Avec « After Hours », The Weeknd semblait avoir livré un album concept à succès se suffisant à lui-même. Mais son septième opus « Dawn FM », sorti en janvier 2022, sonne comme une suite logique. Le projet de 16 titres est-il le deuxième épisode d’une nouvelle trilogie ? Décryptage.
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Après une rupture amoureuse, le sixième album de The Weeknd, « After Hours », sorti en mars 2020, racontait une vie faite de drogues, de spotlight et de sang à Vegas et Los Angeles. Une histoire de surenchère sur le vice qui n’attendait pas de suite. Mais après la sortie de « Dawn FM », son dernier projet, le chanteur s’est questionné sur les réseaux sociaux : « Je me demande… Saviez-vous que vous êtes en train de vivre une nouvelle trilogie ? » En effet, l’opus apparaît comme un deuxième chapitre avec un nouveau storytelling. The Weeknd, de confession orthodoxe, se retrouve rattrapé par ses remords, ses péchés, et doit y faire face.
i wonder… did you know you’re experiencing a new trilogy? pic.twitter.com/G5TfjvJVyM
— The Weeknd (@theweeknd) January 10, 2022
Un chant mystique, des paroles presque spirituelles, le titre éponyme ouvrant l’album nous plonge dans le vif du sujet. Sur un chant quasi-grégorien, Abel Tesfaye aka The Weeknd se demande où il atterrit. Laissant penser à une expérience de mort imminente ou à un passage d’arme à gauche définitif. La voix de Jim Carrey, le présentateur de la radio du canal 103.5 FM qui revient tout au long de l’album, donne ainsi les consignes. Rester calme, se laisser guider et accepter son destin.
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L’appel du sacré
Déjà tiraillé par l’idée de perdre la foi dans le morceau Faith de « After Hours », il renouvelle ses doutes dans Gasoline. Le deuxième morceau du projet fait référence à la chanson Losing my religion de REM, un groupe de rock américain des années 80. Des expériences psychédéliques liées à la drogue dans « After Hours » jusqu’à l’appel du sacré, The Weeknd affiche explicitement ses craintes : « J’essaie de ne pas perdre ma foi. »
Plus subtil, moins évident, le champ lexical du spirituel se dessine dans les tracks suivantes : How Do you I Make you love me, Sacrifice ou le single Take My Breath. Difficile dans ces morceaux de ne pas trouver une trace des lexies « éternel », « paradis », « sommeil » ou des tournures qui s’y rapportent. Au fil de ces premiers titres, The Weekend semble tenter d’échapper aux différents péchés. Et pour ce faire, la solution lui est toute trouvée : remplacer la chair par l’amour, les paradis artificiels en paradis spirituels et globalement d’inverser le paradigme de la matérialité en immatérialité.
La résignation et le pardon
A Tale By Quincy amorce le virage de l’album. Sur cette interlude, Quincy Jones, producteur iconique de Michael Jackson, se confesse. Derrière la petite fenêtre en bois qui nous sépare de celui qui livre ses péchés, nous sommes mis dans la position du prêtre. Forcés d’écouter les déboires amoureux et familiaux d’un être humain, avant d’écouter ceux de The Weeknd dans le titre qui suit, Out of time.
Se confesser puis replonger… Avec Here We Go… Again. The Weeknd semble se sentir coupable de replonger dans ses vices affichant ses diamants et une copine star de cinéma. Son compère Tyler, the Creator, en featuring sur le son, avoue même que « l’éternel est trop long pour lui ». Ce morceau peut se lire comme une simple célébration, mais aussi comme une rechute. La rechute d’un drogué en cure de désintox.
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En milieu de tracklist, Is There Someone Else sonne comme un appel à l’aide. Le morceau laisse d’abord penser qu’Abel s’adresse à son amante. Il lui demanderait si elle partage son lit avec quelqu’un d’autre. Mais le titre d’après, Starry Eyes, suggère finalement que le chanteur parlerait à Dieu et l’aurait rencontré. Comme si The Weeknd imaginait Dieu comme une femme à conquérir qui lui ouvrirait les portes du paradis. La transition musicale prête d’ailleurs à penser qu’il s’agit d’un seul et même morceau.
Abel se joue des frontières minces entre amour charnel et amour spirituel. Que ce soit une femme ou le seigneur, il accepte désormais sa présence dans sa vie. Notamment dans le titre Starry Eyes : « Maintenant que tu existes dans ma vie, je veux me retourner près de toi, (…) J’en ferais ma responsabilité, je te suivrai tout le long du chemin ». Une sorte de purgatoire avant de rejoindre le paradis.
The Weeknd découvre le vrai visage du paradis
Le titre Every Angel is Terrying s’ouvre sur un chant angélique. The Weeknd cite les vers du poète autrichien Rainer Maria Rilke dans son poème « Première Elégie » : « Qui donc, si je criais, m’entendrais parmi les ordres des anges ? Qu’un d’eux, à supposer, me prenne brusquement sur son cœur : je succomberais du croît de sa présence. Car le beau n’est jamais que cette terreur novice qu’à peine encore nous supportons et qui nous étonne du fait qu’impassible elle se refuse à nous détruire. Tout ange est terrifiant. » Un ange terrifiant à propos duquel le poète Rilke dira « qu’il est l’être garant de reconnaître dans l’invisible, un degré supérieur de la réalité, c’est pourquoi il nous parait effrayant ».
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À travers ces rimes, l’ange est admiré car capable d’accepter le néant comme un paradis. Loin d’être une angoisse commune aux êtres humains, pour Rilke il est préférable à l’emballage doré du paradis idéalisé et imaginé pour plaire à un grand public. Une sorte de bonbon qu’on promettrait à enfant sage. Le spot publicitaire inclus dans la chanson montre que cet imaginaire commun du paradis n’était qu’une métaphore créée de toute pièce pour plaire aux humains, souvent trop ancrés dans leur réalité.
« Intense, sexy, choquant, euphorique, audacieux, qui stimule la réflexion, techniquement et visuellement ravissant (…), Une œuvre de fiction comme vous en avez jamais vu, le monde exotique et charmant de l’Après Vie », peut-on entendre. Un discours séduisant sur l’au-delà, vendu comme une réclamation pour un film fantastique. C’est peut-être aussi l’image qu’en avait The Weeknd avant d’entrer dans la conception de « Dawn FM ». Une aube avant la nuit.
Le chemin difficile de The Weeknd vers le graal
Les morceaux Don’t Break my Heart et I Heard Youre Married continuent la métaphore filée de l’album. The Weeknd demande à ne pas être déçu une nouvelle fois. Difficile de dire s’il doute de l’existence du paradis ou s’il prie pour pouvoir s’y rendre. On peut toutefois imaginer que l’artiste n’est pas encore prêt pour celui-ci car il n’accepte pas toutes les contraintes d’une vie pure. Comme les contraintes d’une vie amoureuse stable.
C’est ainsi que le track suivant, I Heard Youre Married, raconte l’histoire d’une femme mariée qui n’est pas convaincue de vouloir tracer son chemin avec lui. L’album se clôt ensuite sur un nouveau monologue de l’animateur de « Dawn FM » incarné par Jim Carrey : « Ça va durer un long moment, maintenant que tes plans futurs ont été reportés, il est temps de repenser aux choses que tu pensais avoir. (…) Combien de rancunes ont été emportées dans ta tombe ».
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The Weeknd. Crédit : Universal Music Group/Brian Ziff.
« Dawn FM » place pour la première fois le spirituel au centre d’un projet de The Weeknd. L’artiste lui-même, lors d’une interview pour Billboard, a confessé cette démarche : « Imaginez cet album comme si celui qui l’écoutait était mort. Il est coincé dans les embouteillages du purgatoire, que je me suis toujours représenté comme des bouchons dans lesquels on est coincé en attendant de rejoindre la lumière au bout du tunnel. Et pendant que vous êtes coincé dans ces bouchons, une radio joue dans la voiture. Un animateur de radio vous guide vers la lumière et vous aide à traverser jusqu’à l’autre côté ». L’opus apparaît donc comme la suite d’« After Hours » et laisse entendre qu’un troisième projet est en préparation. Son nom serait déjà dévoilé dans le spot publicitaire d’Every Angel is Terryfying : « After Life ».
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