Par Lise Lacombe
Il a le sourire d’Hisoka, un M sur le front comme Végéta, il vit sa vie comme un shōnen et ses rêves comme s’il avait invoqué Shenron. En novembre 2018, il prêtait sa voix au personnage All for one pour la deuxième saison de l’anime My Hero Academia réalisé par Kōhei Horikoshi. Et si Nekfeu était tout simplement le héros de son propre manga ? « Feu », « Cyborg», « Les Etoiles vagabondes ». Trois albums. 74 titres. 32 références à l’univers du manga. Ken Samaras alias l’as de la dédicace.
« Alors, je me dis que ma vie est un manga »
Premier album solo, premier morceau, première phrase :« C’est le retour de Ken Masters, Kenshin, Kentaro, Ken ken ta sœur »(Martin Eden). Nekfeu se présente sous les traits de Kenshin et de Kentaro. Un assassin et un gentleman. Sur ses trois albums, il se glissera dans la peau de 13 personnages différents. Ses inspirations sont aussi multiples que ses identités qui lui font penser que « [sa] vie est un manga » dans le freestyle Destins liés avec le S‑Crew en 2016.
Sur Réalité augmentée, Nekfeu est un « anti-héros comme Roronoa Zoro », un des personnages principaux du manga One Piece de Echiiro Oda. Se revendiquant d’un épéiste surnommé « Monsieur le samouraï », pas étonnant que Nekfeu affirme dans le titre Nekketsu être « fidèle au bushido » (code des principes moraux des samouraïs japonais, ndlr).
En se comparant à des personnages de manga ou d’anime, Nekfeu décline ses multiples facettes : paro comme Broly, élevé parmi les loups comme Princesse Mononoké, victorieux comme Landers ou monstrueux comme Eren. En amour aussi, les mangas sont une source d’inspiration. Sur le titre Ken Kaneki, il rêve d’une fusion à la Gogeta « j’veux qu’à deux, on fasse qu’un comme Gogeta ».
Mais les références sont parfois moins évidentes. Sur Nekketsu, Nekfeu admet :« Moi je suis comme Goku, j’ai le cœur souffrant ».Son Goku est le personnage principal du manga Dragon Ball d’Akira Toriyama qui a failli mourir à cause d’une maladie du cœur. Tenez-vous bien, la maladie du héros apparaît lors de son combat contre….un cyborg (nom de l’album). Un combat qui a lieu dans l’arc des Cyborgs du manga.
« Héros de ma vie, maintenant auteur »
Quand l’identification ne suffit plus, Nekfeu fait de sa vie un anime dont il est le personnage principal. Déjà avec 1995, contrairement à Krilin, il a eu du nez et a senti qu’il serait le héros de cette histoire : « J’fous l’zbeul avec mes pirates comme Luffy dans One Piece » (Milliardaire). De l’imaginaire au réel, Nekfeu ne cache plus de « vivre [sa] vie comme un shōnen » sur le titre Nekketsu. Dragon ball est l’exemple type d’un manga shōnen qui veut dire « adolescent » en japonais. Le manga d’Akira Toriyama est la référence favorite de Nekfeu avec 15 mentions sur les 77 titres analysés.
C’est un genre de manga dans lequel le processus narratif du Nekketsu est souvent utilisé. Il retrace la trajectoire d’un jeune garçon que rien ne prédestinait à devenir un héros. Il prend son destin en main d’où l’entrée du son :« Héros de ma vie, maintenant auteur ».Ce héros devient aussi le chef de son clan, celui sur qui les yeux sont rivés. A la manière de Bardock (le père de Son Goku dans Dragon ball), le héros Nekfeu est entouré de ses Saiyans comme Mekra qui revendique dans Le regard des gens :« J’suis un Saiyan, je m’entraîne à la salle ».
Démonstration évidente de l’influence nippone, le dernier titre de l’album «Cyborg», Nekketsu, fait office d’ending (générique de fin). Il est courant dans les animes japonais de conclure par un ending chanté par une voix féminine. Alors qui mieux que Crystal Kay pour l’accompagner sur ce titre ? L’artiste japonaise est connue pour avoir chanté sur l’ending de la partie 3 de l’anime Fullmetal alchemist en 2004 avec son titre Motherland.
Parce qu’avec Nekfeu, rien n’est jamais anodin ; Cristal Kay fera la transition entre « Cyborg » et « Les Etoiles vagabondes ». Cyborg se conclut sur « Hayaku Tōkyō ni kite Tanoshimi ni matteru yo ! » (Reviens vite à Tokyo, je t’attends avec impatience !). « Les Etoiles vagabondes» s’ouvre par une réponse : «Konaida Tōkyō de atta toki sabishi- sōdattakedo daijōbu » (Quand on s’est vu la dernière fois à Tokyo, tu avais l’air triste, tout va bien ?). La voix de la chanteuse japonaise relie les albums comme elle relie Nekfeu au Japon.
Ken Samaras alias Ken Kaneki
Si Nekfeu est monstrueux comme Eren, il est aussi un héros malgré lui comme le personnage principal du manga l’Attaque des Titans de Hajime Isayama. Devenu un titan du rap, rien ne prédestinait Nekfeu à un tel destin. De son vrai patronyme, Ken Samaras, il porte pourtant le nom d’un personnage de manga : Ken Kaneki. Une coïncidence de l’univers à laquelle le rappeur dédiera la 23e piste de son dernier album. « Kaneki, Ken Kaneki, Ken Kaneki » murmure-t-il dans l’outro du morceau.
Personnage principal du manga Tokyo Ghoul de Sui Ishida, Ken Kaneki est une référence marquante pour Nekfeu qui portait le masque du personnage dans le clip Fausse note avec le S‑Crew. Dans le seul titre mis en image des «Etoiles vagabondes », Sous les nuages, plusieurs références à Ken Kaneki sont remarquables : l’œil rouge à la fin du clip, la récurrence du visage à moitié camouflé, les dents apparentes…
Tout au long de la chanson Ken Kaneki, il se compare à ce héros « pas encore bien rangé ».En effet, le protagoniste de Tokyo Ghoul est à la fois mi-goule, mi-humain. Les goules sont des humanoïdes (qui est aussi un titre sur l’album « Cyborg ») qui ont besoin de chair humaine pour survivre.
Ken Kaneki est donc un personnage à la frontière entre deux mondes. Aussi discret derrière son masque que Nekfeu sur la scène publique, Ken Kaneki ne peut être rangé dans une case. Ça tombe bien parce que Nekfeu le rappelle dans Mal aimé : « j’aime pas les cases à part les scans ». Désormais héros de ses propres scans, Nekfeu est au rap ce que Ken est au manga, un inclassable.