Mosaïque

Par Robin Spiquel

Première partie : Terre en vue !

 

À l’heure de l’hypermédiatisation du rap, cer­tains artistes com­men­cent à pren­dre leurs dis­tances, comme pour se pro­téger et préserv­er leur art. Lui a fait ce choix dès le début de sa car­rière. Aucune inter­view, vis­age caché. Sim­ple­ment une voix et des notes. Libéré de l’emprise du pub­lic et des chaînes du suc­cès, à l’abri des regards, Népal a con­stru­it, en une dizaine d’années, un univers mys­térieux aux accents nip­pons. Un monde souter­rain, que l’artiste ouvre peu à peu sur l’extérieur avec cet album posthume sor­ti le 10 jan­vi­er dernier : « Adios Bahamas ».

 

Cov­er de l’al­bum « Adios Bahamas ». Crédit : Lucas Matichard.

 

Entre un spleen cynique qui lui colle à la peau et une folle envie de vivre, Népal, nav­igue en eaux trou­bles. Une ambiva­lence présente tout au long de l’album, mise en lumière par le titre évo­ca­teur Cross­fad­er. Cet instru­ment per­me­t­tant de mix­er plusieurs pistes audios illus­tre bien la manière qu’a l’artiste de jon­gler entre ses dif­férentes humeurs, ses dif­férentes facettes.

 

« J’ai toujours mené ma life en Crossfader. L’autre côté d’mon âme, c’est mon ghost writer. »

Mais il ne s’agit pas d’une com­pi­la­tion de morceaux sur les hési­ta­tions d’un jeune artiste, c’est un pro­jet con­stru­it, avec une direc­tion bien claire. Cet album s’inscrit comme une remon­tée des abysses vers la sur­face, comme la tra­ver­sée d’un naufrager, resté trop longtemps sur son île déserte. 

Avec cet opus, le rappeur-beat­mak­er du 14e arrondisse­ment parisien nous laisse entrevoir sa mue artis­tique. Plus ouvert musi­cale­ment, moins mélan­col­ique et tor­turé dans ses textes, KLM (son nom de beat­mak­er) nous mon­tre ici qu’il est pos­si­ble d’évoluer tout en restant fidèle à ses valeurs.

 

Crédit : Lucas Matichard.

 

Album initiatique

De son ouver­ture à sa con­clu­sion, « Adios Bahamas » est con­stru­it comme une errance mar­itime. Un nou­v­el homme émerge des eaux du titre Open­ing. Comme l’annonce la voix off en japon­ais, nous allons suiv­re les aven­tures du jeune Népal qui décide de quit­ter son île déserte où il « réfléchis­sait calme­ment à l’état de l’Homme et prof­i­tait de vacances oniriques ». Il se jette à la mer et aban­donne son statut de spec­ta­teur du monde. Il veut désor­mais être acteur de son his­toire et avoir une prise réelle sur son envi­ron­nement. C’est là tout le mes­sage de l’album.

Cette métaphore est filée tout au long de l’album avec de nom­breuses références à l’univers marin dans les textes et l’atmosphère sonore du pro­jet. Dans les lyrics, l’océan revêt un car­ac­tère négatif. On sent que Népal cherche à quit­ter cet envi­ron­nement dans lequel il se com­plaît et se noie en même temps.

 

Crédit : @LesGarsLaxistes.

 

Un thème déjà très présent dans l’univers du rappeur. En 2016 par exem­ple, sur le magis­tral Rien d’spécial, il enta­mait son deux­ième cou­plet par cette punch­line dev­enue mythique : « La vie c’est une brasse. Tu peux son­der les abysses ou nag­er en sur­face. »  Un attrait pour la pénom­bre, dont il s’est éloigné avec le temps. 

Sur le titre Là-bas, Népal « brasse dans une mare de pét­role » et « surf sur les vagues de ses torts ». Il se débat encore avec l’océan mais a défini­tive­ment quit­té les bas-fonds. 

Pour ce qui est des sonorités, l’album est plutôt évo­lu­tif. Très présente dans les débuts du pro­jet, avec le titre Open­ing notam­ment, la mer s’efface progressivement.

On entend ensuite quelques mou­ettes et le bruit des vagues dans les titres Tra­jec­toire et Vibe puis plus rien. Népal arrive enfin sur terre ferme. Il va pou­voir y affron­ter ses ennemis.

 

Crédit : Triple 4 Gear.

 

Affronter ses démons

« N’essaye pas d’te bat­tre avant de con­naître ton enne­mi » répète fréné­tique­ment Di-Meh sur le refrain du titre Enne­mis Pt.2. Tout au long de l’album, Népal cherche à pro­gress­er face à ses adver­saires. En écoutant le pro­jet, on réalise assez vite que le plus grand enne­mi de Népal, est en réal­ité Népal lui-même.

Par peur et rejet du monde qui l’entoure, KLM s’est enfer­mé sur lui-même. La drogue et surtout la musique lui ont per­mis de se pro­téger de l’extérieur et de recréer un univers à son image. Le jeune rappeur n’a eu de cesse de rap­per ce décalage, mais aujourd’hui il réalise que cet isole­ment, pétri de noirceur, ne le rend pas heureux.

 

Crédit : Lucas Matichard.

 

Face à ce con­stat, on ressent une pro­fonde volon­té de change­ment. Népal souhaite se libér­er de toutes ses chaînes. Le morceau Tra­jec­toire illus­tre par­faite­ment cette tran­si­tion. Entre prise de con­science et envie d’ouverture, ce titre souligne les hési­ta­tions du rappeur.

Avec ce titre, on saisit le cap franchi. Pressé par la peur de la mort, Népal veut désor­mais agir pos­i­tive­ment sur son envi­ron­nement. Un mes­sage souligné par les pro­pos du physi­cien suisse Nas­sim Haramein dans l’outro du morceau.

« C’qu’il faut faire, c’est qu’il faut con­stru­ire le monde qu’on veut voir dans notre futur. »

 

« Adios Bahamas », la suite du dossier. Article disponible sur Mosaïque.