Mosaïque

Par Robin Spiquel

 

En près d’une décen­nie, le jeune pro­duc­teur parisien a par­ticipé à l’émergence de nom­breux rappeurs, aujourd’hui recon­nus, comme Geor­gio, Népal, Alpha Wann ou encore Nek­feu. Le tout en restant loin des pro­jecteurs. Mais le film-doc­u­men­taire « Les Étoiles Vagabon­des » a apporté un peu plus de lumière sur son tra­vail d’orfèvre bien sou­vent mécon­nu du grand pub­lic. Un an après, retour sur la car­rière de ce véri­ta­ble homme de l’ombre.

 

Aperçu au début de l’été sur la chaîne YouTube de Red Binks pour un Red Bull Stu­dios Chal­lenge d’anthologie avec Abou Tall, Dia­bi reste mal­gré tout un pro­duc­teur dis­cret. Der­rière ses grandes dread­locks, se cache un grand mélo­mane qui a su dévelop­per un style bien à lui. Une musique vivante, pleine d’accidents, de sam­ples et d’effets en tous genres.

 

Crédit : Thomas Barthélémy pour Hypebeast.

La passion d’apprendre

Dia­bi et le rap, une longue his­toire qui com­mence en 2012. Avec des potes de Seine-et-Marne (Île-de-France), il pose ses pre­miers textes, mais le groupe n’a pas encore d’instrumentales. Alors Jérémie Dia­bi­ra décide de s’essayer à la pro­duc­tion. C’est à Cor­beil-Essonnes, au stu­dio de Char du groupe « Le Gouf­fre », que le jeune Dia­bi va décou­vrir le beat­mak­ing. Fasciné par cet univers, il s’inscrit alors dans une for­ma­tion d’ingé-son. La journée en cours, le soir au stu­dio, Dia­bi fait ses gammes.

Il com­pose ses pre­mières prods, mais ne s’y attarde pas plus que ça. Il les poste sur Sound­cloud et Face­book, puis passe à la suiv­ante. Sa ren­con­tre avec Geor­gio va lui faire pass­er un nou­veau cap. Les deux artistes ne se con­nais­sent pas encore vrai­ment, mais s’envoient régulière­ment leurs réal­i­sa­tions, sans tou­jours les écouter. Un jour Geor­gio accroche sur une des instru­men­tales de Dia­bi et lui demande s’il peut pos­er dessus. Il accepte directe­ment et mixe le morceau. De cette ren­con­tre naît le titre Carpe Diem. Le pre­mier place­ment de Dia­bi. Une véri­ta­ble fierté.

 

  « J’étais trop content : j’avais fait une prod et mixé un morceau, j’avais fait mon année » — Diabi, pour l’Abcdr du son

 

 

Grâce à cette ren­con­tre, Dia­bi va met­tre un pied dans la nébuleuse « 75e Ses­sion », un col­lec­tif d’artistes parisiens. Il y ren­con­tre Népal, Shel­don, Doums et les autres. Rapi­de­ment, il intè­gre la famille. Dans ce groupe très pro­lifique, Dia­bi touche à tout. Il mixe une par­tie des freestyles « John Doe », des morceaux pour Népal, Doums, Geor­gio, et même des titres qui ne sont jamais sortis. 

En se faisant la main, Dia­bi s’imprègne de la démarche « under­ground » de la 75e ses­sion. L’art de faire de la musique par pas­sion dans son coin, loin de la star­i­fi­ca­tion et des logiques marchan­des de l’industrie rap.

 

« On faisait juste du son qu’on mettait sur Internet, sans but, personne ne faisait d’argent. » - Diabi, pour l’Abcdr du son

 

Le chef d’orchestre

À l’été 2016, alors qu’il enreg­istre des morceaux pour « UMLA » avec Alpha Wann (Fun fact : Dia­bi ne s’est pas lim­ité à la pro­duc­tion sur cet album, il est notam­ment crédité en feat sur le refrain du mag­nifique Fugees), Dia­bi va alors ren­con­tr­er Nek­feu. À l’époque, le Fen­nec vivait au stu­dio Don Dada. Même s’ils se croisent sou­vent, Dia­bi n’ose pas lui pro­pos­er ses productions.

 

«  Avec les prods un peu bizarres que je faisais, je me disais que je n’avais pas le niveau. » — Diabi pour l’Abcdr du son.

 

Finale­ment, l’occasion se présente et les deux futurs acolytes enreg­istrent quelques maque­ttes. Leur pre­mier morceau com­mun n’est d’autre que l’énigmatique Dans l’univers, en fea­tur­ing avec Vanes­sa Par­adis. Il ne sor­ti­ra d’ailleurs que quelques années plus tard sur « Les Etoiles Vagabondes ».

 

Crédit : Netflix.

 

Le feel­ing passe bien entre les deux artistes et très vite, Ken va pro­pos­er à Dia­bi de par­ticiper à la créa­tion de « Cyborg », son deux­ième album solo. Au vu des délais ser­rés, Dia­bi hésite mais Nek­feu ne veut tra­vailler qu’avec lui. Il finit par accepter. L’album est bouclé en un mois, pour pou­voir l’annoncer au con­cert du Fen­nec à Paris-Bercy en Décem­bre 2016. 

Une épreuve plus qu’intense mais très for­ma­trice pour Dia­bi. Sur « Cyborg », il n’est plus qu’un sim­ple beat­mak­er. Il devient le véri­ta­ble chef d’orchestre du pro­jet. Enreg­istrements, arrange­ments, com­po­si­tion de la track­list… Dia­bi est partout. Il a même assisté au mix de tous les morceaux pour appren­dre les bases du mixage.

 

« C’est le premier disque sur lequel je me suis pleinement investi et c’est en ça que ça a été le premier challenge dans ma carrière de musicien. » - Diabi pour l’Abcdr du son.

 

Diabi tu me dis quand c’est bon ?

Après le suc­cès de Cyborg, Nek­feu revient vers Dia­bi pour lui pro­pos­er d’enregistrer un nou­v­el album au Japon, le tout filmé par la caméra de Syrine Boulanouar. Au début, Dia­bi refuse. Il est déjà impliqué sur la tournée de Geor­gio, et l’idée de se faire filmer au stu­dio ne sem­ble pas l’enchanter. Après réflex­ion, il accepte la propo­si­tion, sans trop savoir dans quoi il s’embarque à nouveau.

 

Crédit : Brice Bossavie pour l’Abc­dr du son.

 

L’idée ini­tiale était de faire un album où les morceaux s’enchaînent, de pouss­er encore plus loin ce qui avait déjà été fait sur « Cyborg ». Pour ce qui est du for­mat, le dou­ble album s’est dess­iné avec le temps.

Comme on peut le voir dans le film-doc­u­men­taire, Dia­bi joue, une fois de plus, un rôle cen­tral dans la créa­tion des « Étoiles Vagabon­des ». Il canalise et rassem­ble les éner­gies de tous les musi­ciens fous embar­qués sur le pro­jet. Mais surtout, il force Nek­feu à travailler. 

Enreg­istrements dans plusieurs pays étrangers, ses­sions stu­dios inter­minables, choix des morceaux… La créa­tion de cet album fut une prise de tête per­ma­nente. Mais pour la pre­mière fois de sa car­rière, Dia­bi a le sen­ti­ment de pro­duire des morceaux pleine­ments aboutis. C’est le cas d’Alu­nis­sons notamment. 

 

« Ce morceau a pris cinq mois à être fait, ça a été une vraie galère. En fait, c’est le morceau dont je suis le plus satisfait au final parce qu’on est allés au bout de notre idée. » —  Diabi pour l’Abcdr du son

 

Après la sor­tie de l’album, Dia­bi a délais­sé quelques temps les stu­dios. Comme un besoin de souf­fler après une péri­ode aus­si prenante. Plus récem­ment, on l’a retrou­vé sur quelques pro­jets assez var­iés comme ceux de Népal, de Sneazzy, mais aus­si sur le dernier album de Gam­bi avec le titre PUFF PUFF PUFF. Une var­iété de place­ment qui démon­tre bien l’étendu de son tal­ent et prou­ve qu’il n’existe pas un réel « son Dia­bi ».

 

Le son Diabi 

Con­traire­ment à cer­tains pro­duc­teurs recon­naiss­ables par leurs ryth­miques ou leurs tags, Dia­bi ne sonne jamais pareil. Chaque instru­men­tale est unique, comme un heureux accident.

 

« Une prod qu’on m’a demandée mille fois, c’est Skyclub de Népal. Je l’ai faite sur le moment, et je ne reproduirai jamais le même truc. D’ailleurs, je déteste les batteries de ce morceau. » —  Diabi pour l’Abcdr du son. 

 

 

La musique de Dia­bi est vivante, pleine d’effets et de dis­tor­sions. Il aime tra­vailler sur la tex­ture du son. Un style hérité de son frère de clavier, Népal, qui jadis, trou­vait les prods de Dia­bi trop liss­es. Un son de l’instant et de l’instinct porté par des sam­ples mais surtout par des col­lab­o­ra­tions avec des musi­ciens ou des chanteurs comme sur le somptueux Ciel Noir.

 

Crédit : Thomas Barthéle­my pour Hypebeast.

 

Enfin ce qui définit le mieux le tra­vail musi­cal de Dia­bi, c’est peut être les à‑côtés. Les liens forts qu’il a su tiss­er avec les artistes qu’il a accom­pa­g­nés. Que ce soit avec Geor­gio ou Nek­feu, Dia­bi est bien plus qu’un pro­duc­teur. Il est avant tout un ami, presque un con­fi­dent. Une com­plic­ité et un suivi des artistes qui per­me­t­tent la créa­tion d’œuvres com­plètes et cohérentes comme « Cyborg », « Bleu Noir » ou encore « Les Etoiles Vagabondes ».

 

« Je me sens plus à l’aise de poser un morceau très personnel devant Diabi que je connais vraiment bien, qui est un vrai ami, plutôt que devant un ingé’ son que je n’ai jamais vu de ma vie. » - Georgio pour l’Abcdr du son.

 

Une approche que le pro­duc­teur parisien souhaite garder pour la suite de sa car­rière. Dans un entre­tien pour Yard début mai, il annonçait que son prochain défi serait de réus­sir à con­stru­ire tout un pro­jet artis­tique avec un rappeur incon­nu du grand pub­lic. La suite logique d’une car­rière, entre ombre et lumière.