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Driver

Rappeur, jour­nal­iste, chroniqueur, acteur, pro­duc­teur et main­tenant auteur. Avec 30 ans de car­rière der­rière lui, Dri­ver a accom­pa­g­né le rap français dans toutes ses évo­lu­tions depuis les années 90. Une longévité rare qui a don­né nais­sance à « J’é­tais là », un livre co-écrit avec le jour­nal­iste Ismaël Mereghet­ti qui racon­te la car­rière de l’artiste. L’ou­vrage, pub­lié aux édi­tions Faces Cachées et Hors Cadres, mon­tre com­ment se réin­ven­ter en tant qu’artiste dans une cul­ture en per­pétuelle change­ment. Mosaïque a ren­con­tré Dri­ver et Ismaël Mereghet­ti pour l’occasion.

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Dans « Roule avec Driver », tu disais souvent : « Celle-là je la garde pour mon livre », en parlant de certaines anecdotes. Avais-tu envie d’écrire ce livre depuis longtemps ?

Dri­ver : Je suis nul dans les dates mais ça cor­re­spond à l’époque où je bos­sais chez OKLM. Je bal­an­cais un max­i­mum d’anec­dotes dans les émis­sions et les inter­nautes m’ont demandé d’en faire un bouquin. Au début, je ne pre­nais pas la chose au sérieux. Mais des édi­teurs m’ont envoyé des mes­sages privés sur les réseaux soci­aux en me dis­ant : « Si tu le fais, ça nous intéresse ». Alors j’ai décidé de garder des anec­dotes de côté pour que le livre soit intéressant.

Ismaël Mereghet­ti : Ça s’est fait très vite. Il y a eu les dis­cus­sions avec les édi­teurs et Dri­ver a fait un choix fin 2020. On a ensuite lancé le proces­sus d’entretien au print­emps 2021.

Comment s’est faite la connexion avec Ismaël Mereghetti ?

Dri­ver : Quand j’ai décidé de faire le livre avec les édi­tions Faces Cachées et Hors Cadres, ils m’ont demandé si je voulais un jour­nal­iste pour co-écrire avec moi. J’ai dit oui tout de suite parce qu’écrire des livres, ce n’est pas mon méti­er. J’avais com­mencé à écrire et j’avais déjà trois chapitres, mais ça m’avait pris beau­coup de temps. Je me dis­ais : « Si je suis ce rythme-là, le livre sera là dans trois ans. » Le pre­mier nom que l’on m’a pro­posé c’est Ismaël Mereghet­ti. J’avais déjà bossé avec lui dans une émis­sion sur YouTube qui s’appelle « La Récré ». J’aimais vrai­ment toutes ses inter­ven­tions, je les trou­vais très per­ti­nentes, donc on a com­mencé le boulot.

Comment s’est passé l’écriture ?

Ismaël Mereghet­ti : Il y a eu un temps d’entretien et un temps d’écriture. D’abord, pen­dant deux mois on a fait des demi-journées entières de dis­cus­sion. Dri­ver venait avec des choses à racon­ter. Moi en tant que jour­nal­iste, je posais des ques­tions, je le relançais, on échangeait. Par­fois, il par­lait longtemps, j’écoutais, je notais tout et à la fin j’avais des cahiers entiers de notes. Je suis par­ti dans l’écriture et je lui ai pro­posé ce que j’avais fait. Générale­ment, on envoie des petites bribes, mais il m’a fait com­pléte­ment confiance.

J’avais très envie de lui pro­pos­er quelque chose de con­stru­it tout de suite pour qu’il ait la vision glob­ale du réc­it. Ensuite, il m’a fait des retours très détail­lés. J’avais très peur qu’il le lise. C’est sa vie et je pen­sais que ça allait être chi­ant pour lui. Finale­ment, il m’a dit : « J’avais pas l’impression que tu par­lais de moi ». C’é­tait la preuve que s’il s’é­tait fait embar­quer par l’his­toire, ça pou­vait marcher pour tout le monde. C’est l’enjeu de tra­vailler à deux comme ça. C’est écrit à la pre­mière per­son­ne mais c’est passé par un inter­mé­di­aire. Ce ping-pong entre nous pousse les choses différemment.

Qu’est-ce que ça fait de lire un livre qui parle de soi, qui raconte sa propre vie ?

Dri­ver : J’ai eu un détache­ment quand je l’ai lu, c’est bizarre. Je ne suis pas sûr que tout le monde le vive comme moi mais je me suis dit : « Ouah il a fait tout ça, j’ai fait tout ça ? » Quand on a la tête dans le guidon, on ne se rend pas compte que notre vie est une accu­mu­la­tion de choses. Ce livre me rap­pelle tout en fait, pen­dant 30 ans.

Ismaël Mereghet­ti : Il a vécu ce que cer­tains de ses invités racon­tent dans « Fea­tur­ing » (Pod­cast ani­mé par Dri­ver, pro­duit par Engle, NDLR). En tant qu’auditeur, je me dis tou­jours qu’ils ont des énormes car­rières et qu’ils en sont eux-mêmes éton­nés. T’as un Pas­si ou un Bus­ta Flex qui redé­cou­vrent des trucs alors que nous on les con­naît par cœur. C’est là où je me suis dis que ça pou­vait être bien que je mette un miroir à Dri­ver, que je lui dise : « Tu te rends compte, t’as fait ça en telle année, t’avais tel âge, c’est un truc de ouf, c’est pas normal. »

Pourquoi avoir choisi ce titre, « J’étais là »  ?

Dri­ver : C’est Ismaël qui a eu l’idée. C’est une phrase que je répète sou­vent dans le pod­cast « Fea­tur­ing ». Quand je reçois les gens, ils me racon­tent des moments de leur car­rière et je leur dis : « J’é­tais là ! », parce que j’étais vrai­ment là. Je me rends compte que j’étais très sou­vent là et c’est ce qui me car­ac­térise. Il fal­lait que ça s’appelle comme ça.

Ismaël Mereghet­ti : Je cher­chais un titre à lui soumet­tre et je ne voulais pas que ça soit un truc comme : « C’est clean » ou un gim­mick. Quand je trou­ve « J’é­tais là », je me dis c’est par­fait parce que ça incar­ne toutes ses facettes. Le côté témoin de plein d’époques, il se retrou­ve tou­jours dans les endroits où il se passe des choses, et le rôle géo­graphique. « J’é­tais là » à Sar­celles, en France (Ville de nais­sance de Dri­ver, NDLR). Il a pu être partout dans le monde, il est tou­jours là. C’est ce qui le définit beaucoup.

Quel est ton secret pour durer dans le temps en tant qu’artiste ?

Dri­ver : C’est la pas­sion, l’amour. Si t’aimes ça, tu vas rester. J’ai beau­coup de col­lègues de ma généra­tion, à un moment ils n’ont plus aimé, c’est pour ça qu’ils ont dis­paru. Moi j’ai cette chance d’aimer encore. Mal­gré les muta­tions du rap, je trou­ve tou­jours mon bon­heur aujour­d’hui. J’ai tous les morceaux d’avant, je les garde, je les écoute, mais les nou­veautés aussi.

Ismaël Mereghet­ti : Et pour lui, en plus de l’amour et la pas­sion, le secret c’est de tou­jours rester dans son truc. Tu dures quand tu ne colles pas à des modes, sinon tu te fais for­cé­ment dépass­er. Il a tracé son pro­pre sillon.

Pendant la lecture, on comprend que tu ne cherches pas le succès mais plutôt à te faire plaisir. Comme pour les interludes avec Julia Channel et Sophie Favier sur ton premier album par exemple.

Dri­ver : Tout à fait. Après, je voulais juste la ren­con­tr­er Sophie Favier, on va pas se men­tir (rires). Mais même en ter­mes de fea­tur­ing rap, je ne suis pas à la recherche du mec qui vend le plus. Si tu me deman­des avec qui j’ai envie de faire un morceau, je ne vais pas te citer le top 10 des plus gros vendeurs. Il y a vrai­ment un truc de musique. Est-ce que ça me touche ou pas ? Est-ce que je me vois avec lui ? Quand je l’entends rap­per, est-ce que je me dis : « Ah le salaud il est fort ! »

Quelle époque de ta carrière as-tu préféré ?

Dri­ver : Je le dis sou­vent à des rappeurs plus jeunes que moi : « Prof­itez de cette péri­ode où vous faites mon­ter le buzz sur votre nom jusqu’à l’éventuel sig­na­ture en label. » En major ou en indépen­dant, peu importe. Ce moment où tu vas sor­tir ton pre­mier album, tout ce qui est un petit peu avant, c’est mag­ique. Moi, c’est ma péri­ode préférée. On va dire de 1996 jusqu’à 1998. C’est là ou je vois le truc mon­ter. Je me dis que je vais vrai­ment faire un album. Je le sens et je le sais (Le pre­mier album de Dri­ver « Le Grand Schelem » est sor­ti en 1998, NDLR).

Ismaël Mereghet­ti : T’as rien à per­dre à ce moment-là.

Tu parles aussi souvent de tes voyages aux États-Unis. Ces expériences t’ont-elles nourries pour réaliser tes disques ?

Dri­ver : Ça a surtout changé ma façon de tra­vailler. Je me suis retrou­vé dans l’urgence des États-Unis parce qu’ils sont comme ça : « Tu rap en français ? Je suis beat­mak­er, écoute mes sons, t’aimes bien celui-là ? Ren­dez-vous demain au stu­dio à 14h pour enreg­istr­er un morceau. » Je ne pou­vais pas dire non alors je me met­tais à écrire sur place. Quand je suis ren­tré en France, j’ai fait la même chose. En ter­mes de busi­ness aus­si, ils sont très dans le show, à pré­par­er des événe­ments. Ce qu’on appelle le buzz main­tenant, eux ils font ça depuis toujours.

J’ai eu la chance de vivre l’in­dus­trie de la musique à LA. La journée j’étais en stu­dio, le soir j’étais dans ce qu’ils appel­lent des « soirées indus­tries ». Dans la boîte, il n’y a que des gens de l’industrie, de la musique et du ciné­ma. Toutes les con­ver­sa­tions sont à pro­pos de faire avancer sa carrière.

Ismaël Mereghet­ti : Il a tou­jours eu une men­tale très améri­caine de par sa pas­sion pour ce pays. Du coup, il a pen­sé sa car­rière un peu comme un Améri­cain, hors des codes. Cha­cun de ses voy­ages se sont faits dans des moments où en en France ça n’al­lait pas for­cé­ment très fort et ça lui a don­né une bouf­fée d’air. Ça le con­forte dans cette his­toire de longévité. Il se dit qu’ils ont rai­son et qu’il doit con­tin­uer à faire les choses à sa manière quand il revient ici.

Après avoir fait de la musique, de la production, du journalisme, du cinéma et sorti un livre, souhaites-tu te lancer dans un autre domaine ?

Dri­ver : En fait, tous ces domaines-là ne m’ont pas intéressé. Il n’y a que le rap qui m’a intéressé et c’est le rap qui m’a amené à avoir des sit­u­a­tions où on m’a pro­posé ces autres cas­quettes. C’était pas des plans de car­rière. Moi je me voy­ais rap­per toute ma vie et à la rigueur être pro­duc­teur de rap. Le reste ce sont des trucs qui me sont tombés dessus. Donc s’il y a d’autres cas­quettes qui arrivent sur ma tête, c’est qu’elles me seront aus­si tombées dessus (rires).

Que penses-tu de la scène rap actuelle ?

Dri­ver : Il y a du bon et du mau­vais, comme à toutes les épo­ques. Je ne dis pas non plus que c’était mieux avant. On se plaig­nait déjà à l’époque, aujourd’hui c’est pareil. Main­tenant dans le bon, je trou­ve que les artistes sont plus libres de leurs mou­ve­ments, ils font ce qu’ils veu­lent. J’ai con­nu une époque où t’avais pas le droit de sor­tir des rangs. Moi je fais par­tie de ceux qui en sont sortis.

Il y a des jeunes qui m’ont décou­vert en tant que média, qui enten­dent que je suis un rappeur, donc ils vont fouiller. Ils écoutent mon pre­mier album et ils me dis­ent : « Ouais ça tue, c’est un clas­sique ». C’est sûre­ment aujour­d’hui qu’il aurait été vrai­ment com­pris parce que les artistes sont vrai­ment plus libres. J’étais un peu en avance. C’est impor­tant de ne pas être en avance, ni en retard. Il faut être à l’heure.

Ce livre remonte loin dans le temps. Pour les rappeur.se.e et les passionné.e.s, pensez-vous qu’il est important de connaître l’histoire de cet art ?

Dri­ver : Impor­tant je ne sais pas si c’est le mot mais c’est mieux. Si tu sais ce qu’il s’est passé avant toi ça peut te servir. Pour un rappeur à la mode en 2022 qui a com­mencé en 2010, ce qui est intéres­sant c’est d’abord celui qui était là en 2008. Si tu ne con­nais pas celui qui était là en 1990, ça ne va pas chang­er ton rap et ça ne va pas t’empêcher d’être bon. Mais au bout d’un moment, tu auras peut-être besoin de la force d’un mec qui était là en 95–96.

Ismaël Mereghet­ti : Faut pas cul­pa­bilis­er les jeunes, cha­cun con­naît son his­toire. Ce genre de livre, ça pose des pier­res et cha­cun peut aller piocher ce qu’il veut après.


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