Mosaïque

Avec la sor­tie de sa deux­ième mix­tape « Briques Rouges », le rappeur du nord de la France cherche à renou­vel­er son univers et met­tre la lumière sur ses racines. Escapade lil­loise avec Bekar.

En inter­view, les rappeurs s’époumonent sou­vent de se balad­er en équipe. C’est donc avec son escouade que Békar se rend à la ter­rasse en face de la gare Lille Flan­dres dans laque­lle il a don­né ren­dez-vous. Sur le parvis bondé, un ven­dre­di à la veille des pre­miers départs en vacances de la Tou­s­saint, le Roubaisien est entouré de « ceux qui l’accompagnent depuis tout petit ».

Ses potes dont Raph, qui est désor­mais son man­ag­er, sont instal­lés à la table juste der­rière celle devant laque­lle se pose le rappeur roubaisien pour l’entretien. La serveuse s’approche et réclame de « rem­plir un petit bout de paperasse ». Lille n’est pas encore con­finée pour endiguer la sec­onde vague du Covid-19 et les restau­rants sont tenus de con­serv­er un reg­istre des fréquen­ta­tions pour éviter la prop­a­ga­tion de la pandémie. 

Les pre­miers mots que Bekar délivre s’attardent inévitable­ment sur le pro­jet qu’il vient de sor­tir, « Briques Rouges », un album de 16 titres délivré dix-huit mois après « Boréal », pre­mier EP com­posé de 12 chan­sons dont le morceau La Mort a du goût tutoie le mil­lion de vues sur Youtube. Cas­quette vis­sée sur la tête et sourire accroché au som­met des lèvres, Bekar se dit « grave con­tent » des chiffres, assure que c’était « beau­coup de pres­sion et beau­coup de taff » et se veut déjà « con­cen­tré sur le prochain pro­jet ». Tout en restant évasif sur le nom­bre de streams. 

Pour lui, ce qui compte, « c’est la musique que tu pro­duis. Pour cet album, je voulais créer quelque chose de dif­férent, utilis­er de nou­velles palettes de couleurs et abor­der d’autres thèmes que ceux de « Boréal ». Je voulais que les gens qui m’écoutent puis­sent savoir de là où je viens. » 

Moi je ne viens pas de Paris, ni de Mar­seille. Alors, je voulais racon­ter autre chose.

Békar

Le jeune brun au regard froid a gran­di à Roubaix, ville où près d’un habi­tant sur deux vit sous le seuil de pau­vreté et où une bour­geoisie prospère réside dans son arrière-pays. Dans ce bas­tion ouvri­er qui fut désar­gen­té par le déclin de l’industrie tex­tile, le jeune ado­les­cent côtoie tour à tour les âmes des beaux quartiers et celles des endroits mis­éreux. « Moi, je suis un jeune lamb­da qui a nav­igué dans tous les milieux soci­aux. J’ai été dans des écoles privées, des lycées publics, j’ai vécu dans des quartiers hyper pau­vres et eu des potes beau­coup plus priv­ilégiés et cette diver­sité m’a tou­jours plu car j’ai appris un peu partout. »

On ne réha­bilit­era pas ici le cliché selon lequel un rappeur devrait inlass­able­ment puis­er son inspi­ra­tion dans le milieu dans lequel il grandit, mais comme tant d’autres avant lui, Bekar se nour­rit de petites expéri­ences et de scènes du quo­ti­di­en. Il aime quand ses proches se recon­nais­sent dans sa musique. Il n’oublie jamais « que ses potes se lèvent à cinq heures pour aller boss­er », et ne veut pas étein­dre l’étincelle qui l’a amené à écrire. « Le rap, je m’en sers comme un haut-par­leur pour exprimer ce que je vois et ce que je ressens mais surtout pour racon­ter ce que vivent les gens autour de moi. » 

Depuis la sor­tie de « Briques Rouges » fin-sep­tem­bre, four­mil­lent dans la ville de Lille des strick­ers répli­quant la pochette de l’album. Les vit­res de la porte coulis­sante du super­marché qui domine la place Solféri­no sont tachetés comme un dal­ma­tien. Sur la place du général de Gaulle, la plus célèbre des esplanades du Nord, on retrou­ve quelques morceaux déchirés qui résis­tent à l’usage du temps. 

Ces adhésifs qui se per­dent aux qua­tre coins de la cap­i­tale nordiste n’ont pas été ignorés par la famille de l’artiste. Les par­ents les ont perçus comme les signes d’un pro­jet qui deve­nait sérieux, eux qui n’avaient pas accueil­li le pro­jet du fis­ton de se lancer dans la musique avec ent­hou­si­asme. « Ce n’est pas vrai­ment ras­sur­ant pour des par­ents. Ils savaient que ça serait dur. C’était un chemin bien plus insta­ble que les études. Ils sont désor­mais fiers et ressen­tent que c’est pro­fes­sion­nel. Il y a un label autour de moi, un pro­duc­teur, un manager. »

A7, PNL et mépris du rap

Quand il est ques­tion d’honorer ceux qui ont con­tribué à son appren­tis­sage et rap­pel­er à qui le jeune roubaisien doit sa maîtrise, Bekar égrène les noms des patrons avec appli­ca­tion. Boo­ba pour la tech­nique et sa capac­ité à se réin­ven­ter. Lefa, Damso ou SCH qu’il a écouté à s’en faire saign­er les oreilles lorsqu’il était au lycée. « Vas‑y, « A7 », c’est trop », s’émerveille-t-il au moment d’évoquer l’album sor­ti en 2015 par le rappeur mar­seil­lais. Plus récem­ment, il  a « rongé » « Enna », le dernier album de son acolyte PLK (ils parta­gent le même label, Panen­ka Music, NDLR). 

« En France, aujourd’hui, le rap est si var­ié, si tech­nique et si créatif. On a des tal­ents de dingue. Ils devraient être davan­tage mis en valeur dans le monde de la cul­ture. Regarde ce qu’a inven­té PNL, c’est trop ! Pourquoi n’ont-ils pas plusieurs vic­toires de la musique ? C’est peut-être grave cliché ce que je vais dire, mais le rap reste aux yeux de cer­taines per­son­nes une sous-cul­ture. Il y a encore une majorité de per­son­nes qui con­sid­èrent que ce n’est pas un bel art. Quand je vais en soirée, je ressens qu’aux yeux de cer­taines per­son­nes avec qui je dis­cute je suis un peu méprisé pour ce que je fais. Mais mon pro­pos n’est pas de dire que les rappeurs sont opprimés. Je ne sais pas si on arrivera à faire chang­er les men­tal­ités. Ce n’est pas un com­bat que j’ai envie de men­er en tout cas. Je préfère faire kif­fer ceux qui com­pren­nent ma musique. » 

L’obsession du renouvellement 

Cela devrait com­mencer par le prochain album qui, si l’on en croit ses con­fi­dences, se rap­prochera de sonorités pop anglais­es. « Je me sou­viens que quand j’étais au col­lège, j’écoutais beau­coup Doc­tor Dog, cela pour­rait être une inspi­ra­tion. Je crois aus­si que j’ai envie de par­ler d’autres choses. Mais pour cela, j’ai besoin de me cul­tiv­er. Je con­sid­ère que pour pou­voir par­ler d’un sujet, je dois le maîtris­er de bout en bout. Sinon ce n’est pas la peine de se pencher dessus. »

Bekar a l’obsession du renou­velle­ment. L’artiste souhaite autant explor­er de nou­veaux univers musi­caux que de porter de nou­veaux mes­sages. « Il y a pas mal de choses qui me révoltent aujourd’hui, mais je n’ai pas encore for­cé­ment le bagage pour les met­tre en mots et porter un dis­cours qui puisse être per­cu­tant et dans lequel je me reconnaisse. »

D’ici là, le Roubaisien ne cesse de grat­ter pour cisel­er son écri­t­ure. « J’écris beau­coup sur le bloc notes de mon télé­phone. Je pense que c’est le moyen le plus sim­ple pour con­serv­er des choses qui te passent par la tête, notam­ment quand tu es en stu­dio. Para­doxale­ment, les meilleurs textes que j’ai pu écrire sont apparus sur papi­er. J’ai l’impression que la pen­sée est plus flu­ide, les mots et les idées vien­nent plus facilement. » 

La veille de la ren­con­tre, il rachetait un calepin dans lequel il avait déjà empris­on­né quelques bribes de textes. Bekar sait ce qu’il lui reste à accom­plir pour la suite : égar­er des mots dans son carnet.

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