Mosaïque

Par Robin Spiquel

 

« Adios Bahamas », la première partie du dossier. Article disponible sur Mosaïque.

 

Deuxième partie : S’élever par ses principes 

 

Dans un rap game de plus en plus sat­uré, Népal nous mon­tre avec ses dernières lignes qu’il est pos­si­ble de se démar­quer sans se trahir. Un mes­sage pro­fondé­ment posi­tif qui tranche avec ses anciens textes, plus som­bres et ren­fer­més. Pour­tant, le rappeur-beat­mak­er de la 75e Ses­sion n’a pas changé. Il s’est sim­ple­ment élevé par ses principes.

 

Crédit : Lucas Matichard.

 

Avec « Adios Bahamas », Népal décide de sor­tir de son enfer­me­ment. Mais atten­tion, s’ouvrir sur le monde ne sig­ni­fie pas agir n’importe com­ment. KLM reste fidèle à ses principes et con­tin­ue de faire de l’art par pas­sion. Comme il le dit dans Lemon­ade : « Si j’mets des switchs c’est pour le bruit, pas pour le score. » Une démarche artis­tique pure, mais non dénuée de sens. À tra­vers cet opus, Népal délivre un cer­tain nom­bre de mes­sages. Comme une leçon de sagesse.

 

Indépendance et introspection

Le pre­mier de ces mes­sages, c’est bien enten­du l’indépendance. Comme il le cla­mait déjà dans son titre Baby­lone sor­ti l’an dernier : « Si t’es au stud’ comme à l’usine, Baby­lone a gag­né. »

Rap­pelons qu’il a fal­lu atten­dre août 2019 pour voir appa­raître ses titres sur les plate­formes de stream­ing. Avant cela, se pro­cur­er ses dis­ques néces­si­tait un télécharge­ment direct sur son site 444nuits.fr.

Népal a tou­jours tra­vail­lé à l’é­cart, loin des grandes struc­tures et des lois de l’industrie musi­cale. Il revendique cette autonomie tout au long de l’album.

Nous retrou­vons cette pos­ture dans le morceau Sun­dance, en référence au Sun­dance Film Fes­ti­val qui réu­nit depuis 1985 les amoureux du ciné­ma indépen­dant à Park City et Salt Lake City dans l’U­tah : « Puisque l’enfer c’est les autres, pourquoi faire comme les autres. » Dans ce refrain, il mar­que une fois de plus son rejet du con­formisme et appelle à agir selon nos pro­pres codes.

 

Crédit : Lucas Matichard.

 

Pour agir en indépen­dance, il faut intime­ment se con­naître. Il souligne cette invi­ta­tion à l’introspection et à la pleine exploita­tion de ses tal­ents dans le bien nom­mé Lemon­ade.

Un titre directe­ment issu de l’adage anglo­phone « When life gives you lemons, make lemon­ade ». Dans une société où beau­coup de choix de vie sont fait en fonc­tion d’un sys­tème de valeurs inculquées dès le plus jeune âge, Népal nous mon­tre ici que cha­cun, en fonc­tion de ses capac­ités, peut trou­ver son domaine d’épanouissement. Rien ne sert de se forcer à devenir quelqu’un pour être heureux. Il faut trou­ver ses points forts et tra­vailler dessus. « J’ai gardé mon car­net, avec j’fais ma lemon­ade. » Le don de Népal c’est l’écriture. Il a donc décidé d’en faire son bonheur. 

 

Loyauté et esprit d’équipe

Enfin, s’il y a bien une valeur à laque­lle Népal reste fidèle, c’est l’esprit d’équipe. Pour un pre­mier album, le rappeur du dojo aurait pu aller chercher des per­son­nal­ités extérieures afin de crois­er un peu plus les influ­ences, mais aus­si vis­er plus de vis­i­bil­ité. Il n’en est rien.

Sur le pro­jet, on retrou­ve ses frères de gam­berge : Di-meh, Nek­feu, Doums, Shel­don ou encore 3010. Des kick­ers avec qui Népal a déjà croisé le fer, sur un ou plusieurs fea­tur­ings. Un esprit que l’on retrou­ve aus­si dans le choix des beat­mak­ers qui l’ont accom­pa­g­né comme Dia­bi ou Hugz Hefner.

 

Crédit : Les Gros Sourcils.

 

Cette cama­raderie, qui habite la 75e ses­sion (le col­lec­tif dont est issu Népal) est une couleur impor­tante de l’album. Elle lui donne un corps, un fil directeur. Si Népal décide de sor­tir de sa chrysalide, c’est bien parce qu’il s’est entouré d’une équipe solide.

 

Ouverture musicale

L’ouverture du pro­jet se ressent aus­si bien dans les textes que dans la musi­cal­ité. D’une manière glob­ale les pro­duc­tions sont beau­coup plus claires que celles aux­quelles nous avait habitué le rappeur du 14e arrondisse­ment de Paris. Sa par­tic­i­pa­tion sur sept des douze instru­men­tales de l’al­bum n’y est sûre­ment pas pour rien.

Sur les morceaux Sun­dance, Lemon­ade, Cross­fad­er ou encore Sans voir de nou­velles sonorités plus swing sont pro­posées. Quelques notes mélodieuses cassées par des ryth­miques clas­siques mais effi­caces, voilà une recette qui souligne bien la dual­ité de ce pro­jet artistique.

 

Crédit : Lucas Matichard.

 

À cela vient se rajouter une nou­velle util­i­sa­tion de la voix, beau­coup plus claire. Comme pour les pro­duc­tions, l’alternance entre des morceaux rap­pés avec la voix grave qu’on lui con­naît, comme dans Tra­jec­toire et Daru­ma et d’autres chan­tés comme Là-bas appuie une fois de plus sur l’ambivalence de l’album.

Une dual­ité par­fois présente au sein d’un même morceau. C’est le cas de Cross­fad­er où Népal donne l’impression de faire feater les dif­férentes facettes de sa personnalité.

 

Élévation spirituelle

Com­ment achev­er cette analyse sans évo­quer la con­clu­sion de l’album et l’énig­ma­tique Daru­ma ? Un titre qui vient parachev­er le voy­age d’ « Adios Bahamas ». Nous le sen­tons approcher d’un cer­tain équili­bre. Il sem­ble avoir trou­vé la par­faite har­monie entre ouver­ture et fidél­ité à ses principes.

Pour réus­sir ce pari, nous com­prenons que Népal s’est forte­ment tourné vers l’hindouisme et le boud­hisme. Le Daru­ma étant une stat­uette représen­tant Bohid­har­ma, le fon­da­teur du Boud­dhisme Zen. C’est un porte-bon­heur asso­cié à un souhait. Nul ne sait quel vœu a fait le jeune rappeur, mais nous pou­vons aisé­ment sup­pos­er qu’il s’est réalisé.

 

Crédit : Lucas Matichard.

 

Voulait-il réus­sir à apais­er ses ten­sions internes pour s’élever spir­ituelle­ment ? C’est en tous cas ce que peut laiss­er présager la répéti­tion « J’ai peint l’ciel couleur lavande » présente au début des deux cou­plets. La couleur lavande pou­vant faire référence au vio­let du sep­tième chakra coro­nal, le chakra le plus élevé, celui de la con­science pure et de la con­nex­ion à l’infini.

L’interprétation de ce titre ne peut être faite sans la per­spec­tive du mys­térieux décès de Népal en novem­bre dernier. Daru­ma vient con­clure le pre­mier et dernier album d’un artiste tor­turé. Si cer­tain par­le d’un sui­cide, un tel morceau pour­rait alors son­ner comme une let­tre d’adieu. Quoi qu’il en soit, Népal sem­ble avoir atteint le niveau musi­cal et spir­ituel qu’il cher­chait avec ce projet.

Qu’il repose en paix.