais encore beaucoup. J’y suis allée avec ma cousine Nora, j’étais au milieu d’une vingtaine de bougs avec du public. J’étais super stressée, mais ça s’est bien passé.
L’Deterr m’a transmis son amour pour le rap, mais il m’a aussi donné confiance en moi. Il me disait si d’autres le font, toi tu peux le faire en mieux. C’est avec lui que je commence à rapper, à kicker. Il m’a donné trop de conseils, sur mes phases, sur mes flows… Il improvisait super facilement, il écrivait vite et bien, c’est un crack et il m’a pris sous son aile.
Crédit : Lia Goarand pour Mosaïque.
Tu as eu un déclic ?
Un jour, j’ai participé à un concours de freestyle sur Facebook où il n’y avait que des hommes. À cette époque, je ne me posais même pas la question de savoir s’il y avait des meufs ou pas. Je poste ma vidéo et je gagne. Je ne sais pas si je gagne parce que je suis une meuf où si c’est parce que je les ai fumé, mais c’est lourd. C’est là que j’ai commencé à poster des trucs sur mes réseaux.
Même si je rappais, il y avait déjà ce truc de chanteuse de rap. Les bougs à l’époque m’appelaient pour faire leur refrain. Plusieurs fois je me suis retrouvée à accepter et une fois en cabine je faisais un couplet trop chaud qu’ils ne pouvaient pas ne pas garder. Soit je suis invitée à fond, soit c’est non. Je ne suis pas là juste pour mettre en avant ton travail.
T’es-tu sentie ramenée à ton genre en évoluant dans la musique ?
À la base, je ne voulais même pas renverser les codes, c’était très naturel. Au début, j’étais consciente qu’il y avait un problème qui faisait que j’étais dans un affront, dans l’adversité, mais je ne comprenais pas encore qui était mon véritable ennemi. Je me disais : pourquoi ça ne marche pas ? Pourquoi on me dit telle chose ? Et puis j’ai fini par comprendre : c’est parce que j’ai un vagin. D’accord. Subtilement, on me ramenait toujours à mon genre. Quand Booba est arrivé avec l’auto-tune, tout le monde se foutait de sa gueule, parce qu’il y a ce truc de masculinité toxique. Pareil pour Jul. Ninho aussi est un putain de chanteur de rap.
Aujourd’hui, quand je vois Lomepal ou d’autres, ce sont des limites qui bougent. Le rap appartient aux gens qui ont des choses à exprimer, c’est tout. C’est pour ça qu’il ne faut pas parler de rap féminin. C’est du rap et il évolue tout le temps. Le rapport femme et homme, le fait de genrer le rap, c’est se tromper. On est libre, la musique est libre.
Tu as d’ailleurs commencé à véritablement te faire connaître en reprenant des titres de rappeurs masculins que tu parodiais.
C’était à l’époque où le rap devenait super populaire en France. Dans ce que j’écoutais, on parlait de michtonneuse, les femmes étaient des objets et je ne comprenais pas pourquoi personne ne leur répondait. La parodie permettait d’alléger le bail. Le titre Je ne dirai rien de Black M m’avait choqué : « T’aimes te faire belle, oui, t’aimes briller la night, t’aimes les éloges, t’aimes quand les hommes te remarquent ». Oui et ? C’est quoi le problème ? Je me disais : « Mais ils sont frustrés les bougs ? Venez on parle des michtonneurs alors. Vous parlez des femmes en faisant des généralités. » Elles assument, elles font ce qu’elles veulent de leur corps, et après ? Du coup, j’ai répondu. J’ai aussi fait le remix de J’suis qu’un thug de Lacrim. Résultat : quatre millions de vues.
Crédit : Lia Goarand pour Mosaïque.
Depuis cette époque, tu as ouvert une nouvelle page en supprimant tous tes titres des plateformes…
Oui à part mon single Non de 2016 parce que j’étais en maison de disque ! Ça fait dix ans que je fais de la musique. Pendant tout ce processus, j’ai eu le temps de chercher qui j’étais et comment artistiquement je pouvais le retranscrire. J’ai envie de réinstaller quelque chose qui me correspond vraiment. Ça allait dans tous les sens avant. C’est pour ça que j’ai signé avec le label indépendant Low Wood.
Alors qui est Nayra, en 2022 ?
J’assume être une chanteuse de rap. C’est ce que je suis. Je me dirige vers la liberté, vers du fuck les cases, fuck le fait de rentrer en playlist et je veux revenir à la liberté qu’implique ce mouvement. Je veux aussi un retour subtil à mes racines : la culture hip-hop et la culture arabo-berbère. On m’a souvent dit que c’était un handicap en France, mais non, je vais l’utiliser. Je ne veux pas dire que je suis la plus costaud, mais montrer que je peux pleurer et que c’est ça qui fait que je suis forte.
Tu as également une nouvelle direction artistique. Comment peux-tu la décrire ?
Elle est un peu plus dark, mais elle reste solaire. J’ai l’impression d’être un oxymore ambulant. J’ai un trait noir sur le visage qui se dessine de mon menton à ma poitrine. C’est une référence à ma grand-mère qui se faisait des tatouages sur le visage que je ne comprenais pas. En cherchant, j’ai capté que chaque tatouage avait une symbolique, un lien avec la culture, avec les croyances. Le trait que j’ai sur le visage, c’est un symbole de fertilité. Le fait de me dire que les femmes qui m’ont précédées et m’ont entourées, ont porté des signes forts sur elles, ça m’inspire beaucoup. Je me dis que j’ai de la chance d’être une femme. J’ai l’impression d’avoir des ancêtres à mes côtés et de mettre ma culture en avant.
En tout cas, tu auras l’occasion de la mettre en avant le 8 juillet, lorsque tu seras sur scène avec Nayra et Timéa pour notre évènement « L’Antidote », organisé avec Écoute Meuf. Comment appréhendes-tu cette soirée ?
J’ai trop hâte. La scène c’est un vrai kiffe pour moi. Je ne connais pas Timéa mais j’ai hâte de la rencontrer. Angie c’est trop ma meuf, je l’aime trop ! C’est l’été, ça nous manque d’être sur scène et c’est une programmation de fou ! Ça va être lourd.
Quel.les sont les artistes que tu écoutes ?
J’écoute Angie fort. Joanna, Jäde, Lazuli… J’écoute Audrey Nuna à l’international, Fanny Polly qui est ultra engagée depuis des années et aussi Lauryn Hill. « The Miseducation of Lauryn Hill », pour moi, c’est l’album de référence qui me permet de trouver de l’inspiration. Ça me donne de la force. C’est notre maman, la maman des chanteuses de rap.
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