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Con­sid­éré comme l’une des plumes les plus remar­quées dans le paysage actuel du rap français, Dinos avance vers son troisième album stu­dio. Baigné dans la frénésie des Rap Con­tenders qui ont mar­qué son style, le rappeur est-il de ceux que l’on classe par­mi les « lyri­cistes » ? Décryptage.

« J’en ai marre de faire de la punch­line. J’avais envie d’écrire ce que j’avais sur le cœur, c’est pour ça que j’ai enlever Punch­li­novic », con­fi­ait Dinos à Booska‑P pour la sor­tie de son pre­mier album « Imany », en 2018. Avant d’amputer de moitié son nom d’artiste et d’adopter un spleen esthé­tique qu’il ne lâchera plus, le rappeur de La Courneuve se jouait de la langue et des jeux de mots dans des bat­tles effrénées. Il est l’une des révéla­tions de cette jeune généra­tion de kick­ers a cappella.

Génération Rap Contenders

Les gants de box lev­és pour crier vic­toire, le jeune Jules a tout juste 17 ans et s’agite déjà avec énergie sur le ring des Rap Con­tenders. Pen­dant plusieurs années, il affûte un sens de la for­mule incisif qui n’est pas sans se faire remar­quer, ani­mé par l’intensité des face-à-face avec d’autres MC locaux. 

Le train passe et le rappeur ne rate pas le départ. Signé dans la foulé sur le label Def Jam, il dévoile rapi­de­ment un pre­mier EP inti­t­ulé « L’alchimiste », pour rap­pel­er l’ouvrage de Paulo Coel­ho du même nom. « Jeune et ambitieux », il use de la recette qui avait fait son suc­cès pen­dant ses joutes hip-hop. Une over­dose d’égotrip, de punch­lines et de références qui trou­ve un écho moins probant sur ce pro­jet de douze titres, trahissant la jeunesse de ce pre­mier jet.

Un an passe et le gamin de La Courneuve prend du galon. La ving­taine et une pre­mière par­tie d’IAM à l’Olympia en poche, il rejoint Capi­tol Music France et passe un pre­mier cap lyri­cal avec son deux­ième EP : « Apparences ». Tou­jours aus­si non­cha­lant et lay-back, Dinos sem­ble avoir gag­né en expérience. 

Quelques for­mules fanées n’ont pas encore quit­té son réper­toire, mais son per­son­nage prend forme et il éparpille ses ful­gu­rances avec plus de parci­monie et de justesse. Une pro­gres­sion qui s’accompagne d’un pre­mier suc­cès : celui du morceau Namek qui trou­ve une réso­nance par­ti­c­ulière auprès de son pub­lic naissant.

Le tournant « Imany »

La bas­cule s’effectue avec un vrai gain de matu­rité. Entre 2015 et 2018, Dinos quitte la scène et se réfugie en stu­dio. Trois ans de retrait et de tra­vail, pen­dant lesquels il écrira l’équivalent de « trois ou qua­tre albums » pour pro­pos­er une for­mule finale, noire et blanche : « Imany ». Le pre­mier extrait, Flashé, témoigne d’une mue artis­tique. Il trou­ve alors un nou­veau ton et donne de l’espace à un style sophis­tiqué et élégant.

En quit­tant le Punch­li­novic, Dinos rompt avec l’école de la punch­line qui avait été la sienne. Ses textes, tou­jours aus­si parsemés de références au rap français, se diver­si­fient. À l’occasion de la sor­tie du disque, il expli­quait au jour­nal­iste Yérim Sar vouloir « arrêter de rap­per pour les rappeurs, mais pour touch­er le cœur des gens ». Celui qui se qual­i­fie lui-même de « bousil­lé du rap », atten­tif à la tech­nique et au détail, trou­ve un juste milieu. 

Il mus­cle ses rimes avec des textes mieux sen­tis. Quin­tes­sence de ce virage : le morceau Hiv­er 2004. Sur ce track pro­duit par Twenty9, il reprend avec poésie le regard qu’il por­tait à onze ans sur son envi­ron­nement défa­vorisé. Même con­stat pour Place­bo, présent sur la réédi­tion de l’album, où son spleen se des­sine avec des con­tours plus affinés.

Dinos pro­pose aus­si des textes beau­coup plus intimes dans lesquels il rappe à cœur ouvert, sans forcer le trait ni les images d’analogies mal­adroites. C’est notam­ment le cas dans le titre Helsin­ki où il incar­ne son ex-copine qui lui laisse un mes­sage sur son répon­deur. Si quelques rimes « balour­des » pointent tou­jours le bout de leur nez et lais­sent une trace de ses jeunes ful­gu­rances, le rappeur n’est plus le même.

Le lien entre les mots et l’émotion

La sor­tie de « Tac­i­turne », l’année suiv­ante, vient appos­er un tam­pon sur son son nou­veau statut. Il mêle alors l’héritage de Boo­ba, sam­plé sur l’intro du pro­jet, à la sen­si­bil­ité dev­enue une couleur à part entière. Dinos se veut aus­si plus épais dans ses approches. « J’par­le en pal­pi­tant, en bal­bu­tiant, il m’a fal­lu des chaînes en or pour me ren­dre compte que j’su­is esclave du temps », lâche-t-il dans Les cailleras prient pour évo­quer l’aspect éphémère de la célébrité dont il est aujourd’hui tributaire.

Est-il alors de ceux que l’on con­sid­ère lyri­cistes ? La déf­i­ni­tion du terme, sur laque­lle cha­cun peut s’accorder, met l’accent sur la fac­ulté à établir un lien pro­fond entre les mots et l’émotion, le fond et la forme. Il ne fait alors pas de doute que Dinos s’inscrit désor­mais dans cette lignée de rappeurs qui mêle la tech­nic­ité de la poésie à leurs textes.

S’il se dis­tingue moins spé­ci­fique­ment dans cette caté­gorie que cer­tains piliers du genre comme MC Solaar, IAM ou Oxmo Puc­ci­no, l’artiste se dif­féren­cie toute­fois par un sens de la for­mule acces­si­ble. Il élar­git ain­si le spec­tre de ce qui définit le paroli­er par excel­lence se définis­sant lui-même comme « le nou­veau Solaar » (On meurt bien­tôt).

Son troisième album stu­dio, « Sta­mi­na, », est l’occasion pour lui de con­tin­uer à élever sa plume comme l’une des plus dis­tin­guées du rap français. Le pro­jet, qual­i­fié par l’interprète lui-même, comme « le meilleur de toute sa vie », est alors très atten­du en la matière.

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